Une main de fer dans un gant de velours… Telle est l’impression que le leader des Forces libanaises Samir Geagea s’est employé à dégager dans son discours à l’occasion de la messe annuelle organisée dimanche soir à Meerab en hommage aux martyrs de la Résistance libanaise – tous partis confondus. Optant pour une intonation sereine et calme, laissant transparaître parfois des efforts de diplomatie, il a soigné la forme tout en restant ferme sur le fond.
Si le rejet des appels à la normalisation avec le régime Assad – qu’il a jugé, une fois de plus, illégitime et non représentatif de toutes les composantes de la société syrienne – n’est pas nouveau, le ton adopté dans l’allocution en ce qui concerne le Hezbollah constitue par contre un précédent. Un précédent qui reste toutefois très théorique et peu susceptible de déboucher, dans le contexte présent, sur du concret. Le message à l’adresse du parti chiite est, en extrapolant, le suivant : Libanisez-vous à tous les niveaux et dans toute l’acception du terme – entendre politiquement et au niveau du projet de société – et nous pourrons alors « tous ensemble » discuter…
Dans la pratique, le leader des FL invite diplomatiquement le Hezbollah à se livrer à une sorte de révolution culturelle au plan de sa doctrine. Il l’invite à renoncer à la pierre angulaire de son idéologie avalisée au milieu des années 80 du siècle dernier, à savoir l’allégeance inconditionnelle au guide suprême de la République islamique iranienne pour tout ce qui touche aux questions d’ordre stratégique, notamment la décision de guerre et de paix. Retourner au Liban « à tous les niveaux », c’est-à-dire axer son action exclusivement sur les affaires libanaises, et admettre, par voie de conséquence, le monopole de la violence légitime (au bénéfice de la seule armée libanaise), comme le suggère Samir Geagea, revient pour le Hezbollah à couper le cordon ombilical avec le pouvoir des mollahs iraniens. Un tel objectif est très peu réalisable à l’ombre de la conjoncture actuelle. Cela, le chef des FL ne l’ignore évidemment pas. Mais il aura au moins défini une position de principe et jeté les bases d’hypothétiques rapports futurs avec le Hezbollah.
Attitude utopique et irréaliste de la part de Samir Geagea, ne manqueront pas de relever certains. Pourtant, le parti chiite aurait tout intérêt à s’engager sur la voie de la libanisation intégrale et à remettre en question son allégeance absolue envers le guide suprême – le waliy el-faqih. Le Moyen-Orient est en effet en proie à une confrontation mondiale dans laquelle le Hezbollah se vante d’être impliqué mais dont il pourrait faire les frais si Téhéran est un jour contraint de pactiser avec les puissances auxquelles il fait face. Dans un tel cas de figure, que nul ne peut écarter totalement, la seule option qui pourrait garantir au Hezbollah sa pérennité politique et une place de choix pour sa communauté est le repli à l’intérieur du Liban – dans le sens évoqué dimanche soir par Samir Geagea. Un repli qui devrait s’accompagner d’un désengagement militaro-sécuritaire de la région et de l’établissement de rapports équilibrés et bien réfléchis avec les autres composantes libanaises. C’est dans ce cadre que le leader des FL a laissé timidement une petite lucarne entrouverte pour le cas, encore très peu probable, où le parti chiite aurait la volonté réelle de faire un bond qualitatif en direction de l’option libaniste que prônaient l’imam Moussa Sadr et l’imam Mohammad Mehdi Chamseddine.
Au-delà des considérations en rapport avec la politique interne – la formation du gouvernement, le sort du mandat présidentiel, la corruption et le dossier de l’électricité – le discours de Meerab aura pointé du doigt une condition essentielle à l’édification, sur des bases pérennes, de la « Maison libanaise », pour reprendre l’expression de Michel Asmar, fondateur du Cénacle libanais en 1946 : la neutralité du Liban. La démarche de Samir Geagea sur ce plan est d’autant plus importante que l’une des principales causes des différentes crises existentielles qu’a connues le pays du Cèdre depuis la proclamation du Grand Liban, en septembre 1920, est le refus de certaines factions d’admettre une neutralité réelle et effective à l’égard de la politique des axes et des conflits dans le monde arabe.
La seconde clé nécessaire à la construction de cette Maison libanaise, et que le leader des FL a laissé entrevoir implicitement dans son discours, est l’acceptation de l’autre avec ses différences, mais dans le cadre, encore une fois, de la neutralité régionale, et surtout du projet de l’État rassembleur, garant du respect du pluralisme politique, socio-culturel et religieux qui constitue la raison d’être de l’entité libanaise. Un tel projet est incompatible avec l’ancrage du Liban à des axes belliqueux, sources de tensions et de discorde permanentes au plan interne. C’est en quelque sorte un appel (théorique), à peine voilé, à l’adhésion du Hezbollah à un tel projet libaniste que Samir Geagea a lancé à la cérémonie de Meerab. Mais encore faut-il que le parti chiite ait la volonté d’opérer un profond bouleversement en son sein, tant sur le plan doctrinal que structurel. Nous en sommes pour l’heure encore très loin…
commentaires (3)
Samir Geagea a appelé le Hezbollah à rompre avec la Wilayet el-Fakih" et l'Iran, c'est autant demander en 1940 aux centaines de partis communistes du monde à rompre avec le Komintern et avec Staline. Maurice Thorez, le chef du Parti communiste français, avait préféré déserter la France pour se réfugier en Union soviétique en 1940 afin de ne pas combattre les Allemands alliés de l'URSS par l'Accord de paix germano-soviétique.
Un Libanais
15 h 52, le 11 septembre 2018