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Air Fawda

Il passait naguère pour la pimpante porte de l’Orient. À l’homme de la reconstruction dont l’aéroport de Beyrouth porte aujourd’hui le nom, on avait durement reproché d’avoir vu beaucoup trop grand, beaucoup trop cher, en se fixant pour objectif un hub aérien administrant six millions de passagers par an. Incurie, négligence et laissez-aller aidant, la cohue est telle cependant dans ces écrase-orteils que sont les salles de départ et d’arrivée que l’on jurerait que c’est tous les jours mission accomplie : qu’en réalité, tous ces millions d’usagers attendus, espérés, mais traités comme moins que rien, sont bien là tous à la fois, excédés, piaillants, vociférants, se répandant en imprécations…

Comme un célèbre slogan publicitaire l’affirmait pour la Samaritaine, il se passe tous les jours quelque chose dans cette véritable cour des miracles qu’est désormais l’aérogare. À force d’accoutumance à cette anarchie – la fawda – devenue une sorte de trait national, la scandaleuse chronique s’est lassée de relever la dangereuse prolifération de constructions illégales en bordure immédiate de pistes ; les portraits géants d’ayatollahs ornant les abords de l’AIB et qui donnent au visiteur éberlué le sentiment de débarquer dans quelque province iranienne ; les abus des mafias contrôlant porteurs et taxis, ou encore les passe-droits forçant, comme dans du beurre, le barrage des douanes. Elle continue de vous parler, la chronique, de situations aussi surréelles que les pannes de systèmes électroniques qui condamnent les malheureux passagers à de longues heures d’attente sans climatisation, sans courtoisie de rafraîchissements, sans même des excuses. Elle vous choque en vous rapportant la mésaventure de ces voyageurs cavalièrement débarqués de leur appareil parce que quelqu’un avait oublié d’affecter un avion d’accompagnement au voyage à New York du président de la République. Et elle vous laisse pantois, atterré, au récit de la guéguerre des compétences et attributions qui vient tout juste d’opposer deux organismes de sécurité majeurs, ce qui a entraîné la paralysie totale du contrôle des passeports.

Sécurité : le grand mot est lâché, et ce qui se trouve mis en cause n’est autre que l’unique aéroport civil en activité au Liban (au fait, qu’attend-on, face à tant de dérives, pour mettre en service celui, fort convenable, de Qley’aate, dans le nord du pays ?). Tout au long des dernières décennies, une cruelle malédiction a fait de notre poumon aéroportuaire un talon d’Achille. En 1968, le Liban n’avait même pas encore signé ce funeste accord du Caire qui autorisait les activités de la résistance palestinienne implantée sur son sol ; il n’empêche qu’en représailles à un attentat contre un vol d’El Al, un raid de commandos israéliens détruisait au sol 13 avions de ligne ou de fret appartenant aux quatre compagnies aériennes libanaises de l’époque. Lors de la guerre de 2006, les bombardements israéliens n’épargnaient pas le même AIB, objet d’un blocus en règle. Et voilà maintenant que Benjamin Netanyahu, prenant la parole devant l’Assemblée générale de l’ONU, accuse le Hezbollah d’avoir aménagé, dans le proche voisinage de l’aéroport, trois sites de perfectionnement de missiles à longue portée.

Est-on conscient de la gravité du péril, tout au haut de la tour de contrôle politique ? Il faut croire que non. Il y a déjà longtemps que l›accord du Caire est mort et enterré. Mais pour catastrophique qu’il fut, ce document imposait du moins aux fedayine un (hypothétique) respect de la souveraineté libanaise. Et surtout, Yasser Arafat avait beau régner en maître sur une portion de territoire, il ne faisait pas partie du Parlement et du gouvernement libanais : tout le contraire d’un Hezbollah faisant fi de la ligne officielle et acharné à conduire sa propre politique de guerre et d’alliances organiques avec l’étranger en embarquant dans l’aventure le pays tout entier.

Morale de ce dernier et malencontreux épisode de la série cinématographique Airport : on n’a pas fini de voler sans visibilité.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Il passait naguère pour la pimpante porte de l’Orient. À l’homme de la reconstruction dont l’aéroport de Beyrouth porte aujourd’hui le nom, on avait durement reproché d’avoir vu beaucoup trop grand, beaucoup trop cher, en se fixant pour objectif un hub aérien administrant six millions de passagers par an. Incurie, négligence et laissez-aller aidant, la cohue est telle cependant...