Le tempête Norma s’est imposée comme principal sujet d’actualité auprès de l’ensemble des Libanais hier, non seulement à cause de la force des éléments qui ont fait deux victimes dans la journée, une petite Syrienne de 8 ans, à Minié au Liban-Nord, et un jeune homme d’une vingtaine d’années, à Zahrani au Liban-Sud, mais aussi à cause d’une certaine psychose alimentée par les réseaux sociaux.
Les dégâts provoqués par les pluies diluviennes ininterrompues de la journée et le vent, qui a atteint sur le littoral des pics de 110 km/heure, selon l’Institut libanais de recherches agricoles (LARI), sont certes normaux et prévisibles, compte tenu de la violence de la tempête polaire qui est appelée à régresser à partir d’aujourd’hui. Ce qui est en revanche anormal, c’est le laisser-aller officiel accumulé au fil des années à tous les niveaux de la gestion des affaires publiques et qui fait qu’aujourd’hui, faute d’une infrastructure acceptable, le pays a été littéralement noyé. Comble de l’ironie : les plaisanteries relayées sur les réseaux sociaux au sujet des inondations ou des volumes de ruissellements à l’origine de glissements de terrains catastrophiques dans plusieurs régions n’étaient finalement pas si fictives que cela. En début de soirée, l’Agence nationale d’information (ANI, officielle) annonçait dans une dépêche que l’unité de secours maritime de la Défense civile « s’employait à sauver les individus bloqués dans leurs voitures à cause de l’accumulation de l’eau sur l’autoroute de Dbayé et à dégager les caniveaux pour réduire le niveau de l’eau ». Le Liban dans son ensemble a vu l’autoroute noyée sous une eau boueuse, les centaines de voitures prises au piège et les barques Dinghy à bord desquelles les automobilistes et les passagers étaient évacués. Les secouristes de la Défense civile ont dû briser les balises en béton qui séparent les deux voies de l’autoroute pour assurer l’écoulement de l’eau.
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Le même spectacle de désolation se répétait un peu partout hier, où les eaux de pluie ont l’habitude, depuis des années, de former des mares géantes. Sauf que, hier, il ne s’agissait plus de mares, mais de véritables torrents et lacs dans la banlieue sud de Beyrouth, et plus particulièrement à Hay el-Sellom, où une crue de la rivière Ghadir a provoqué des inondations dans les demeures alentour, sur la route de l’aéroport, où de nombreux automobilistes, bloqués dans le tunnel, ont dû être secourus par la Défense civile parce que le niveau de l’eau a pratiquement atteint les vitres de leurs véhicules, à Choueifate, Manara, Tyr, Saïda et Tripoli.
Les torrents d’eau boueuse, qui ont dévasté de nombreux établissements de commerce et demeures partout au Liban, ont été meurtriers à Houmine el-Fawqa, au Liban-Sud, où Ali Jomaa, pris au piège d’eaux de ruissellement, a perdu le contrôle de son véhicule qui a versé dans un ravin près de la rivière Zahrani. À Minié, au Liban-Nord, une petite Syrienne de 8 ans qui jouait avec sa sœur à l’entrée de la maison familiale a été emportée par le courant. Jusqu’à l’heure d’aller sous presse, l’enfant n’avait pas été retrouvée, alors qu’en dépit de la tempête, des recherches ont été aussitôt lancées par les FSI, la Défense civile et des volontaires de la région pour la retrouver.
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Des réunions et des critiques
Au niveau des administrations, des réunions extraordinaires ont été convoquées pour parer au plus urgent. C’est ainsi que le mohafez du Liban-Nord, Ramzi Nohra, a ordonné en milieu de journée la fermeture de la voie de l’autoroute du littoral dans le sens Chekka-Beyrouth, à la sortie du tunnel, en raison d’éboulements répétés de rochers. Cette voie devrait être condamnée, selon lui, en attendant que des murs de soutènement soient construits. Parallèlement, le mohafez du Mont-Liban, Mohammad Mekkaoui, qui a présidé une réunion de coordination à la chambre d’opérations improvisée au sérail de Baabda, a ordonné la fermeture provisoire des deux routes de Dahr el-Baïdar et de Zahlé-Tarchiche pour éviter que des conducteurs ne soient bloqués dans la neige.
Pendant que les secouristes de la Défense civile et de la Croix-Rouge libanaise volaient au secours des personnes bloquées par la tempête, que ce soit dans leurs véhicules ou leurs habitations dévastées par les eaux ou la terre, des hommes politiques faisaient la tournée de zones sinistrées. À Hay el-Sellom, les deux ministres sortants des Finances, Ali Hassan Khalil, et de l’Agriculture, Ghazi Zeaïter, ont inspecté les dégâts provoqués par la montée des eaux d’une rivière qui déborde de son lit à chaque tempête en raison des constructions illicites sur les rives du cours d’eau. Le problème est connu depuis des années, mais aucune mesure n’a été prise au plan officiel pour le régler. Après avoir annoncé que des fonds ont été finalement prévus à cette fin, Ali Hassan Khalil s’en est vivement pris à un « État incapable de prendre des décisions radicales et d’assumer ses obligations ». « La rivière Ghadir en est l’exemple frappant », a ajouté ce ministre, dont le mouvement politique, Amal, participe à tous les gouvernements depuis la fin de la guerre et est partie intégrante de cet État qu’il critique.
Ce que Ali Hassan Khalil n’a pas en revanche expliqué, ce sont les raisons pour lesquelles les fonds pour le Ghadir n’avaient pas été débloqués plus tôt, puisque les crues catastrophiques sont pratiquement annuelles, pourquoi des murs de soutènement ou des balises ne sont pas aménagées sur les routes principales où les risques d’éboulement sont réels, ou pourquoi les vieilles canalisations ne sont pas remplacées par un nouveau réseau de caniveaux à même d’absorber la quantité de pluie qui tombe au Liban chaque année et qui s’est amplifiée du fait du changement climatique.
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Entre autres indicateurs de la négligence et du laisser-aller administratifs officiels, l’affolant ruissellement des eaux à partir des joints de dilatation du pont Salim Salam, appelé aussi pont Cola, qui a fait le tour des réseaux sociaux, et le rapport accablant du ministre d’État sortant contre la corruption, Nicolas Tuéni. Alors qu’à la municipalité de Beyrouth, on indiquait que le pont, sur lequel des travaux d’entretien sont menés depuis plusieurs mois, ne risque pas de s’effondrer, M. Tuéni soulignait dans son rapport « l’urgence » d’un entretien. « Nous avons reçu des informations selon lesquelles l’entretien du pont Cola ne peut pas du tout attendre », a écrit M. Tuéni dans son rapport, en soulignant que les travaux d’entretien des barrières et des joints de dilatation de l’ouvrage routier avaient été adjugés depuis sept mois. Il y a lieu de préciser dans ce contexte que c’est la compagnie de Jihad el-Arab, en charge de la construction de la décharge de Costa Brava, et du tri et du traitement des déchets de Beyrouth et du Mont-Liban (hors Jbeil), qui mène les travaux d’entretien du pont.
Dans son rapport, M. Tuéni constate aussi un ruissellement des eaux de pluie dans les deux tunnels de Salim Salam – dont les travaux d’entretien avaient été adjugés il y sept mois aussi – et d’Achrafieh. Il juge nécessaires des investigations au sujet de ces manquements et demande au président Michel Aoun, ainsi qu’au Premier ministre désigné, Saad Hariri, de donner leurs instructions pour la mise en place d’une commission d’enquête composée du procureur financier, des présidents de l’Inspection centrale et du CDR, des mohafez concernés, et des consultants chargés des études et de la surveillance des projets d’infrastructure. Cette commission devra, selon lui, se rendre sur les sites où des éboulements, des inondations et des fissures se sont produits et établir un rapport sur base duquel les responsabilités devraient être déterminées, préalablement à des poursuites devant le parquet financier. Affaire à suivre… sans illusions.
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commentaires (14)
Pathétique, pathétique, pathétique!
otayek rene
19 h 03, le 10 janvier 2019