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Moyen Orient et Monde - Turquie

Le dangereux pari d’Ankara dans l’Est syrien

Les Kurdes syriens ont annoncé hier la suspension provisoire de leur offensive contre l’EI.


À Qamishli, les Kurdes manifestent contre les bombardements turcs. Delil Souleiman/AFP

La Turquie joue une partie de sa relation avec les Américains en Syrie. À la faveur de l’affaire Khashoggi – du nom du journaliste saoudien assassiné par ses compatriotes dans le consulat saoudien à Istanbul –, les tensions se sont apaisées entre Ankara et Washington, la coopération entre les deux alliés permettant notamment la libération du pasteur américain Andrew Brunson. Mais les relations entre les deux partenaires au sein de l’OTAN pourraient connaître prochainement une nouvelle crise du fait de la détermination d’Ankara à se débarrasser des Kurdes, affiliés à la galaxie du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), dans l’Est syrien. « Nous allons faire disparaître la structure terroriste à l’est de l’Euphrate. Nous avons finalisé nos plans à cet effet et avons ciblé récemment certaines positions terroristes. Les opérations de plus grande envergure arriveront bientôt », a affirmé le président turc Recep Tayyip Erdogan lors d’un discours prononcé au cours d’une réunion hebdomadaire de son parti, l’AKP, à Ankara.

« Nous nous abattrons bientôt sur l’organisation terroriste avec des opérations efficaces et d’envergure », a-t-il ajouté. La Turquie avait déjà annoncé la couleur en procédant dimanche à des bombardements contre des positions des YPG (branche syrienne du PKK), considérés comme un groupe terroriste par Ankara, à l’ouest de la ville de Kobané, dans le Nord syrien. Ces pilonnages s’inscrivent dans la stratégie du président turc de « sécurisation » de la frontière turco-syrienne en la débarrassant de la présence militaire kurde. Les Kurdes sont toutefois les principaux alliés de Washington en Syrie. Les États-Unis ont d’ailleurs clarifié récemment leur stratégie dans ce pays, en affirmant que les troupes américaines resteraient présentes pour empêcher le retour de l’État islamique (EI) et endiguer la menace iranienne. C’est toute cette stratégie qu’Ankara met aujourd’hui en danger avec sa menace de lancer une nouvelle offensive. Les Kurdes des Forces démocratiques syriennes, dont les YPG constituent le noyau dur, ont lancé le 10 septembre une offensive visant à mettre un terme à la présence de l’État islamique dans son dernier réduit, dans la province de Deir ez-Zor. Des centaines de combattants étaient arrivés mardi en renfort après que les forces de la coalition ont subi un revers contre les jihadistes. Mais l’opération est aujourd’hui mise en danger par les velléités d’Ankara. Les FDS ont en effet annoncé hier la suspension temporaire de leur offensive contre l’EI en raison des bombardements turcs. « Cette coordination directe entre les attaques de l’armée turque et celles de l’EI contre nos forces nous a amenés à un arrêt temporaire de la bataille » contre « le dernier bastion de l’organisation terroriste », affirment les FDS dans leur communiqué. « La poursuite de ces attaques entraînera un arrêt prolongé de notre opération militaire », met en garde le communiqué.


(Lire aussi : Après Idleb, Moscou et Ankara mobilisés pour une solution durable en Syrie)


Semi-victoire

Une nouvelle opération turque de grande ampleur viendrait ainsi s’ajouter à celle déjà menée en 2016, « Bouclier de l’Euphrate », et compléter l’opération « Rameau d’olivier », lancée en janvier dernier permettant aux forces turques et leurs supplétifs de l’Armée syrienne libre (ASL, rébellion syrienne) de s’emparer en mars dernier de l’enclave de Afrine et de plusieurs localités frontalières de la Turquie jusqu’à la ville de Manbij, où les forces américaines qui combattent l’EI sont stationnées. Cette ville a été l’une des principales sources de tension entre la Maison-Blanche et le Sarayi, les Turcs reprochant aux Américains de protéger des « terroristes » menaçant sa sécurité. En juin dernier, après plusieurs semaines de crispations, un accord faisant office de feuille de route a été trouvé entre les deux parties. Il stipule le retrait des conseillers militaires kurdes de Manbij et l’instauration d’un système de patrouilles entre les deux armées. Une semi-victoire pour Ankara qui ne compte pas s’arrêter là et s’apprête à poursuivre vers l’Est. « Les ambitions de la Turquie sont claires. Elles visent à mener des opérations similaires à celles qui ont lieu à Afrine, destinées à contrôler ensuite toute la région en la confiant à l’armée turque et à l’ASL », estime Hamit Bozarslan, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales, contacté par L’Orient-Le Jour.


(Pour mémoire : Russie, Turquie, France et Allemagne appellent à préserver la trêve d’Idleb)



Obstacle américain

« Pour des opérations dans le Nord-Est syrien, la Turquie sait parfaitement qu’elle ne peut pas agir librement sans l’aval des Américains. En revanche sur d’autres théâtres qui sont plus à l’ouest de Kobane, Afrine ou Aïn el-Arab, on a une logique qui est différente de celle concernant l’Est ou même le Nord syrien », explique Jean-François Pérouse, ancien directeur de l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul, contacté par L’OLJ. « Le projet turc peut tenir jusqu’à Kobane. Mais au-delà, il ne pourra pas se faire sans l’accord des États-Unis. La détermination turque a des limites et cela Ankara le sait parfaitement », ajoute-t-il. Les Turcs semblent vouloir tester la volonté américaine de protéger ses obligés. « La question est de savoir si les Américains autoriseront une telle opération, ce qui causerait un revirement à 180 degrés dans leur politique en Syrie. Pour l’instant rien ne l’indique », poursuit Hamit Bozarslan.

« Le président Erdogan ne bénéficie pas de l’aval russe non plus. Donc les préparatifs sont là, mais on n’en sait pas plus sur le déroulé d’éventuels opérations. D’autant que les Américains ont récemment rappelé que les FDS étaient leurs alliés dans la région », ajoute le chercheur. Samedi dernier, le président turc a marqué des points supplémentaires auprès des Occidentaux en organisant à Istanbul un sommet sur la Syrie avec son allié russe du processus dit « d’Astana », mais aussi avec la France et l’Allemagne. Mais il pourrait perdre une partie des bénéfices de ce moment d’apaisement dans ses relations avec les Occidentaux en s’attaquant à l’Est syrien. « Si le président Erdogan se lance dans des opérations à l’Est, il prend le risque d’une nouvelle crise majeure avec les Américains », conclut M. Bozarslan.




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LE MINI SULTAN JOUE AVEC LE FEU... IL VA SE FAIRE BRULER...

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 30, le 01 novembre 2018

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Commentaires (2)

  • LE MINI SULTAN JOUE AVEC LE FEU... IL VA SE FAIRE BRULER...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 30, le 01 novembre 2018

  • La Turquie n'a jamais changé de stratégie. C'est un état genocidaire, terroriste et il le restera. C'est un état fondamentalement criminel. Si en Europe les médias présentent Erdogan comme dictateur, ce n'est pas par hasard...(et pourtant ce pays à été longtemps protégé par l'OTAN très injustement et on voit le resultat aujourd'hui). La Turquie d'une manière ou d'autres à toujours aidé les terroristes islamistes et notamment l"EI. Tout en massacrant les kurdes.

    Sarkis Serge Tateossian

    09 h 10, le 01 novembre 2018

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