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Moyen Orient et Monde - Harcèlement sexuel

#Metoo en Égypte : un mouvement positif, mais encore restreint

Depuis le début de la campagne #metoo (#anakaman en arabe) il y a exactement un an, elles sont un nombre significatif de femmes à prendre la parole pour dénoncer les agressions et le harcèlement quotidien.

Manifestation au Caire contre le harcèlement sexuel. Khaled Desouki/AFP

Ça aurait pu durer encore longtemps. Ça aurait pu aller encore plus loin. Mais May al-Shamy a décidé de parler. En septembre dernier, cette journaliste mode de 28 ans a été la première femme en Égypte à avoir déposé plainte contre son employeur pour harcèlement sexuel.

Employée par le journal Youm7, elle avait d’abord informé sa direction du comportement déplacé de son supérieur hiérarchique, mais aucune mesure n’avait été prise contre ce chef de plus en plus envahissant. D’abord, des commentaires déplacés, devenus de plus en plus explicites ; elle a finalement décidé de déposer plainte quand des attouchements ont commencé à avoir lieu.

Depuis le début de la campagne #metoo il y a exactement un an, elles sont un nombre significatif de femmes à prendre la parole pour dénoncer les agressions et le harcèlement quotidien qu’elles subissent en Égypte : dans la rue, à leur travail, dans leurs cercles sociaux et privés. Mais la prise de parole n’est toujours pas simple dans un pays où 99 % des femmes assurent avoir déjà été harcelées.

À la suite de sa plainte, la jeune femme a subi une campagne de diffamation sur les réseaux sociaux, certains l’accusant même d’être membre des Frères musulmans, confrérie interdite en Égypte et considérée par le pouvoir comme organisation terroriste. Son employeur, Dandarawy al-Hawary, lui, a conservé son poste et a même eu le droit de s’expliquer dans les médias. « Comment pouvez-vous criminaliser un homme et soutenir une victime présumée ? (…) Je suis d’accord avec vous, nous devrions tous aider les victimes de harcèlement sexuel, mais vous devez avoir la preuve qu’elles sont des victimes », s’est-il défendu.


(Pour mémoire : En Égypte, le harcèlement sexuel suit les femmes jusqu’au travail)


« Teegy neshrab coffee ? »
Quelques mois auparavant, en août dernier, Menna Gubran avait aussi subi la colère et les moqueries des internautes après avoir posté sur Facebook la vidéo d’un homme l’accostant avec insistance à un arrêt de bus. La proposition appuyée de son harceleur, « teegy neshrab coffee ? », est même devenue une blague virale, tournant en dérision ce qui s’apparente à une agression. Certains ont affirmé qu’il ne s’agissait que de « flirt poli », d’autres l’ont accusée d’être excessive, nombreux encore ont remis en cause la manière dont elle était habillée. Un sondage réalisé l’année dernière par ONU Femmes et l’ONG Promundo a révélé que près de 65 % des hommes reconnaissaient avoir déjà harcelé une femme en Égypte. Le sondage, qui portait sur 1 380 hommes et 1 402 femmes dans cinq gouvernorats, a aussi montré que 74 % des hommes – et 84 % des femmes – étaient d’accord pour dire que « les femmes vêtues de façon provocante méritaient d’être harcelées ».

Un an après son lancement déclenché par les accusations contre le célèbre producteur hollywoodien Harvey Weinstein, le mouvement #metoo a eu un retentissement mondial, mais semble avoir eu un impact limité en Égypte. « Tous les jours, tous les jours au Caire, on se fait harceler, au point de développer des mécanismes de défense inconscients, on baisse les yeux, on croise les bras sur notre poitrine », s’agace la jeune femme qui ne voit pas vraiment en quoi #metoo a changé la vie des femmes ici.

« À mon avis, le grand changement réside surtout dans le sentiment pour les femmes qu’elles peuvent plus s’exprimer, avoir une voix », explique aussi Samia*, une blogueuse égyptienne qui défend les droits des femmes. « Une femme qui prend la parole est méprisée par la société. Maintenant, certaines trouvent la force de se lever contre ça et se soutiennent les unes les autres. Souvent, dans les dynamiques familiales, l’homme a toujours son mot à dire, l’homme a toujours “raison”, et une femme doit le suivre aveuglément et faire son “devoir” ; ces idées archaïques sont maintenant contestées par les femmes d’aujourd’hui. Elles voient le besoin désespéré de changement. »

Le droit de s’exprimer, le soulagement de pouvoir dire stop, voilà ce que beaucoup retiennent de ce mouvement : les femmes se sentent mieux en mesure de contre-attaquer. Mais elles doivent toujours contre-attaquer. Alors, les hommes, qu’ont-ils retenu de cette campagne ?


(Pour mémoire : Les réfugiés, le voile et le viol)


Et les hommes ?
« #Metoo n’a touché que certains cercles, estime Mohannad, parce que être au courant de la campagne #metoo nécessite d’être exposé à la culture internationale, aux médias sociaux, ça veut dire donc avoir un certain niveau d’éducation. Le degré d’exposition a, je pense, beaucoup varié en Égypte. Si vous allez par exemple dans certains endroits du Caire ou hors de la capitale, c’est évident, personne n’en a entendu parler, #metoo n’a pas eu un impact à l’échelle nationale. » Ce trentenaire assure qu’à titre personnel, s’il a bien évidemment été confronté au célèbre hashtag, cette campagne n’a pas changé sa vision : « J’étais déjà conscient du problème avant », estime-t-il. Aussi parce qu’il a milité lors de la révolution de 2011 pour les campagnes antiharcèlement et fait partie des équipes d’intervention sur la place Tahrir pour empêcher les agressions. « La révolution a participé à une première conscientisation du problème, notamment du harcèlement de rue, extrêmement répandu. Ça a permis de premiers changements positifs. Encore un peu plus avec la campagne #metoo aujourd’hui, mais nous sommes encore très loin de ce qui serait souhaitable, estime-t-il. Je pense que beaucoup d’hommes ont été choqués par #metoo. Certains ont commencé à s’interroger sur ce qui est un contact approprié et ce qui n’en est pas un. Il y a aussi ce débat : où sont les lignes rouges ? Bien sûr, il y a des limites claires, qui sont clairement définies, mais certains hommes se questionnent aujourd’hui sur certaines de ces lignes, entre ce que eux considèrent comme du flirt, mais qui peut être perçu comme une expérience inconfortable par une femme. Mais pour avoir cette réflexion, encore faut-il avoir déjà un minimum de conscience du problème. »

Mais contre toute attente, certains hommes, militants, engagés pour les droits des femmes en Égypte, ont eux aussi essuyé des critiques avec la libération de la parole des femmes. « Plusieurs femmes ont révélé l’identité d’hommes qui les avaient agressées, qui étaient considérés et qui se considéraient comme de bonne réputation. Ça a prouvé aussi que même des défenseurs du droit des femmes et de l’égalité peuvent avoir des comportements problématiques et que le sujet est bien plus étendu que ce que l’on croie », estime Mohannad.


(Pour mémoire : Après #metoo et #balancetonporc, #3ilaka_moukabel_wazifa)


« Le viol n’est pas un truc à la légère »
Ahmad*, un jeune homme de 25 ans qui vient de terminer ses études et son service militaire, fait aussi partie de ceux qui se considéraient déjà comme « sensibilisés » à ces questions « avant le mouvement #metoo ». « Je suis d’autant plus attentif à la réaction des femmes quand je les approche » explique-t-il toutefois. Il admet aussi que #metoo l’a rendu « plus inquiet » : « Maintenant, j’ai peur que tout ce que je fasse puisse être mal interprété. » Pour lui, cette libération de la parole a eu de bons côtés : la possibilité d’ouvrir le débat, de discuter plus ouvertement avec ses amies femmes des pressions et violences qu’elles subissaient, mais ces discussions ont aussi provoqué chez lui frustration et incompréhension. « Je pense qu’il y a deux façons de voir la chose. Il y a évidemment de bons côtés à #metoo, mais il y a aussi des abus. Ça a commencé hyperbien, les gens ont parlé du harcèlement, des trucs évidents qui ennuient toutes les femmes, et ça a permis aux hommes de réaliser les conséquences de ce qu’ils faisaient. Regarder une fille avec insistance, la siffler, la toucher sans son consentement ou même lui proposer des rendez-vous encore et encore au point de la mettre mal à l’aise, c’est très clair, c’est une attitude de connard, et je pense que les mecs qui font ça en ont bien conscience », explique-t-il. « En même temps, il y a tellement de choses qui sont dans un entre-deux et qui sont vraiment questionnables. À quel moment le fait de montrer qu’on est intéressé devient du harcèlement? » se demande-t-il. « Récemment, je parlais avec une amie qui m’a dit : “Les femmes sont très régulièrement violées.” Je lui ai dit : “Qu’est-ce que tu veux dire ?” Elle m’a expliqué que “des fois, une femme rentre avec un homme, mais change d’avis et ne sait pas comment dire non ou le repousser” . Mais comment un mec peut savoir qu’elle n’a rien envie avec lui si elle ne pose pas d’objection physique ou orale ? Il faut qu’elle dise ou fasse quelque chose. Pour moi, un mec ne te viole pas, à moins que tu aies montré ton désaccord », tranche-t-il.

« Beaucoup d’hommes vivent dans le déni, même après ça, assène Mohannad, il y en a encore qui disent que non, ça ne peut pas se passer comme ça, que c’est une chasse aux sorcières. C’est difficile de faire changer les gens quand ils ont été formatés par une structure patriarcale telle que la nôtre. »


Une loi
Si l’Égypte, consciente du phénomène rampant qu’est le harcèlement sexuel dans le pays, a passé une loi en 2014 prévoyant jusqu’à 5 ans de prison pour les agresseurs, elle ne stipule pas clairement ce qui peut être considéré comme un comportement inapproprié, ni même une violence sexuelle.

Mais les autorités ne voient pas, dans le même temps, d’un bon œil le nombre grandissant de femmes dénonçant leurs agresseurs.

Cet été, une touriste libanaise a été condamnée à huit ans de prison après avoir décrit dans une vidéo sur Facebook le harcèlement sexuel qu’elle avait subi pendant ses vacances en Égypte. Un tribunal du Caire l’a reconnue coupable de « propagation de fausses rumeurs préjudiciables à la société ». Ce n’est qu’après un tollé international qui a menacé l’industrie du tourisme égyptien que sa peine a été réduite. Elle a été libérée et a quitté le pays après s’être acquittée d’une lourde amende.

Et comment ne pas mentionner Amal Fathy ? En septembre dernier, cette militante pour les droits des femmes a été condamnée à deux ans de prison pour le même motif. Dans la vidéo postée sur son compte personnel, elle expliquait comment elle avait été harcelée sexuellement à deux reprises par un chauffeur de taxi puis par un policier alors qu’elle se rendait à la banque. Elle y fustigeait aussi l’incapacité du gouvernement à protéger les femmes. Si cette condamnation vise aussi à affaiblir son mari, également militant défenseur des droits de l’homme réputé en Égypte, elle révèle à quel point l’Égypte n’est pas tout à fait prête à faire face à ses propres fléaux. À commencer par les responsables politiques.

* Les prénoms ont été changés.

Ça aurait pu durer encore longtemps. Ça aurait pu aller encore plus loin. Mais May al-Shamy a décidé de parler. En septembre dernier, cette journaliste mode de 28 ans a été la première femme en Égypte à avoir déposé plainte contre son employeur pour harcèlement sexuel. Employée par le journal Youm7, elle avait d’abord informé sa direction du comportement déplacé de son...

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