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Lifestyle - This is America

Une grenouille à la Cour suprême

Monsieur de La Fontaine doit se retourner dans sa tombe : son batracien a réussi à devenir aussi important que le bœuf.

Vue générale de la Cour suprême à Washington. Carlos Barria/Reuters

Indifférente, ou pas, à l’entrée en son sein du juge Brett Kavanaugh, nouvellement nommé à ce poste et accusé d’agressions sexuelles, la Cour suprême américaine a entamé lundi dernier sa première session de la rentrée par l’étude d’un dossier pour le moins surprenant : la survie de la grenouille gopher. Il s’agit d’une grenouille vivant au Mississippi et faisant partie de la liste des 100 espèces les plus menacées au monde établie par l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature) en 2012. Quel bond a donc fait cet amphibien d’environ cinq centimètres de long pour plaider sa cause face aux huit juges (en attendant le neuvième) au sommet du pouvoir judiciaire aux États-Unis ?

La grenouille a un contentieux avec deux propriétaires de terrains abritant son habitat et qu’ils veulent exploiter commercialement. En fait, ces plaignants veulent surtout voir jusqu’où peut aller l’État pour défendre l’existence de sa faune et de sa flore. Or, selon une loi américaine sur la protection des espèces en danger, le gouvernement a le droit de délimiter leur territoire pour assurer leur survie et leur reproduction. Dans ce cas précis, la loi couvre l’habitat, quoique invisible (car en profondeur des étangs ou dans les souches des arbres), de cette famille de grenouilles, d’autant qu’il leur sert à déposer leurs œufs. L’un des propriétaires a cru avoir trouvé là un argument en sa faveur lorsqu’il a riposté : « Ce n’est pas un oiseau qui vole ou un poisson qui nage. En quoi cette espèce presque invisible a-t-elle besoin de ma propriété ? »

Une affaire d’État

Les chercheurs portent une attention particulière aux grenouilles gopher qui, tout en ayant un air préhistorique et brut, sont des créatures très délicates et très rares. Leur décimation provient principalement des activités humaines, mais récemment, un parasite a tué environ 1 200 de leurs œufs. Outre les étangs, les grenouilles gopher ont besoin de canopées ensoleillées, souvent brûlées pour éliminer la broussaille, afin de se rendre d’un étang à l’autre. Autant de préoccupations relevant de l’écosystème et qui sont loin d’être convaincantes pour ces personnes décidées à tirer autrement parti de leurs lopins de terre. Pour les deux adversaires des grenouilles, qu’ils estiment empiéter sur leurs plates-bandes du Mississippi, le respect de la nature, comme dicté par la loi, équivaudrait à une dévaluation de leur propriété estimée à 33 % durant les 20 années à venir.

À la Cour suprême donc d’étudier cette affaire et de donner son verdict en faveur, ou pas, du logis du batracien. Le grand air semble d’ailleurs particulièrement intéresser cette cour des cours puisque son dossier suivant l’a transportée en Alaska pour faire face à un chasseur d’élans. En effet, John Sturgeon, venu de cet État glacial, accuse le Service fédéral des parcs nationaux de vouloir interdire à son hovercraft de s’amarrer près d’un site préservé, en réalité sa zone de chasse préférée. Il allègue que la loi locale de l’Alaska, qui ne voit là aucune infraction, doit prévaloir sur la loi fédérale.

Au temple de la justice américaine, il n’y a pas de discrimination entre les grandes affaires du pays et d’autres bien moins graves. Évoquant ces deux cas lors de sa session automnale 2018, l’une des juges, Sonia Sotomayor, a précisé : « Certes, c’est une période quelque peu trouble pour la cour, néanmoins nous devons être à l’écoute des problèmes de l’environnement et non seulement exacerber les divisions qui, malheureusement, existent. »

Il est également à noter que tous ces juges cohabitent bien entre eux, en dehors de leurs divergences, et partagent ensemble des passions inattendues devenues publiques. Ainsi, les juges Ruth Bader Ginsburg (libérale) et Antonin Scalia (décédé il y a deux ans), tous deux bel cantos à leurs heures de loisirs, ont souvent été invités à participer à des spectacles d’opéra professionnels. Quant à leur collègue le juge Stephen Breyer (libéral), grand camusien parmi les camusiens, il est une grande référence pour l’auteur de La Peste, dans son pays et ailleurs. Il donne souvent des conférences au Collège de France.

Et, last but not the least, il n’y a pas de « cuisine judiciaire » à la Cour suprême américaine, mais une véritable cuisine qui est un passage obligé pour chaque nouveau membre. Achevé le cérémonial d’accueil et des félicitations, ce dernier, selon un rituel bien installé, se voit confier le fonctionnement et la supervision de la cafétéria de la cour. Charge qu’il doit assumer jusqu’à la nomination d’un prochain membre de la Cour suprême. Selon la juge Helen Kegan, « c’est là un rappel à l’humilité pour chacun d’entre nous ».



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