Le Bloc national fait peau neuve. Ce parti influent de l’âge d’or du Liban, qui a laissé des marques indélébiles dans le paysage politique et signé une pléthore de réformes – souvent révolutionnaires – effectue un come-back en force sur la scène politique libanaise. L’annonce de la relance du parti dans sa nouvelle mouture est prévue aujourd’hui dans le cadre de trois journées de portes ouvertes organisées dans les nouveaux locaux du parti à Gemmayzé.
À l’heure où la morosité semble avoir gagné l’ensemble des citoyens, le Bloc national, dont la notoriété n’a pas été ternie avec le temps, a décidé de réagir au marasme ambiant.
Sous l’impulsion de son Amid, Carlos Eddé, le parti a intégré de nouveaux profils dans ses rangs, principalement issus des milieux de la société civile, entendue dans son sens le plus large. Aux côtés d’un groupe d’anciens partisans qui apportent avec eux le legs du parti, des personnes qui ont trempé dans l’activisme civique et communautaire ont rejoint les rangs du parti pour apporter une nouvelle impulsion.
De grands noms du monde des affaires, rompus à la philosophie de l’entrepreneuriat social, des avocats, des économistes et, surtout, une armée de personnes qui continuent de croire que la courbe est réversible et le changement possible.
Pour réussir son pari de réforme, que résume son slogan lapidaire – pour un « Liban prospère, vert et équitable » –, le parti compte sur une assise populaire importante qui a juste besoin d’être extirpée de son apathie. « Le mythe est toujours vivant. Nous tablons sur quatre millions d’adhérents latents au Bloc national mais qui ne le savent pas », dit Amine Issa, membre du bureau politique.
La nouvelle “joint-venture politique” est destinée à opérer une véritable révolution au sein du fonctionnement du Bloc national mais aussi sur la scène politique que le parti entend conquérir progressivement. C’est, résume Carlos Eddé, « la rencontre de deux volontés » destinée à changer la structure pour mieux l’adapter aux impératifs de la modernité et l’habiliter à répondre efficacement aux problèmes socio-économiques « tout en intégrant les fondamentaux du parti ».
Le politique, passage obligé pour concrétiser la feuille de route définie par les nouvelles assises du parti, tire principalement ses préceptes définis par Émile Eddé, le fondateur du BN, et par la suite Raymond Eddé. Rien d’étonnant d’ailleurs que de voir ce parti, longtemps mû par le souci de la chose publique et par l’obsession de l’édification d’un État de droit, mettre en avant l’éthique politique qui devient, avec la nouvelle équipe en place, la pierre angulaire sur laquelle sera fondée toute son action.
La justice sociale, une priorité
La terminologie utilisée reflète bien cette aspiration à l’introduction de nouvelles valeurs dans le champ politique.
« Nous avons identifié cinq plaies majeures qui corrompent le système et minent l’État et leur avons substitué cinq vertus », confie Pierre Issa, le fondateur d’arcenciel, qui assume la direction du secrétariat général du parti.
Face au « confessionnalisme », le Bloc national, connu pour son combat en faveur de la laïcité, œuvrera à consolider la « citoyenneté » ; au « clientélisme », il entend substituer « l’État droit » ; et à la « corruption », « l’intégrité », devenue la marque déposée de cette formation politique ; au « suivisme aveugle », le règne du principe de « souveraineté » ; et enfin à « l’héritage politique », « l’exigence démocratique ».
C’est, affirment en substance les nouveaux acteurs, pour en finir avec les slogans confessionnels creux, les promesses de réformes jamais tenues, les zizanies intercommunautaires et interpartisanes, la paralysie des institutions, les violations continues de la Constitution, l’adulation du zaïm et le suivisme aveugle, que le Bloc national a voulu dire haut et fort « assez », en se donnant tous les moyens pour le faire.
« Les autres partis libanais ont pêché en instrumentalisant la peur comme moyen de séduction et en maniant à outrance les arguments identitaires », dénonce Amine Issa.
C’est à travers un programme fourni de réformes dans les secteurs social, économique, financier, judiciaire, de l’environnement, et de la gouvernance, imprégné de la philosophie de la justice sociale, que le parti entend panser les plaies et guérir les maux. Le mot d’ordre est à la réhabilitation de la confiance des Libanais entre eux et dans l’État libanais, une ambition qui s’inscrit dans le long terme, admettent en chœur les nouveaux acteurs au sein du parti.
Le BN revu et corrigé – qui comptait à son apogée 10 000 membres – veut refléter d’ailleurs ses nouveaux engagements aussi bien au niveau de la nouvelle structure mise en place qu’au plan de la pensée politique qu’il aspire à propager depuis la base jusqu’au plus haut sommet de la hiérarchie, pour « susciter un éveil sur les principes démocratiques et changer les mentalités », comme le note Pierre Issa.
En finir avec le concept du zaïm
Devenu horizontal, le processus de prise de décision est désormais confié à une instance collégiale. Celle-ci est représentée par un comité exécutif à la présidence tournante à laquelle peuvent désormais prétendre toutes les confessions. Un Comité de sages regroupant les anciens partisans a été créé pour transmettre la mémoire du parti et le legs de la pensée politique peaufinée en amont par les fondateurs. La fonction de Amid a été éliminée, ainsi que le principe du leader emblématique pour une plus grande marge de concertation que l’imposante et charismatique personnalité de Raymond Eddé avait réduit à un minimum.
Sur le plan politique, le parti reprend le flambeau des préceptes prônés par Raymond Eddé en matière de politique étrangère avec comme variante la stratégie de défense, un prélude pour parvenir à la stabilité interne et œuvrer en vue d’une économie prospère et un État juste et équitable. « Le développement économique est un moyen et non une fin, la fin étant le bien-être du citoyen et sa dignité », explique Carlos Eddé.
Le BN soutient la neutralité positive du Liban par rapport aux conflits et préconise de mettre un terme à l’enlisement du Liban dans la guerre des axes qui a achevé de l’épuiser. Il aspire en outre à réhabiliter le rôle moteur joué par le Liban dans son contexte arabe et à renflouer l’équation d’un Liban modèle en matière de pluralisme communautaire, de culture et de liberté d’expression.
Le Liban doit en outre entretenir les meilleures relations avec la Syrie – la seule ouverture terrestre du Liban sur l’hinterland arabe – sur base du respect total de la souveraineté des deux pays.
Tout en se prononçant en faveur d’une résistance nationale placée sous l’égide de l’État pour contrer les menaces et agressions israéliennes, le parti est on ne peut plus clair sur le principe du monopole de la violence par la seule armée libanaise à laquelle le Hezbollah doit remettre son arsenal. Ses combattants pourront éventuellement rejoindre l’institution militaire s’ils le souhaitent.
Raymond Eddé, un législateur prolifique
Fils d’Émile Eddé, président du Liban de 1936 à 1941, Raymond Eddé succéda à son père à la tête du Bloc national libanais en 1949. Élu au Parlement en 1953, il reste député de Jbeil jusqu’en 1992.
Connu pour sa contribution prolifique au corpus juridique, Raymond Eddé a été l’initiateur de nombreuses lois qui ont été à la base de la prospérité financière, économique, agricole, touristique et industrielle du pays durant des décennies. Les textes les plus importants sont ceux sur le secret bancaire, les bâtiments de luxe, le compte joint, l’abolition de l’impôt sur les terres cultivables, l’enrichissement illicite et les libertés publiques. Il fut également le premier à proposer une loi autorisant le mariage civil facultatif qui n’a jamais été adoptée.
Ci-dessous, un échantillon des textes de loi parrainés par le Bloc national, dont une majeure partie est actuellement en vigueur.
– La loi relative à l’exemption des terres cultivables de la taxe foncière
– Les lois pour l’organisation et le développement du secteur du tourisme
– La loi sur la création de zones de libre-échange au port de Beyrouth et à l’aéroport
– La loi sur le secret bancaire
– La loi sur les comptes joints
– La loi relative au contrôle des banques
– La loi de la Sécurité sociale
– La loi sur l’enrichissement illégal
– L’octroi aux Libanais résidant à l’étranger du droit de voter et d’être représentés au Parlement
– La création de l’isoloir et de la carte électorale
– La proposition de loi sur le mariage civile facultatif
– Une série de propositions de lois sur la laïcité et la décentralisation administrative.
commentaires (10)
Enfin une bonne nouvelle libanaise, pour les LIBANAIS ! Vous nous redonnez de l'espoir, MERCI ET BONNE CHANCE ! Irène Saïd
Irene Said
15 h 19, le 09 février 2019