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Liban - Interview

« Le mariage avant 16 ans doit être criminalisé »

La rapporteuse spéciale de l’ONU Dubravka Simonovic, en visite au Liban, espère que le débat actuel permettra l’adoption d’une loi fixant l’âge minimum du mariage à 18 ans.

La rapporteuse spéciale des Nations unies chargée de la violence contre les femmes, Dubravka Simonovic, à Beyrouth. Photo A.-M.H.

Dubravka Simonovic est rapporteuse spéciale des Nations unies chargée de la question de la violence contre les femmes, ses causes et conséquences. Le 4 décembre, elle était de passage à Beyrouth pour participer à la Conférence de consultation nationale sur le mariage des enfants. Un événement organisé par le Rassemblement démocratique des femmes libanaises (RDFL), avec le soutien du ministre d’État sortant aux Droits de la femme, Jean Oghassabian, et du Conseil de la femme libanaise. À travers L’Orient-Le Jour, Mme Simonovic adresse un message aux autorités libanaises, les invitant à mettre fin au mariage précoce et forcé, et à mener une politique de prévention contre une telle pratique. Et ce compte tenu que la totalité des communautés religieuses qui gèrent les questions du statut personnel autorisent dans leurs textes le mariage des mineurs. Les filles sont les principales victimes de ces mariages, certaines sont mariées dès l’âge de 14 ans et, plus rarement, dès l’âge de 9 ans dans certaines communautés musulmanes du Liban.


Quel est l’objectif de votre visite au Liban ?

Ma présence à Beyrouth vise à participer à la consultation nationale sur le mariage des enfants, en tant que rapporteuse spéciale des Nations unies chargée de la question de la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, et à y présenter mes recommandations. Je viens donc m’exprimer sur le mariage précoce et forcé, comme nous appelons aujourd’hui le mariage des enfants avant l’âge de 18 ans, et adresser un message aux autorités libanaises, leur disant qu’il s’agit d’une forme de violence basée sur le genre contre les femmes. Car les filles du Liban sont particulièrement touchées par cette réalité. Aux autorités libanaises, je dis aussi qu’elles ont le devoir d’adopter une politique préventive à l’égard des mariages précoces et forcés. J’étudie enfin le moyen d’encourager le gouvernement libanais à appliquer les standards internationaux concernant les droits des femmes, l’élimination des pratiques discriminatoires et de la violence à leur encontre, incluant le mariage des mineurs.

Comme je ne suis pas en visite officielle au Liban, je ne rencontrerai pas de personnalités officielles ou politiques, ni des représentants d’organisations internationales.


(Lire aussi : Âge légal du mariage : le débat fait rage, mais les instances islamiques ne cachent pas leurs réticences)


Pouvons-nous parler de progrès réalisés au Liban sur le mariage précoce et forcé ?

Nous constatons un débat sur la possibilité d’une nouvelle législation concernant l’âge du mariage. C’est un pas important. Lors de recommandations précédentes, le Comité des droits de l’homme des Nations unies (HCDC) et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Cedaw) avaient réclamé des changements. Mais il ne s’est rien passé de concret. Aujourd’hui, une proposition de loi est à l’étude. Des brouillons de lois sont en attente. J’espère que ces initiatives seront le point de départ de réels changements en faveur de l’adoption d’une loi contre le mariage précoce et forcé.

Quel est votre avis sur la proposition de loi portant à 18 ans l’âge légal du mariage, sachant que cette loi envisage les exceptions dès l’âge de 16 ans ?

L’âge minimal du mariage doit être fixé par la loi à 18 ans pour les filles et les garçons. Si la loi risquait de ne pas être adoptée de cette manière, l’âge minimal pourrait alors être fixé à 16 ans. Mais il ne doit en aucun cas être abaissé davantage. Et si jamais la question se pose, le terme de mariage ne s’applique plus. Il s’agit plutôt de violence contre les jeunes filles, de viol, d’esclavage forcé… Nous adressons au Liban un message clair : le mariage de fillettes de 13 ans, ou moins parfois, est inacceptable et rejeté par l’ensemble des lois et conventions internationales. Il doit être criminalisé. Et les lois doivent être amendées dans ce sens. Car avant 16 ans, il ne peut y avoir de consentement. Le mariage est une violation du droit à la vie et à l’éducation des filles. Non seulement il limite leur liberté de mouvement, mais il les soumet aussi au risque de la violence domestique.

Dans le cadre de l’initiative menée, il est aujourd’hui nécessaire d’établir des registres des mariages de mineurs et d’envisager une stratégie future, notamment la possibilité d’ouverture vers le mariage civil, la lutte contre les causes du mariage précoce, la sensibilisation des populations vulnérables aux dangers du mariage des enfants. Il faut de plus se pencher sur les alternatives envisagées par les représentants des communautés religieuses qui refusent d’appliquer les recommandations onusiennes.

(Lire aussi : La société libanaise se prononce contre le mariage avant 18 ans, mais peine à aller plus loin)


À quelle place se situe le Liban sur l’échelle des pays pratiquant le mariage précoce et forcé ?

Nous ne classons pas les pays, mais partons des conventions internationales comme la Cedaw, la loi contre la violence envers les femmes, la Convention des droits de l’enfant… et vérifions comment sont appliqués les standards. Chaque État doit se conformer à ces standards universels, dans le respect des droits des femmes.

Notre mission est de nous conformer à l’agenda 2030 de développement durable qui a été accepté par tous les pays. Il met en lumière l’autonomisation des femmes, l’égalité des genres, et a pour cible l’élimination de la violence envers les femmes, et plus particulièrement l’abolition du mariage des fillettes. Car lorsqu’un des deux conjoints est âgé de moins de 18 ans, il s’agit généralement d’une fille. Pour réaliser cet objectif, il ne faut laisser personne à la traîne et se pencher sur les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant, tout en évaluant les mauvaises pratiques. Il faut aussi comprendre que l’éducation est la clé de l’autonomisation des femmes, que le mariage des jeunes filles les prive d’une éducation convenable.

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