Cela fait près de 40 ans que le nom de famille Battal est associé au domaine de la restauration à Beyrouth. Premier bastion : Au Vieux Quartier, dans les années 1970, où l’un des deux frères Battal gérait la cuisine tandis que l’autre s’occupait du service et des relations publiques. Les souvenirs que les cellules mnémoniques et les papilles gardent de cet âge d’or ne s’effaceront pas de sitôt. Depuis, les deux frères se sont séparés et chacun s’est associé (en tant que copropriétaire ou gérant) dans plusieurs restaurants – dont le Lutécia, l’Alésia, Le Marais, Barbizon, Au Pont Neuf, Cocteau-Sodeco et Cocteau-centre-ville, tous centrés sur une expérience gastronomique française. Ainsi, lorsque Quartier Chic (référence évidente Au Vieux Quartier) a récemment ouvert ses portes, toutes les attentes auraient dû être dépassées. Après tout, avec plus de 40 ans d’expérience, qu’est-ce qui pouvait mal tourner ?
L’emplacement de cette nouvelle brasserie, ainsi que sa terrasse, sont sublimes. En pièce centrale, un imposant olivier, bien éclairé et tout autour, un jardin foisonnant. À l’intérieur, une belle hauteur sous plafond mais les lieux n’ayant malheureusement pas été équipés de matériaux d’isolation sonore, l’acoustique de la salle est très mauvaise.
Maroun Battal et son fils Wadih sont toujours présents, surveillant la bonne marche du service. Problème : depuis Cocteau Sodeco (75 personnes) à Cocteau centre-ville (140 personnes) et finalement à ce Quartier Chic (200+ personnes), à chaque déménagement, l’espace est plus grand et le service ne suit pas. Les serveurs sont lents, manquent de professionnalisme et vous laissent globalement le goût amer d’une expérience décevante – ce à quoi vous pourriez vous attendre d’un petit bistro tenu par un débutant, mais pas de la part de Maroun Battal. De plus, la qualité de la nourriture est décevante, les portions sont petites et les prix très élevés. Pour une cuisine française soit-disant haut de gamme, ils ne proposent rien de nouveau, la carte manque d’imagination et n’offre pas de nouvelles saveurs qui auraient pu nous inciter à revenir.
Haché menu
Prenons par exemple le cas du steak tartare, autrefois best-seller de la maison, assiette incontournable pour impressionner les clients. Plus maintenant et loin de là. Contrairement aux frites qui, nous dit-on, sont coupées à la main, il est regrettable que la viande semble être hachée à la machine, plutôt que d’être préparée « au couteau et à la minute », comme il se doit. L’originalité dans tout cela ? Servir le steak tartare sous une forme carrée plutôt qu’arrondie !
L’on trouvera bien quelques bonnes assiettes au menu : le tartare de saumon est bon, tout comme la salade de fromage de chèvre et la salade de crabe frais. Pour ce qui est des crevettes tempura, servies avec un pepper dip qui ressemble fort à une sauce cocktail, elles débarquent sur une assiette austère, sans aucun effort de présentation. Idem pour la salade quinoa avec ses unagi eel sans saveur. Quant aux coquilles Saint-Jacques poêlées, elles étaient trop cuites, servies sèches et non moelleuses.
Premier coup de couteau dans le Chateaubriand Voronoff, espérant que les plats chauds allaient relever l’expérience jusque-là décevante – la déception est double venant de la part d’un grand restaurateur qui avait déjà placé la barre trop haut dans ses autres établissements. Ni cuit à la température demandée ni possédant un bon goût de viande. Étonnamment, le Wagyu MB7 non plus, même si, avec son grade 7, il aurait dû être très, très spécial. MB7+ représente moins de 0,000000001% de la totalité du bœuf dans le monde. Il va sans dire qu’un bon steak Wagyu Sirloin grade 7 coûte plus de 60 USD au prix de gros pour un morceau de 250 g, comme celui qui nous a été servi pour seulement 82 000 LL au restaurant. Ce n’était certainement pas le genre de viande qui fond dans la bouche. Un Wagyu MB7 doit avoir une texture fine et soyeuse, une riche marbrure, une saveur et une tendresse incroyables, avec une douceur qui approche le niveau de beurre. C’était loin d’être le cas. Décidez vous-mêmes alors si c’est un Wagyu MB7 ou non.
Pendant que nous y sommes, quelqu’un devrait leur expliquer que c’est Wagyu, pas Wagu. Et encore, c’est Voronoff pas Vorronoff pour ne citer que deux des fautes d’orthographe qui émaillent le menu et la facture ! Pire encore, ils expliquent spécifiquement au client dans un tableau bordé de rouge la signification de chaque température de cuisson dans une description claire et concise de la section « Comment commander votre steak ». L’on peut se demander si le chef responsable du grill a lu ce tableau...
Ce n’est pas du côté des accompagnements que les choses s’arrangent. Les champignons sauvages étaient épuisés dès 21h alors que les clients affluaient encore. Après avoir opté pour les frites, et après que les plats principaux eurent été servis, le serveur nous informe que les frites sont également épuisées. Il s’en excuse en soulignant que cela était dû à une mauvaise estimation du besoin quotidien en pommes de terre. Pour remédier au manque, le serveur a tout simplement divisé une assiette de frites en deux portions...
Quant au chilean sea bass, il était sec et sans goût. Pas d’épices, pas de sauce, rien. Le riz noir commandé en sus était également fade. Mais le plus surprenant après toutes ces péripéties, c’est que pratiquement tous les plats chauds ont exactement la même présentation. Des assiettes préparées à l’avance, ornées d’une triple ligne de réduction balsamique en zig-zag, d’une demi-tomate cerise et d’un petit mélange de feuilles vertes sans aucune vinaigrette, que ce soit pour une assiette de viande ou de poisson... Les seuls plats savoureux commandés ce jour-là étaient le roastbeef tenderloin servi avec une sauce au vin rouge, ainsi que le plat du jour que nous avons essayé dans ses deux versions : sole grillée et sole meunière. Espérons que la fameuse bouillabaisse maison soit au menu de cet hiver. Mais cela n’est pas sûr puisqu’il paraît que le chef de cuisine qui a côtoyé la famille Battal pendant toutes ces années n’a pas été transféré au Quartier Chic.
Au final de cette mésaventure, ce fut un véritable plaisir de déguster de délicieux desserts. La coupe de fruits rouges, très rafraîchissante, aux belles proportions, est quand même facturée à 30 000 LL. Le sorbet mandarine est à ne pas manquer...
Au final, disons que si vous voulez scruter une multitude de voitures de luxe, admirer les derniers modèles en matière de mode et d’accessoires, faites un passage par Quartier Chic. On y claque plus de 100 dollars pour un repas inférieur à la moyenne, mais bon, si vous réservez à l’avance, votre nom sera imprimé au haut de la facture ! Alors souriez...
*Critique gastronomique
Il agit dans l’ombre, même si sa signature énigmatique lui donne des airs de gentlemen franco-anglais. Cordon Courtine sévit dans les restaurants de la capitale undercover pour y goûter le meilleur, et parfois le pire. Il revient, un samedi sur deux, pour vous donner ses impressions, toujours très objectives, sur tout ce qui fait la (bonne) réputation d’un restaurant, des saveurs aux odeurs, en passant par la décoration et la propreté des lieux. Bon appétit.
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E-mail : cordoncourtine@gmail.com
DATA
Son : niveau max = 97,6 dB, TWA = 62,4 dB
Qualité de l’air : 85/100 (bien), COV 0,24ppm, humidité 71%, température +25°C
NOTES
Son : 3/5
Décoration : 4,5/5
Personnel : 2/5
Plats : 2,5/5
Propreté : 4/5
Avis : décevant
Prix : très élevé
En résumé…
On aime bien : la terrasse et son jardin, le tartare de saumon, la salade de chèvre chaud, le roastbeef tenderloin avec sa sauce au vin rouge, la sole meunière, la coupe de fruits rouges, le sorbet mandarine.
On aime moins : le service, la présentation des plats, le steak tartare, les coquilles Saint-Jacques, la salade unagi eel quinoa, le chilean sea bass, le Chateaubriand Voronoff, le sirloin Wagyu MB7.
Le conseil : si vous insistez pour y aller, assurez-vous d’aller y déjeuner pendant un jour de semaine ensoleillé. De cette façon, vous profiterez de la sublime terrasse et le service serait plus ciblé avec une clientèle plus petite.
Quartier Chic, rue Omar Daouk, Minet el-Hosn. Tél. : 01-999344.
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Une fois n'est pas coutume j'ai envie d'abord de remercier pour son courage et le professialisme de l'éditorialiste Cordon Courtine, qu'elle liberté de ton et justesse de notation qui m'enthoudiaste à La lecture de cet article. On sent un caractère libéré, affranchi mesuré, qui n'a que le travail bien fait comme finalité, et j'avoue qu'au Liban il faut avoir beaucoup de courage pour jouir d'une telle liberté. Respects Madame. Pour le reste, j'adhère totalement ce qui est dit. A savoir si on veut aller à un concert on choisit l'interprète des belles chansons qui nous plaisent et non pas le chanteur qui va se produire dans un quartier chic et huppé..... Quoi qu'il en soit, je lui souhaite bonne chance à ce restaurateur et courage pour opérer les transformations nécessaires.
11 h 36, le 24 novembre 2018