En ces jours bas de plafond, on essaie comme on peut de prendre de l’altitude ou, à défaut, un peu de distance : « Tout ne va pas mal, tout ne va pas si mal, ça va aller, ça va plutôt bien, ça va, ça va. » Mais on le sait bien, que cela s’en va. Bientôt trente ans depuis la fin officielle de la guerre. Trente ans ; plus d’une génération. Ils sont donc nombreux, les jeunes adultes qui n’ont pas connu l’ordinaire des venelles obscures, des murs de conteneurs qui sectionnaient la ville, des rues où l’on n’allait pas, des appartements vieillissants auxquels on hésitait à apporter le moindre coup de peinture, qui sentaient l’abandon, l’insecticide et le temps suspendu de guingois.
Eux, ils héritent d’une capitale où l’on peut circuler en toute liberté – bien que peu se hasardent en dehors de leur périmètre familier. Leur environnement est hérissé de tours de verre (des tours de verre ! qui l’aurait cru au temps où la guerre faisait la fortune des vitriers?). D’arrogantes architectures ont poussé en lieu et place de ces maisons vénérables aux toits crevés, aux jardins en friche, où d’improbables artistes œuvraient à leur improbable gloire, et dont les habitants avaient pris sans retour le ferry de Chypre qui fendait les nuits presque sans bruit.
Certes, tout est relatif, et à cette aune, on se trouve plutôt bien. Mais près de trente ans plus tard, tout de même, on est en droit de se demander ce qu’on a fait de cette paix, même bancale, même tombée sur nous comme une poire blette, les combats n’ayant cessé que faute de combattants. Si l’apparence est aujourd’hui relativement sauve et que la vie continue – c’est après tout ce pour quoi la vie est faite–, le fond, lui, est gravement gangrené.
Il n’est pas nécessaire de vivre sous les obus pour se sentir en danger. Nous sommes en danger. On ne peut pas sauver un pays en le confiant à ceux qui l’ont perdu. On ne peut pas confier l’avenir à une classe politique précisément issue de ce passé désastreux, meute de rois nus aux lauriers fanés, qui ont inventé à leur dérisoire échelle le trumpisme avant Trump et ne savent pas faire autre chose que ce qu’ils ont toujours fait : mobiliser des désespérés et leur donner à ronger l’os de leurs propres fantasmes.
Et quand ils seront tous morts – par une bizarrerie du destin, de leur belle mort ? Serons-nous libérés de leur gestion archaïque et de leurs nauséeuses méthodes ? La jeunesse de ce pays, ou ce qu’il en sera resté, cette jeunesse qui ne s’est jamais sentie représentée par ces figures d’un autre âge, tous ces brillants étudiants et créateurs qui viennent chaque année grossir les rangs des désabusés, sauront-ils en remontrer aux briseurs d’élan, exiger et bâtir un État à la hauteur de leurs rêves, eux qui iraient jusqu’à changer le monde ? Il faut croire que oui, qu’ils en ont et en auront le pouvoir. Simplement parce qu’ils sont nés au seuil d’une nouvelle ère dont ils sont seuls à détenir les clés et comprendre les vrais enjeux. Ils ont tout à nous apprendre, ils sont nos ailes. Que les vents leur soient propices.
commentaires (4)
POUR QUE LES VENTS SOIENT PROPICES IL FAUT AVANT TOUT DEGAGER TOUS LES ABRUTIS QUI GOUVERNEMENT EN DIFFERENTES ECHELLES CE PAUVRE PAYS... ET C,EST UN TRAVAIL MALHEUREUSEMENT D,HERCULE ! CAR LES CITOYENS EUX-MEMES LES PROPULSENT A LEURS ETERNELS POSTES ET LE TRAVAIL DOIT COMMENCER A EDUQUER LES NOUVELLES GENERATIONS DE CITOYENS... ET IL FAUT EN EDUQUER PLUSIEURS !
LA LIBRE EXPRESSION
10 h 52, le 11 octobre 2018