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Économie

Sur la mise en œuvre du programme d’investissement dans les infrastructures et les défis de la CEDRE

Makram Sader, secrétaire général de l’Association des banques du Liban. Photo D. R.

Le 7 août dernier, la section Liban de l’association LIFE a organisé une conférence à huis clos, au musée Sursock, dédiée à la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), tenue le 6 avril dernier à Paris. Les plus hauts responsables et les mieux renseignés des cadres libanais ont pris part à cet événement, aux côtés des membres de LIFE, venus des plus importantes capitales financières du monde (New York, Londres, Paris...). J’essaierai en toute honnêteté intellectuelle de retranscrire le contenu des interventions et des discussions de la conférence, pour en faire bénéficier le plus grand nombre mais aussi pour relancer le débat sur les résultats de la CEDRE. Mais au-delà de cela, il est demandé aux milieux économiques, au moment où la formation d’un nouveau gouvernement semble entravée, d’exercer une pression sur une classe politique qui a tendance à mépriser les esprits et les intérêts des gens.

La conférence s’est articulée autour de deux sessions : la première a été l’occasion de revenir de nouveau sur les dessous de la CEDRE, tandis que la deuxième a porté sur le cadre macroéconomique qui est censé permettre (ou entraver) la mise en œuvre du programme d’investissement dans les infrastructures.

Lors de la première session, les interventions ont montré une série de développements positifs, dont le plus important était que les travaux de suivi et de mise en œuvre du programme d’investissement se poursuivent en dépit de la situation politique actuelle. Afin de ne pas perdre de temps en l’absence de formation d’un nouveau gouvernement, les efforts se concentrent sur l’élaboration d’un mapping (cartographie) des projets et des investisseurs, avec une formulation plus détaillée des mécanismes opérationnels possibles, ainsi que sur la création d’un site web qui permettra d’en faire le suivi. Le Haut Conseil pour la privatisation et les partenariats (affilié à la présidence du Conseil des ministres) donne la priorité à trois projets : le projet d’extension de l’Aéroport international de Beyrouth, dont le coût pourrait atteindre les 500 millions de dollars ; l’autoroute périphérique de Beyrouth reliant Khaldé à Nahr Ibrahim ; et la création d’un centre national de données.

Les discussions ont néanmoins révélé qu’un certain nombre de projets, particulièrement ceux relatifs à l’énergie et au traitement des déchets, ont été retirés du programme d’investissement, en vue peut-être de les soustraire au contrôle et au financement des institutions internationales, et faciliter ainsi toutes sortes de fromageries communautaires et régionales, qui feraient triompher les intérêts privés sur l’intérêt général du pays et de ses citoyens.

L’implication des institutions financières internationales a été soulignée – comme cela a été le cas lors de la conférence de Paris – dans la mise en œuvre du programme d’investissement en infrastructures, en termes de conseil, de financement et même de proposition de solutions dans le cas où une partie serait contrainte de ne pas poursuivre ses engagements annoncés à Paris.

La première session a également traité un aspect additionnel important dans la mise en œuvre du programme d’investissement, qui concerne le rôle du secteur privé dans l’allocation d’une partie des besoins de financement estimés à plusieurs milliards de dollars, soit un montant qui demeure élevé même si dans la pratique cette liquidité est disponible dans les banques. On s’est également interrogés, et à juste titre, sur les outils financiers à utiliser : dette ou participation en fonds propres, et dans quelles proportions. En supposant que cette participation soit fixée à environ un tiers, cela nécessiterait des apports de capitaux privés de plus d’un milliard de dollars.

Le deuxième axe de la conférence LIFE a interrogé le degré de pertinence/inadéquation du cadre politique et macroéconomique au Liban pour absorber et traiter efficacement ce volume d’investissements et de projets, au moment où la formation d’un nouveau gouvernement semble presque impossible.

Les interrogations concernaient tant les aspects institutionnels que la situation financière et monétaire. Des responsables ayant participé à la conférence ont estimé que le cadre institutionnel est prêt, puisque le Parlement a pu compléter les budgets de 2017 et 2018 après onze ans d’arrêt ! Et malgré une crise gouvernementale qui se poursuit, les commissions parlementaires mixtes discutent actuellement un certain nombre de textes de lois qui leur ont été soumis (11 projets de lois). Certains d’entre eux impactent et facilitent la mise en œuvre des décisions prises à Paris. Il ressort également des interventions de ces responsables que les opérations de reconstitution des comptes publics de la période 1993-2017 sont sur le point d’être achevées. Ceci, s’il est accompli, serait une réalisation importante pour les finances publiques et la transparence des comptes.

Et quant à la capacité de l’État à tenir son engagement de réduire progressivement le déficit budgétaire de 5 points de pourcentage du PIB au cours des cinq prochaines années, soit une moyenne de 1 % par an, la réponse était que cet objectif (cette condition) est atteignable. Cela permettrait, d’une part, de régler le problème du déficit d’Électricité du Liban et donc du soutien public à cet établissement. Et d’ajuster, d’autre part, le volume des dépenses dans le budget de 2019 qu’il est possible de réduire de près d’un milliard de dollars, grâce à une maîtrise des transferts injustifiés à de nombreuses associations, à la rationalisation des loyers payés pour les immeubles privés loués aux ministères et administrations publiques, ainsi que par la maîtrise des transferts à la Caisse nationale de Sécurité sociale et d’autres voies et autres canaux de corruption et de gaspillage qui ne cessent d’augmenter selon des estimations publiées récemment, pour constituer environ 5 % du PIB.

Outre l’efficacité du cadre institutionnel et la rationalisation des finances publiques, la conférence a abordé la situation monétaire du pays et sa capacité à perdurer. La principale intervention à ce sujet a souligné qu’il n’y a pas lieu à des craintes injustifiées et que rien ne laissait présager une crise monétaire au Liban. Preuve en est, que le taux de dollarisation des dépôts n’a pas connu de changement significatif au cours de l’année 2018 par rapport à 2017, mais est resté proche des niveaux habituels (autour de 66 à 68 %). De plus, la Banque du Liban a réussi à maintenir le niveau de ses réserves en devises à quelque 44/45 milliards de dollars, ce qui permet d’assurer la stabilité monétaire pour les années à venir en attendant la résolution du déséquilibre des finances publiques et une relance de la croissance économique à travers la mise en œuvre des projets inclus dans le programme d’investissement, et en attendant aussi peut-être la maturation du dossier relatif à l’exploitation des hydrocarbures offshore avec l’afflux supplémentaire de devises étrangères vers le pays et l’amélioration de la situation de la balance des paiements qu’il engendrera. En réponse à une question au sujet des sanctions, américaines en particulier, l’accent a été mis sur l’efficacité du suivi assuré par la Banque du Liban et de l’Association des banques sur ce dossier et sur la solidité des relations avec les banques correspondantes. L’importance de la circulaire n° 126 dans laquelle la Banque du Liban demande aux banques de respecter les engagements auxquels sont tenus les banques correspondantes, vis-à-vis des sanctions et des normes internationales, a été relevée.

Enfin, le débat public au cours de la conférence LIFE a soulevé une série de questions, ou plutôt de défis, auxquels le Liban devra faire face pour mettre en œuvre le programme d’investissement dans les infrastructures, et j’en citerai trois. Le premier concerne la réduction de la taille du service public. Le processus a commencé, mais demandera du temps et ne se fera pas par magie. Le deuxième défi sera de faire face aux conditions socio-économiques pouvant résulter de la réforme des finances publiques et des dépenses publiques injustifiées. Puisqu’une réforme administrative et financière provoquera dans un premier temps une hausse du taux de chômage et un ralentissement de la croissance économique. Le troisième défi concerne, lui, la capacité de bonne mise en œuvre et de suivi effectif. Car il ne suffit pas de voter les législations requises pour aboutir à ces réalisations, compte tenu du fossé entre le législatif et la pratique, mais il y a besoin d’avoir une administration publique et un secteur privé compétents et qualifiés. L’engagement des cadres libanais affiliés à l’association LIFE, qui opèrent dans les plus grandes institutions financières internationales, dans la mise en œuvre du programme d’investissement dans les infrastructures constitue un véritable atout, pour la bonne gestion des fonds alloués aux projets inclus dans ce programme. Le temps est venu pour le Liban de bénéficier de ses ressources humaines abondantes, dotées du plus haut niveau d’expertise et de savoir-faire.

Le 7 août dernier, la section Liban de l’association LIFE a organisé une conférence à huis clos, au musée Sursock, dédiée à la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), tenue le 6 avril dernier à Paris. Les plus hauts responsables et les mieux renseignés des cadres libanais ont pris part à cet événement, aux côtés des...

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