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Liban - Violence conjugale

L’époux de Roula Yaacoub innocenté, Kafa annonce son intention de se pourvoir en cassation

La chambre criminelle du Liban-Nord a pourtant reconnu les violences répétées de Karam el-Bazi envers la victime.

Une photo de Roula Yaacoub, tirée du site Facebook de Red Lips High Heels.

Le 7 juillet 2013, Roula Yaacoub, mère de cinq filles, mourait au Akkar d’une hémorragie cérébrale, sous les coups de son époux, Karam el-Bazi. Mais la chambre criminelle du Liban-Nord a innocenté mardi le mari violent pour absence de preuves, tout en reconnaissant ses violences répétées contre son épouse. Plus exactement, elle a estimé que les preuves avancées n’étaient pas probantes. C’est à une majorité de deux voix contre une que le jugement a été rendu, les deux juges conseillers, Khaled Akkari et Ziyad Dawalibi, ayant innocenté Karam el-Bazi, contre l’avis du président de la cour, le juge Dani Chebli.

Brièvement arrêté peu après la mort de son épouse, puis libéré, Karam el-Bazi a fait l’objet d’un mandat d’arrêt le 13 mai 2016, qui n’a jamais été exécuté. Mais la mort de Roula Yaacoub a accéléré l’adoption au Parlement de la loi sur la violence domestique.

Contactée par L’Orient-Le Jour, l’association Kafa qui milite contre la violence domestique et suit le dossier depuis cinq ans dénonce « un verdict injuste et non équitable » envers la victime. Après des années de mobilisation en faveur des femmes battues notamment, elle dénonce « des aberrations dans le jugement rendu », et « promet de se pourvoir en cassation au nom de la mère de la victime », compte tenu que le jugement de la chambre criminelle, qui est une juridiction pénale, est susceptible uniquement d’un recours en cassation. Elle insiste sur la nécessité de prendre en considération l’avis du président de la juridiction, le juge Chebli dont elle salue le courage et invite le parquet général du Liban-Nord à se pourvoir également en cassation.

Dénonçant fermement le jugement, l’avocate de Kafa, Leyla Awada, affirme à L’OLJ que cette décision suscite de nombreuses interrogations. « Le crime est clair. Le dossier est simple. Un homme a battu une femme, sans intention de donner la mort. Cette dernière est décédée. Et les preuves sont bel et bien là, non seulement les traces de coups sur le corps de la victime, mais les cheveux retrouvés par terre, et le bâton cassé avec lequel Roula Yaacoub a été frappée, comme l’a raconté sa fille à la voisine aussitôt après le drame », souligne-t-elle. « On est en droit de se demander pourquoi la justice n’a pas fait un lien de cause à effet entre les coups assénés par un mari violent et le décès de la malheureuse. D’autant que la cour a bien reconnu que la victime était régulièrement battue par son époux. Cette violence conjugale répétée n’a-t-elle pas de prix ? Et qui va en payer le prix ? » demande encore Me Awada. Mais pour l’instant aucune réponse à ces questions pourtant légitimes.


(Pour mémoire : Violence conjugale : ces Libanaises qui ont perdu la vie ces trois dernières années)


Absence de preuves

Décortiquant pour L’OLJ les arguments des juges, Rayan Majed, responsable de la communication de Kafa, explique. « Les deux juges conseillers (Akkari et Dawalibi) ont considéré que le mari est innocent pour absence de preuves. Ils n’ont pas pris en compte les témoignages du voisinage, estimant que ces témoignages n’avaient pas qualité de preuves », note-t-elle. Notamment celui de la proche voisine qui s’est précipitée en début de soirée au chevet des fillettes (alors âgées entre quelques mois et 13 ans), à l’issue du drame. L’aînée (née en 2001) lui avait raconté que son père avait battu sa mère au moyen du bâton d’une raclette à sol, avant de se retourner contre elle. La fillette avait surtout supplié la voisine de ne rien dire, son père l’ayant menacée de mort si elle le répétait à quelqu’un. « Si tu le racontes à quelqu’un, je te tue », lui avait-il dit. Les deux juges conseillers ont aussi fait fi du témoignage d’un voisin qui « avait entendu des cris, dans la maison de la victime, peu avant son décès, et qui raconte avoir compris qu’il s’agissait d’une dispute entre Karam el-Bazi et son épouse Roula Yaacoub, sous forme d’interrogatoire que faisait subir l’époux à sa femme ». « Ce voisin a bien tenté de calmer les choses en sonnant à la porte, mais le mari violent lui a répondu que tout allait bien, avant de poursuivre son agression contre son épouse », rappelle Mme Majed.

Les deux juges ont de plus estimé que les traces de coups observées sur le corps de Roula Yaacoub ne constituent pas les causes du décès. Ils n’ont donc pas pris en considération la violence conjugale. Et ce parce que la fille de la victime est revenue sur ses propos, et affirmé que son père n’avait pas frappé sa mère ce soir-là. « Les juges n’ont donc pas retenu les témoignages des deux voisins, pourtant adultes et responsables », déplore Mme Majed. La représentante de Kafa tient à préciser sur ce plan que « la fille aînée, jeune adolescente au moment du drame, a été placée sous la tutelle de son père. Et qu’elle a été entendue par les juges en présence de sa tante paternelle. Ce qui justifie sa peur et la modification de sa déposition ».


(Lire aussi : Au Liban, une coalition nationale voit le jour contre le mariage précoce)


Une affaire loin d’être terminée

Quant aux arguments du président de la chambre criminelle du Liban-Nord, le juge Dani Chebli, ils reposent sur « des faits et des preuves irréfutables que Karam el-Bazi a bien provoqué le décès de sa femme ». Et que son acte relève du « crime à caractère spécifique, tel que décrit par l’article 550 du code pénal », indique la représentante de Kafa. Le juge Chebli a ainsi estimé que le meurtrier n’avait pas nécessairement prémédité son acte, mais il savait bien que les coups qu’il portait intentionnellement à sa victime pouvaient provoquer son décès. « Le meurtrier a donc commis un acte délibéré qui a entraîné la mort de sa victime, souligne Mme Majed. Et qui plus est, les actes de violence étaient visibles, puisque le corps de la malheureuse était couvert d’ecchymoses. »

Le juge Chebli a enfin tenu à prendre en considération les témoignages du voisinage qui, reprenant les propos premiers des adolescentes du couple avant qu’elles ne se rétractent, ont raconté les détails du drame du 7 juillet 2013. Ces dernières avaient aussi reconnu que Karam el-Bazi était « régulièrement violent envers son épouse, plus particulièrement lorsqu’il était en colère. Il lui arrivait alors de briser des objets au domicile familial ».

Aujourd’hui, l’association Kafa tente d’apaiser la mère de Roula Yaacoub, fortement secouée par l’acquittement de celui qu’elle considère toujours comme le meurtrier de sa fille. Mais les mesures légales et populaires ne sauraient tarder. « Non seulement irons-nous en cassation, au nom de la mère de la victime, mais nous envisageons d’organiser des mouvements de protestation », promet Leyla Awada. L’affaire, qui a scandalisé l’opinion publique il y a cinq ans, promet de faire davantage de remous.




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Le 7 juillet 2013, Roula Yaacoub, mère de cinq filles, mourait au Akkar d’une hémorragie cérébrale, sous les coups de son époux, Karam el-Bazi. Mais la chambre criminelle du Liban-Nord a innocenté mardi le mari violent pour absence de preuves, tout en reconnaissant ses violences répétées contre son épouse. Plus exactement, elle a estimé que les preuves avancées n’étaient pas...

commentaires (5)

Une autopsiie aurait peut etre determiner la cause de la mort de Roula Yacoub et etablir une relation legale de cause a effet (et donc criminelle) de cette mort. y a t’il eu une autopsie ou un rapport du medecin legiste apres le deces??

Allam Charles K

10 h 36, le 06 décembre 2018

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Commentaires (5)

  • Une autopsiie aurait peut etre determiner la cause de la mort de Roula Yacoub et etablir une relation legale de cause a effet (et donc criminelle) de cette mort. y a t’il eu une autopsie ou un rapport du medecin legiste apres le deces??

    Allam Charles K

    10 h 36, le 06 décembre 2018

  • C'est ce genre de "verdict" qui baffoue, rabaisse et humilie la republique, notre patrie. Au nom de qu'elle logique barbare peut-on oser piétiner les droits élémentaires de la femme ? De la famille et des enfants ? La famille n'est-elle pas sacrée ? Où est l'honneur de l'homme dans tout ça ?

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 25, le 01 novembre 2018

  • Profonde injustice pour la victime. Insupportable injustice pour les enfants et parents et proches de cette malheureuse épouse assassinée. Une profanation de la mémoire de cette femme lâchement tuée. Vous dites justice ? Honte à celle-ci !

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 01, le 01 novembre 2018

  • EL WASTA MALHEUREUSEMENT CLEF DE TOUT AU LIBAN !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 37, le 01 novembre 2018

  • Dormez en paix, monsieur le juge. Lorsque vous rentrez du travail, Après le boulot, le déluge, Tant pis pour les petits détails. Aujourd'hui, cette affaire est close. Une autre attend votre réveil. La vie d'un homme est peu de chose A côté de votre sommeil. Paroles de Maxime Le Forestier

    yves kerlidou

    09 h 07, le 01 novembre 2018

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