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Liban - Intempéries

Norma, une tempête polaire qui a mis à nu toute l’incurie officielle

Le ministre d’État sortant contre la corruption, Nicolas Tuéni, recommande l’ouverture d’une enquête sur des manquements administratifs.

À Bar Élias, dans la Békaa, le camps de réfugiés syriens est totalement inondé. Issam Abdallah/Reuters

Le tempête Norma s’est imposée comme principal sujet d’actualité auprès de l’ensemble des Libanais hier, non seulement à cause de la force des éléments qui ont fait deux victimes dans la journée, une petite Syrienne de 8 ans, à Minié au Liban-Nord, et un jeune homme d’une vingtaine d’années, à Zahrani au Liban-Sud, mais aussi à cause d’une certaine psychose alimentée par les réseaux sociaux.

Les dégâts provoqués par les pluies diluviennes ininterrompues de la journée et le vent, qui a atteint sur le littoral des pics de 110 km/heure, selon l’Institut libanais de recherches agricoles (LARI), sont certes normaux et prévisibles, compte tenu de la violence de la tempête polaire qui est appelée à régresser à partir d’aujourd’hui. Ce qui est en revanche anormal, c’est le laisser-aller officiel accumulé au fil des années à tous les niveaux de la gestion des affaires publiques et qui fait qu’aujourd’hui, faute d’une infrastructure acceptable, le pays a été littéralement noyé. Comble de l’ironie : les plaisanteries relayées sur les réseaux sociaux au sujet des inondations ou des volumes de ruissellements à l’origine de glissements de terrains catastrophiques dans plusieurs régions n’étaient finalement pas si fictives que cela. En début de soirée, l’Agence nationale d’information (ANI, officielle) annonçait dans une dépêche que l’unité de secours maritime de la Défense civile « s’employait à sauver les individus bloqués dans leurs voitures à cause de l’accumulation de l’eau sur l’autoroute de Dbayé et à dégager les caniveaux pour réduire le niveau de l’eau ». Le Liban dans son ensemble a vu l’autoroute noyée sous une eau boueuse, les centaines de voitures prises au piège et les barques Dinghy à bord desquelles les automobilistes et les passagers étaient évacués. Les secouristes de la Défense civile ont dû briser les balises en béton qui séparent les deux voies de l’autoroute pour assurer l’écoulement de l’eau.


(Lire aussi : Au Liban, des camps de réfugiés syriens dévastés)


Le même spectacle de désolation se répétait un peu partout hier, où les eaux de pluie ont l’habitude, depuis des années, de former des mares géantes. Sauf que, hier, il ne s’agissait plus de mares, mais de véritables torrents et lacs dans la banlieue sud de Beyrouth, et plus particulièrement à Hay el-Sellom, où une crue de la rivière Ghadir a provoqué des inondations dans les demeures alentour, sur la route de l’aéroport, où de nombreux automobilistes, bloqués dans le tunnel, ont dû être secourus par la Défense civile parce que le niveau de l’eau a pratiquement atteint les vitres de leurs véhicules, à Choueifate, Manara, Tyr, Saïda et Tripoli.

Les torrents d’eau boueuse, qui ont dévasté de nombreux établissements de commerce et demeures partout au Liban, ont été meurtriers à Houmine el-Fawqa, au Liban-Sud, où Ali Jomaa, pris au piège d’eaux de ruissellement, a perdu le contrôle de son véhicule qui a versé dans un ravin près de la rivière Zahrani. À Minié, au Liban-Nord, une petite Syrienne de 8 ans qui jouait avec sa sœur à l’entrée de la maison familiale a été emportée par le courant. Jusqu’à l’heure d’aller sous presse, l’enfant n’avait pas été retrouvée, alors qu’en dépit de la tempête, des recherches ont été aussitôt lancées par les FSI, la Défense civile et des volontaires de la région pour la retrouver.


(Lire aussi : Plaidoyer pour Norma, l'édito de Issa GORAIEB)


Des réunions et des critiques

Au niveau des administrations, des réunions extraordinaires ont été convoquées pour parer au plus urgent. C’est ainsi que le mohafez du Liban-Nord, Ramzi Nohra, a ordonné en milieu de journée la fermeture de la voie de l’autoroute du littoral dans le sens Chekka-Beyrouth, à la sortie du tunnel, en raison d’éboulements répétés de rochers. Cette voie devrait être condamnée, selon lui, en attendant que des murs de soutènement soient construits. Parallèlement, le mohafez du Mont-Liban, Mohammad Mekkaoui, qui a présidé une réunion de coordination à la chambre d’opérations improvisée au sérail de Baabda, a ordonné la fermeture provisoire des deux routes de Dahr el-Baïdar et de Zahlé-Tarchiche pour éviter que des conducteurs ne soient bloqués dans la neige.

Pendant que les secouristes de la Défense civile et de la Croix-Rouge libanaise volaient au secours des personnes bloquées par la tempête, que ce soit dans leurs véhicules ou leurs habitations dévastées par les eaux ou la terre, des hommes politiques faisaient la tournée de zones sinistrées. À Hay el-Sellom, les deux ministres sortants des Finances, Ali Hassan Khalil, et de l’Agriculture, Ghazi Zeaïter, ont inspecté les dégâts provoqués par la montée des eaux d’une rivière qui déborde de son lit à chaque tempête en raison des constructions illicites sur les rives du cours d’eau. Le problème est connu depuis des années, mais aucune mesure n’a été prise au plan officiel pour le régler. Après avoir annoncé que des fonds ont été finalement prévus à cette fin, Ali Hassan Khalil s’en est vivement pris à un « État incapable de prendre des décisions radicales et d’assumer ses obligations ». « La rivière Ghadir en est l’exemple frappant », a ajouté ce ministre, dont le mouvement politique, Amal, participe à tous les gouvernements depuis la fin de la guerre et est partie intégrante de cet État qu’il critique.

Ce que Ali Hassan Khalil n’a pas en revanche expliqué, ce sont les raisons pour lesquelles les fonds pour le Ghadir n’avaient pas été débloqués plus tôt, puisque les crues catastrophiques sont pratiquement annuelles, pourquoi des murs de soutènement ou des balises ne sont pas aménagées sur les routes principales où les risques d’éboulement sont réels, ou pourquoi les vieilles canalisations ne sont pas remplacées par un nouveau réseau de caniveaux à même d’absorber la quantité de pluie qui tombe au Liban chaque année et qui s’est amplifiée du fait du changement climatique.


(Lire aussi : Pour la Croix-Rouge, « la tempête n’a rien d’extraordinaire »)


Entre autres indicateurs de la négligence et du laisser-aller administratifs officiels, l’affolant ruissellement des eaux à partir des joints de dilatation du pont Salim Salam, appelé aussi pont Cola, qui a fait le tour des réseaux sociaux, et le rapport accablant du ministre d’État sortant contre la corruption, Nicolas Tuéni. Alors qu’à la municipalité de Beyrouth, on indiquait que le pont, sur lequel des travaux d’entretien sont menés depuis plusieurs mois, ne risque pas de s’effondrer, M. Tuéni soulignait dans son rapport « l’urgence » d’un entretien. « Nous avons reçu des informations selon lesquelles l’entretien du pont Cola ne peut pas du tout attendre », a écrit M. Tuéni dans son rapport, en soulignant que les travaux d’entretien des barrières et des joints de dilatation de l’ouvrage routier avaient été adjugés depuis sept mois. Il y a lieu de préciser dans ce contexte que c’est la compagnie de Jihad el-Arab, en charge de la construction de la décharge de Costa Brava, et du tri et du traitement des déchets de Beyrouth et du Mont-Liban (hors Jbeil), qui mène les travaux d’entretien du pont.

Dans son rapport, M. Tuéni constate aussi un ruissellement des eaux de pluie dans les deux tunnels de Salim Salam – dont les travaux d’entretien avaient été adjugés il y sept mois aussi – et d’Achrafieh. Il juge nécessaires des investigations au sujet de ces manquements et demande au président Michel Aoun, ainsi qu’au Premier ministre désigné, Saad Hariri, de donner leurs instructions pour la mise en place d’une commission d’enquête composée du procureur financier, des présidents de l’Inspection centrale et du CDR, des mohafez concernés, et des consultants chargés des études et de la surveillance des projets d’infrastructure. Cette commission devra, selon lui, se rendre sur les sites où des éboulements, des inondations et des fissures se sont produits et établir un rapport sur base duquel les responsabilités devraient être déterminées, préalablement à des poursuites devant le parquet financier. Affaire à suivre… sans illusions.


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commentaires (14)

Pathétique, pathétique, pathétique!

otayek rene

19 h 03, le 10 janvier 2019

Tous les commentaires

Commentaires (14)

  • Pathétique, pathétique, pathétique!

    otayek rene

    19 h 03, le 10 janvier 2019

  • ZALLATET LIMZALTIIINNN...

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 12, le 09 janvier 2019

  • Jusqu'à présent, les innombrables Commissions de tous genres n'ont jamais su régler aucun des problèmes qu'on leur a confiés, en n'importe quel domaine ! Ce qui est normal, puisque les personnes qui les constituent sont toutes aussi incapables et ignorantes que ceux qui les nomment... Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 31, le 09 janvier 2019

  • Une urbanisation médiocre et des infrastructures à peine existantes. D'où l'intérêt d'un gouvernemen. Encore faut-il qu'il s'en occupe.

    Sarkis Serge Tateossian

    13 h 20, le 09 janvier 2019

  • La journaliste appelle un chat un chat et un ministre une plante verte. J'apprécie le sulfatage en règle de M. Ali Hassan Khalil. Quant au ministre Nicolas Tuéni, il arrive toujours après la bataille. Peut-il nous tenir informés des travaux des multiples commissions mises sur pied depuis son arrivée aux affaires ?

    Marionet

    10 h 29, le 09 janvier 2019

  • ON N,AVAIT PAS BESOIN DE NORMA POUR VOIR L,INCURIE TOTALE DE NOS ABRUTIS, IGNORANTS ET INCAPABLES. LE MAL EST INNE. A QUAND LE BON DEBARRAS... A QUAND LE DEGAGEZ ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 26, le 09 janvier 2019

  • En attendant que le pont s’écroule on boira du cola et on contemplera les immondices sur la Costa brava ...le rêve mes amis , c’est ça le Liban ! On pourrait en faire une chanson de ces paroles . Plus sérieusement : C’est sidérant de bêtises et consternant tout cela .

    L’azuréen

    10 h 05, le 09 janvier 2019

  • Merci pour avoir nommé les responsables de ces négligences ! Il est temps !

    Samira Fakhoury

    10 h 04, le 09 janvier 2019

  • UBUESQUE, ENCORE ET TOUJOURS, AD VITAM AETERNAM!

    Georges MELKI

    09 h 44, le 09 janvier 2019

  • Ali Hassan Khalil s’en est vivement pris à un « État incapable de prendre des décisions radicales et d’assumer ses obligations » Vraiment? Sans rire? Et pourtant les ministres, à la base, dans notre raie publique, ne sont pas nommés pour ces choses là. Il ne sont nommés que pour satisfaire les divers égos confessionnels, et surtout pour se mettre des bâtons dans les trous les uns les autres (pardon, les roues, typo...) afin de bloquer toute décision, quelle que soit sa pertinence, pourvu qu’elle ne puisse être associée au succès d’une partie ou d’une autre. Sinon on parlerait de "tiers de fonctionnement" plutôt que de "tiers de blocage"... Et dire que l’Allemagne fonctionne avec un gouvernement de huit ministres seulement, la Suisse cinq (plus l’avis du peuple par référendum pour toute décision administrative). Et nous il nous en faut trente. Et qui de surcroît n’arrivent pas à s’entendre sur quoi que ce soit...

    Gros Gnon

    09 h 36, le 09 janvier 2019

  • Chaque année c'est la même chose côté dégâts après une tempête ou des pluies torrenetielles.. ça me fait penser au fameux proverbe libanais: Si on leur crache dessus, ils disent qu'il pleut. Sauf que cette fois c'est vrai et des cordes! Autant en profiter, tiens! Moi je sais ce que je vais continuer de faire et vous? ;)

    Tina Chamoun

    09 h 15, le 09 janvier 2019

  • L'incurie officielle est une évidence à divers niveaux depuis bien trop longtemps, mais il n'en reste pas moins que les pluies diluviennes font des dégâts au moins aussi importants en Europe ou aux Etats-Unis, pourtant supposés être bien mieux parés que nous à ce type de catastrophes...

    NAUFAL SORAYA

    08 h 19, le 09 janvier 2019

  • Ne le répétez pas svp, une de mes soeurs s'appellent Norma. Elle m'a juré n'y être pour rien.

    FRIK-A-FRAK

    01 h 58, le 09 janvier 2019

  • Non mais, quelle rigolade... Alors, encore une fois, après la catastrophe qui se répète à chaque saison, on réalise, comme par hasard, les déficiences énormes dans l’entretien des infrastructures, des ponts et des routes, les négligences criminelles impunies... Et voilà ces messieurs qui descendent inspecter les dégâts et, vouloir soit-disant mettre sur pied des commissions pour trouver les coupables etc... Vous rappelez-vous le scandale récent des inondations de Ras-Beyrouth du au blocage et détournement des canalisations près du projet de l’Eden Rock? même comédie, et puis plus rien... Allez, tout serait oublié dans une semaine au retour du soleil et, comme on dit: après moi le déluge...

    Saliba Nouhad

    01 h 41, le 09 janvier 2019

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