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Culture - Documentaire

« Forte », le vrai visage des femmes arabes artistes, sans commentaires

Pour son second documentaire, Salim Saab pose un regard attentif sur sept artistes issues du monde arabe, dans l’espoir de rompre avec les clichés que véhicule l’œil occidental.

Salim Saab. Photo Xeuh-Ma

Un premier plan solaire se fixe sur la danseuse Krystelle Harb. Tournoyant avec ses cerceaux, elle trône paisiblement sur le toit d’un immeuble, avec Beyrouth en toile de fond. Ces plans forment la seule structure de Forte, du réalisateur Salim Saab. « Une manière de faire respirer le documentaire » afin d’ingérer la matière brute que sont les témoignages des sept artistes interrogées. Du ton simple et spontané des questions de Salim Saab, découlent des conversations enjouées avec sept femmes liées par leur vie d’artistes et leur appartenance au monde arabe.

C’est l’étonnement de certains spectateurs quant à la présence de femmes dans la sphère hip-hop libanaise, sujet de son premier documentaire Beyrouth Street, qui a surpris Salim Saab, 37 ans, au point d’en réaliser un second, entièrement autofinancé. Pour lutter contre « une image populaire, occidentale et contemporaine » où « les femmes arabes sont soit soumises, discrètes et invisibles, soit complètement libérées et en conflit avec leur communauté », le réalisateur présente les femmes telles qu’il les connaît : indépendantes.Les filmant en pleine performance, occupées à leur travaux, le réalisateur cherche à souligner la force et le courage de ces graffeuses, danseuses, tatoueuses et musiciennes. Dans une forme délibérément épurée, sans commentaire, l’enchaînement décousu des interviews laisse place à la réflexion de chacune des artistes sur sa perception du rôle de la femme dans son pays, le Liban surtout, mais aussi l’Arabie saoudite, le Koweït et la Tunisie.


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La femme nue que peint à la bombe Marie Jo Ayoub dans les rues de Beyrouth symbolise autant son rôle de protectrice qu’elle affirme l’innocence de son corps. Se sentant définie uniquement par sa condition de femme, aux yeux de policiers, « comme si je n’étais pas censée être ici », elle partage avec les autres femmes interrogées une volonté humble : créer son propre espace de liberté. De la tatoueuse Marwa el-Charif, qui vit son activité comme une méditation, à la danseuse Lana Ramadan, qui se défoule dans les arts martiaux, ces femmes se sont tournées vers l’art pour avoir recouvré une voix et un pouvoir qui leur sont propres plutôt que pour écraser les hommes. Même si « le patriarcat est partout », pour la musicienne Nawel Ben Kraïem, d’autres trouvent exagéré le féminisme qui voudrait abolir les rôles naturels de la femme et de l’homme. Forte, en l’espace d’une demi-heure, ne prétend pas déployer un discours limpide quant à la place des femmes dans la société. Salim Saab insiste : « Je n’ai pas envie de parler à la place des femmes », et dès lors, l’éloquence de son travail se limite à faire de chaque femme interrogée la représentante d’une réalité négligée. Son film n’est pas là pour discourir, mais pour montrer, « montrer que nous sommes fiers, dignes et courageux » face à des médias occidentaux qui dépeignent, selon son auteur, les Arabes « soit comme des victimes, soit comme des sauvages ».

Privilégiant l’authenticité du portrait plutôt que la cohérence d’un propos unique, Forte se fait édifiant dans la légèreté. Ce parti pris de distance de la part du réalisateur, et de l’homme qu’il est, interroge sur la fonction et la portée politiques du documentaire. La thématique abordée dans Forte est celle d’un certain intersectionalisme, c’est-à-dire l’exacerbation des injustices envers des individus qui, à la fois femmes et arabes, appartiennent à deux groupes discriminés. Face à une problématique si dense et présente dans le débat public contemporain, l’absence de conclusion de Forte peut laisser démuni. Le documentaire s’achève comme il a commencé, calmement et sans mot d’ordre.

Dépourvu d’un message précis et prémédité, le court film est surtout une plateforme sur laquelle ces femmes artistes peuvent rompre avec nombre de stéréotypes concernant leur rôle dans la société. Le spectateur de Forte aura vu sa curiosité éveillée, passant un premier cap dans la compréhension d’une thématique qui continuera de le dépasser.

Fiche technique

Forte, documentaire de 31 minutes, réalisé par Salim Saab et avec Abrar Allahou, Hanane Kamal, Marie Jo Ayoub, Lana Ramadan, Lili Ghandour, Marwa el-Charif et Nawel Ben Kraïem (www.facebook.com/fortedocumentaire).

Projection le 21 janvier à 19h, à la librairie Bachoura à Beyrouth.

Le 25 janvier, en partenariat avec l’ONG Malaak, au Akkar.


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