Le Liban n’est évidemment pas une île isolée, perdue dans de lointains océans. Il ne peut se soustraire aux contrecoups des profonds bouleversements qui ébranlent la région… Tel est en substance l’essentiel de l’argumentation de tous ceux, Hezbollah en tête, qui tournent en dérision le principe de « politique de distanciation ». En langage journalistique et académique, l’on parlera plutôt de neutralité. Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah poussera la dérision sur ce plan jusqu’à déclarer en substance, dans son discours de la Achoura, que le gouvernement devrait suivre une politique de distanciation, mais le Hezbollah, lui, continuera de s’impliquer activement dans la guerre syrienne ! En clair, cela signifie, en empruntant la citation de Gebran Khalil Gebran, « vous avez votre Liban, et moi j’ai le mien ». Son Liban, en l’occurrence, est celui qui devrait défendre la République islamique iranienne et son projet supranational, comme il le relève lui-même sans détour.
Soyons réalistes et lucides. Le dernier épisode des menaces implicites du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui affirme que des missiles sont ensevelis autour de l’aéroport, montre que le pays du Cèdre ne peut, effectivement, se soustraire totalement aux multiples ondes de choc en provenance du Proche-Orient. Mais il y a une très grande différence entre subir, éventuellement, les retombées des secousses qui nous entourent, et s’impliquer activement dans les divers conflits qui déchirent le monde arabe jusqu’au Sahara africain.
Une telle « nuance » résume à elle seule l’essence de la crise existentielle qui frappe l’entité libanaise depuis des décennies, voire depuis la proclamation du Grand Liban, en 1920. Elle résume en peu de mots deux visions du Liban, de sa place dans cette partie du monde, de sa vocation et de son « message », comme le soulignait le pape Jean-Paul II. Les Libanais doivent-ils se consacrer exclusivement à la gestion de leur pluralisme afin de parvenir à construire la « maison libanaise » de manière à en préserver ses spécificités, ou peuvent-ils se permettre, au contraire, que leur pays soit ancré aux forces régionales en le transformant en simple satellite au service de projets hégémoniques et expansionnistes ?
Les multiples péripéties de l’histoire contemporaine du Liban ont montré que le pays était plongé dans une profonde crise existentielle à chaque fois que l’une des composantes libanaises se laissait entraîner par la tentation centrifuge en s’associant aux desseins et ambitions d’acteurs étrangers. Ce fut le cas, notamment, avec les tentatives chimériques d’union arabe prônée par l’émir hachémite Fayçal au début du siècle dernier puis, beaucoup plus tard, lors de la montée du nassérisme à la fin des années 50, de l’implantation des organisations palestiniennes armées dans les années 70, de l’entrée en scène des Israéliens au début des années 80, de la tutelle syrienne dans les années 90 et, aujourd’hui, de l’influence iranienne rampante.
Cette propension des principales composantes sociocommunautaires à avoir constamment, chacune à tour de rôle et au fil des ans, les yeux rivés vers une force ou puissance régionale est à la base de l’état de crise récurrente qui fragilise l’entité libanaise depuis le début du siècle dernier. Est-ce à dire que le Liban n’est pas une entité viable ? D’aucuns sont tentés de répondre par l’affirmative, à la lumière des conflits fratricides en cascade qui n’ont cessé de secouer le pays au cours de son histoire contemporaine. Sauf que le moment fondateur du printemps de Beyrouth de 2005, qui a débouché sur la révolution du Cèdre, a apporté sans conteste une nouvelle donne, et non des moindres : pour la première fois depuis 1920, nous avons en effet assisté à l’émergence d’un sentiment national libaniste, non pas entre des leaders (comme ce fut le cas en 1943), mais au niveau des bases populaires chrétienne, sunnite et druze, en sus d’une élite chiite, qui sont descendues ensemble dans la rue, ont scandé les mêmes slogans, ont défendu un même projet politique qui se résume par le leitmotiv « Liban d’abord ».
Seule ombre à ce tableau : le Hezbollah, qui défend une ligne de conduite aux antipodes du projet souverainiste et qui se place résolument et aveuglément au service d’une autorité régionale, non arabe de surcroît. Lorsque le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, a appelé en septembre dernier le parti chiite à opérer « un retour au Liban, à tous les points de vue », c’est à une adhésion à cette option libaniste qu’il faisait allusion. Cela implique pour le parti de Dieu une rupture, très chimérique au stade actuel, du cordeau ombilical qui le lie au pouvoir des mollahs iraniens. Cela a un nom : la neutralité à l’égard des axes régionaux. Le Hezbollah en est encore loin. Pourtant, une telle option était au cœur du testament politique de l’imam Mohammad Mehdi Chamseddine. Et pour cause : c’est en s’engageant sur cette voie que les différentes communautés, et donc l’entité libanaise, pourront connaître un jour une véritable paix civile et une réelle stabilité pérenne.
commentaires (11)
Le Sayyed se déclare être l'allié de l'Iran. c'est connu. Je pense qu'avec les lourds sacrifices qu'il a versé sur le terrain en Syrie, plus aucune personne ni en Syrie ni en Iran ne peut lui dicter ce qu'il doit faire ou ne pas faire. Il est entré à présent dans le petit cercle des personnalités libanaises avec qui l'on peut discuter sans pouvoir imposer. Dans le cercle restreint il y a Michel Aoun et dans l'histoire récente il y avait Béchire, Rafic, Raymond, Saëb, général Chéhab et quelqu’uns d'autres. Espérons que d'autres personnalités émergent pour accéder à ce cercle.
Shou fi
14 h 46, le 03 octobre 2018