Le parquet de Tokyo a l'intention de formuler une nouvelle accusation contre l'homme d'affaires franco-libano-brésilien Carlos Ghosn concernant la sous-évaluation présumée de ses revenus, ce qui pourrait conduire à son maintien en détention jusqu'à la fin de l'année, écrit mardi le quotidien Sankei. Le journal ajoute, sans préciser ses sources, que le parquet a l'intention de procéder le 10 décembre à une nouvelle arrestation de Carlos Ghosn - et de son ancien conseiller chez Nissan Greg Kelly - pour avoir minimisé d'environ quatre milliards de yens (31 millions d'euros) sa rémunération entre 2015 et 2017. Si la justice autorise la durée de détention maximale avant inculpation pour ce dossier, Carlos Ghosn et Greg Kelly seront incarcérés jusqu'au 30 décembre.
Les deux hommes sont déjà en prison depuis le 19 novembre. Dans ce premier dossier, Carlos Ghosn est accusé d'avoir déclaré environ la moitié des quelque 10 milliards de yens de sa rémunération perçue sur une période de cinq ans allant jusqu'à 2010. Leur incarcération a été prolongée vendredi dernier jusqu'au 10 décembre. Le parquet de Tokyo s'est refusé à tout commentaire sur l'article de Sankei.
Carlos Ghosn n'est pas en mesure de répondre lui-même aux accusations portées contre lui et le cabinet de son avocat, Motonari Otsuru, ne répond pas aux demandes de commentaires. Selon la chaîne de télévision japonaise NHK, l'ancien président de Nissan nie les malversations dont il est soupçonné.
Au Japon, un suspect peut rester en garde à vue jusqu'à 22 jours en cas d'interpellation par le parquet, 23 jours par la police. Au bout des premières 48 heures, le parquet doit demander une prolongation de la détention à un juge, mais ce dernier donne son feu vert dans l'écrasante majorité des cas. A l'issue de cette première période, il est courant que le suspect soit arrêté de nouveau pour un autre motif. Le processus peut être répété et des suspects se trouvent ainsi parfois derrière les barreaux pendant des mois sans être inculpé et sans libération sous caution. A titre de comparaison, la durée de la garde à vue est en principe de 24 heures en France. Elle peut atteindre 96 heures pour les affaires hors terrorisme, et 144 heures pour les affaires de terrorisme.
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Le système judiciaire japonais critiqué depuis des années
Si le monde a découvert, avec l'arrestation choc de Carlos Ghosn, le fonctionnement du système judiciaire japonais, celui ci suscite depuis des années des critiques. "Il n'y a pas de système parfait, mais celui du Japon est unique en ce qu'il permet une détention prolongée avant même toute inculpation et empêche les avocats d'assister aux auditions", résume Kana Sasakura, professeur à l'université Konan de Kobe (sud-ouest). Cette pratique "crée un environnement qui favorise les interrogatoires musclés et risque d'aboutir à des aveux forcés et des condamnations injustifiées", estime Amnesty International, contacté par l'AFP.
Ce fonctionnement est un héritage des années chaotiques de l'après-guerre, quand le Japon, soucieux de rétablir rapidement l'ordre, conféra un pouvoir accru aux procureurs, au détriment des droits des suspects. La confession est considérée par policiers et procureurs comme la clé de voûte du dossier, ouvrant la voie à la vérité, même si les expériences d'autres pays ont montré qu'il fallait s'en méfier, explique Mme Sasakura. "Tout se joue pendant les investigations, pas pendant le procès" à l'issue duquel l'accusé est jugé coupable dans 99,9% des cas. "C'est incompréhensible qu'ils s'obstinent à user de cette vieille méthode, quand il y en a de meilleures", poursuit-elle. D'autant qu'elle a abouti à des erreurs judiciaires notables.
En 2009, une haute fonctionnaire du ministère de la Santé avait ainsi été arrêtée pour escroquerie présumée et détenue des mois. Elle sera finalement blanchie et des membres du parquet poursuivis pour falsification de preuves. De même quatre condamnés à mort ont-ils bénéficié, au cours des dernières décennies, d'un nouveau procès au terme duquel ils ont été innocentés et libérés après des années à l'isolement.
Statu quo face aux critiques
"Protéger les droits d'un suspect est une tâche extrêmement difficile, gagner l'empathie du public aussi", relève, de son côté, Hirofumi Uchida, expert de l'université de Kyushu (sud). Très souvent, la presse s'empresse d'accabler le gardé à vue, lui laissant peu de chances de rétablir sa réputation même s'il est relâché plus tard sans charges. "Il faut élever le système à la hauteur des normes internationales", estime l'expert, joignant sa voix aux avocats de la défense et militants des droits de l'homme. Et de préconiser des gardes à vue plus courtes, des avocats présents pendant les auditions et des juges qui ne s'appuieraient pas autant sur les aveux. "Si rien ne change, le sujet pourrait devenir une source de discorde internationale", prévient M. Uchida, alors que certains en France se sont offusqués du traitement réservé à Carlos Ghosn.
Mais l'opinion publique japonaise paraît réticente à toute réforme, dans un archipel très sûr où crimes, prisons et tribunaux apparaissent au quidam comme un autre monde. De cette sécurité, les procureurs, juges et policiers s'estiment garants par leur travail, souligne le professeur. Les autorités insistent aussi sur la culture unique du Japon, balayant les remarques venues de l'étranger. "Chaque pays a sa propre histoire, sa propre tradition, ses propres systèmes judiciaires. Je ne critique pas les règles des autres pays juste parce qu'elles sont différentes, et je trouve cela malvenu de le faire", a ainsi déclaré la semaine dernière Shin Kukimoto, procureur adjoint de Tokyo.
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commentaires (5)
Il faut faire face à cette non indulgence du côté japonais, par tous les moyens efficaces et agir en conséquence. On est choqué d'apprendre ce qu'est le systéme judiciaire dans ce pays qui ne peut prétendre être conforme aux normes internationales du droit. Alerte dès à présent!
Esber
19 h 18, le 05 décembre 2018