L’économie libanaise se dirige-t-elle vers un phénomène de stagflation ? Le président du Conseil économique et social du parti Kataëb, Jean Tawilé, a en tout cas mis en garde jeudi soir contre l’imminence de ce « scénario catastrophe », lors d’une conférence consacrée à cette thématique qu’il a organisée en collaboration avec la Konrad Adenauer Stiftung. « Nous assistons à une hausse anormale des prix en période de récession économique. La croissance du PIB n’a pas dépassé les 1,5 % sur les six dernières années et se maintiendra à ce taux en 2018, selon les dernières prévisions de la Banque mondiale. En parallèle, l’inflation a atteint 7,6 % en juillet, par rapport à la même période un an plus tôt », a alerté Jean Tawilé. « Cette inflation est due à la hausse des prix du pétrole, des taux d’intérêt et des taxes, à laquelle nous nous sommes opposés », a-t-il expliqué. Le président du CES des Kataëb craint donc une stagflation, puisque « la hausse des prix mènera à une baisse du pouvoir d’achat et donc une baisse de la consommation, ce qui réduira la croissance, et à une hausse du chômage et de faillites d’entreprises, déclenchant de nouveau les mêmes effets de ce cercle vicieux ».
Les panélistes conviés par le CES des Kataëb – les deux anciens ministres de l’Économie, Nicolas Nahas et Damien Kattar, ainsi que l’économiste Élie Yachoui – ont confirmé ce diagnostic, dont ils ont imputé la responsabilité à la classe politique dirigeante avant de proposer quelques pistes pour une issue à cette crise.
Inflation importée
Outre les facteurs conjoncturels évoqués par Jean Tawilé pour expliquer la récente hausse des prix, Élie Yachoui a pointé du doigt d’autres causes, plus structurelles. « Une importante partie de cette inflation est importée. Elle résulte du creusement continu du déficit commercial, qui est passé de 1,5 à 17 milliards de dollars en dix ans », a-t-il souligné, avant de dénoncer les clauses d’exclusivité commerciale au Liban, qui favorisent les monopoles et empêchent toute régulation des prix.
Le manque de compétitivité à l’international des secteurs productifs libanais, tels que l’agriculture ou l’industrie, a été identifié par les panélistes comme l’une des principales causes du creusement du déficit commercial, et in fine de la hausse de l’inflation. Pour y remédier, Nicolas Nahas et Élie Yachoui préconisent une série de mesures visant à réduire les coûts de production. « Il faut baisser les taux d’intérêt sur les prêts au secteur privé et les taxes ; réduire les coûts indirects dus notamment à la détérioration des infrastructures publiques (électricité) et la corruption ;
améliorer l’environnement des affaires ; accélérer le processus de privatisation ; et enfin réformer le système éducatif afin de mieux répondre aux besoins du marché du travail et de réduire le chômage », a suggéré Nicolas Nahas.
Toutefois, de telles mesures ne peuvent être mises en œuvre sans qu’elles ne soient accompagnées (voire précédées dans certains cas) par une réforme des finances publiques. Le déficit public a atteint 3,75 milliards de dollars en 2017, puisque les dépenses se sont élevées à 15,38 milliards de dollars tandis que les recettes n’ont pas dépassé les 11,62 milliards de dollars.
Absence de volonté politique
« Nous savons pertinemment, et depuis plus d’une quinzaine d’années, quelles sont les réformes à mener, mais c’est une question de volonté politique. Les dirigeants s’accrochent à la perpétuation des problèmes structurels (des finances publiques) », a regretté Damien Kattar. Il rappelle ainsi les trois principales réformes à mener pour réduire les trois principaux postes de dépenses publiques, à savoir le service de la dette, les salaires et traitements de la fonction publique, et transferts du Trésor à Électricité du Liban pour combler son déficit. « L’administration publique doit devenir plus performante, en se débarrassant des fonctionnaires inutiles, qui ont été recrutés pour maintenir le clientélisme politique. La réforme de l’électricité permettra de réaliser une économie budgétaire d’environ deux milliards de dollars. Enfin, les banques doivent cesser de financer l’endettement public, au détriment du secteur privé. La dette publique est passée de 50 à 83 milliards de dollars depuis 2011 », a-t-il noté. Le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a dans ce sens lancé un appel aux banques commerciales afin qu’elles commencent à conditionner leurs futures souscriptions aux bons du Trésor à la mise en œuvre des réformes économiques.
De son côté, Élie Yachoui a estimé que la Banque du Liban devrait jouer « le rôle traditionnel de toute banque centrale, c’est-à-dire celui d’assurer la liquidité nécessaire à l’économie réelle et aux consommateurs, tout en régulant l’inflation, afin de soutenir la croissance ». « La BDL retient pas moins de 100 milliards de dollars pour les réserves obligatoires (30 milliards de dollars), des souscriptions à des obligations (45 à 50 milliards de dollars), et pour maintenir la stabilité du taux de change de la livre face au dollar. Ces fonds devraient plutôt être injectés dans l’économie réelle », a-t-il poursuivi.
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Mais, c’est bien cela aussi le grand problème du Liban: les dynasties familiales dans tous les domaines commerciaux surtout des biens vitaux de consommation qui auraient des clauses d’exclusivité commerciale, ayant bâti des monopoles géants intouchables et manipulant les prix à la hausse à leur guise: une compétition saine dans ce domaine est presqu’impossible et ce sont de vraies mafias financières telles que nos politiciens qui, souvent en font partie sinon seraient complices... Mais oui qu’on court à la stagflation dans un pays en récession globale et où le prix du panier d’épicerie du ménage moyen serait plus cher cher que dans certaines grandes capitales... Imaginez en plus, qu’un jour, notre acrobate financier en chef n’arrive plus à maintenir la parité avec le $: scénario catastrophe à la grecque?
15 h 48, le 29 septembre 2018