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Culture - Danse

Hoedy Saad, ou la libération par le « voguing »...

Plus qu’une simple danse, un mouvement d’émancipation de la communauté LGBTQI+ raconté par le seul professeur connu au Liban.

Hoedy Saad, petite intro à la danse voguing. Photo Kareem Nakkash

Les mouvements sont extrêmement sensuels et féminins. Un peu maniérés aussi. Quand Hoedy Saad enseigne le « voguing » à ses élèves, dans un centre de fitness à Jounieh, la tête est haute, le regard assuré et le corps galbé. Pas dans son assiette ce jour-là, le professeur se transforme pourtant sur la piste. « Quand je danse, j’exprime le meilleur de moi-même, ma part de féminité. J’assume enfin ma vraie personnalité. »

Hoedy, 23 ans, actuellement étudiant vétérinaire, s’est intéressé au voguing il y a 7 ans, après avoir regardé le mythique documentaire de Jennie Livingston Paris is Burning. La réalisatrice a suivi pendant 7 ans les ballrooms new-yorkais des années 80, des concours de danse où est né le voguing, dont les mouvements s’inspirent des poses des mannequins. Popularisé par la communauté afro-américaine dans les années 60, ce mouvement tire son nom du magazine de mode Vogue. À l’époque, ces pages de papier glacé sont la quintessence de ce qui est interdit aux hommes gays, pauvres et noirs : le glamour, le luxe et la médiatisation. Lors de ces soirées, des travestis enflammaient les pistes de danse en imitant les icônes en couverture des magazines. Un espace de liberté et d’expression inouï.

Sans restriction ni jugement
Aujourd’hui, cette danse revient en force dans certains pays comme la France. Avec en tête de gondole l’artiste Kiddy Smile et son clip Let A B!tch Know, visionné plus de 900 000 fois. Au Liban, dans un pays ou l’homosexualité est considérée comme illégale, cette danse est plus confidentielle. « J’aimerais qu’on soit plus nombreux, regrette Hoedy Saad. Pour l’instant, je suis le seul professeur du Liban, mais j’espère que ça changera. » Pour en arriver là, Hoedy a travaillé d’arrache-pied, seul, en décortiquant les performances de grands danseurs sur YouTube, tout en cherchant a reproduire leurs mouvements. Ses modèles : Leiomy Maldonado, artiste transgenre porto-ricaine surnommée « The Wonder Woman of Vogue », ou Dashaun Wesly, la légende des ballrooms underground de Brooklyn. Pendant deux ans, Hoedy passe trois heures par jour à répéter. « Au début, c’était par pur plaisir, sans ambition particulière. J’aimais juste cette danse qui me faisait me sentir plus puissant. Sans restriction ni jugement. » En 2013, grâce à une vidéo postée sur les réseaux sociaux, son talent et sa passion attirent l’attention d’une danseuse de ballet et chorégraphe russe : Evgenia Assi. Elle lui propose de donner ses premiers cours de voguing à Beyrouth. La magie opère, le public est au rendez-vous.

Mouvements libérateurs
Aujourd’hui, Hoedy propage son art deux fois par semaine, le mardi soir dans une académie de danse à Dekouaneh et le samedi dans un club de sport à Jounieh. Les chiffres varient, mais le danseur compte entre 7 et 30 élèves par session.

Un public libanais très différent des danseurs originels, comme en témoigne le professeur : « Il y a des enfants, des hommes et des femmes de tous les âges qui viennent à mes cours. » À l’image de Marie-Jo, étudiante libanaise. « Je m’exerce à plusieurs styles de danse, mais le voguing me donne vraiment confiance en moi, c’est extrêmement féministe. Je ne pense pas que cette discipline parle uniquement aux homosexuels », estime-t-elle. Un avis partagé par Léa. « Hoedy nous rappelle qu’être forte passe par le fait de s’affirmer en tant que femme. C’est libérateur d’entendre cela au Moyen-Orient », affirme-t-elle.

Hoedy Saad, de son côté, refuse d’être un simple professeur de danse : « Le voguing est moins politisé au Liban que dans d’autres pays, mon travail consiste donc à éduquer et propager la culture queer qui m’a formé. Si tu veux danser le voguing, tu dois savoir pourquoi tu le danses. » Et ça marche. Léa avoue avoir fait des recherches sur internet après ses premiers cours. « Je sais maintenant ce que représente le voguing pour les personnes LGBT, et même si je n’en fais pas partie, ça me rend fière. »

Le danseur, désillusionné par les politiciens comme beaucoup de gens de sa génération, revendique son engagement : « Se sentir bien dans son corps, pour moi, c’est extrêmement politique. »

Club Kid en héritage
En dehors des cours, Hoedy Saad danse le voguing sur scène, dans des lieux tenus secrets, fréquentés par quelques personnes bien renseignées, lors d’incroyables performances. Ces soirs-là, plus flamboyant que jamais, il revêt différents costumes de monstre, comme le pantin du film Saw, ou le démon Azazel. Des choix qui ne relèvent pas du hasard dans cet environnement complexe et codifié. « J’appartiens au Club Kid, les monstres font partie de mon personnage. » Le Club Kid est un mouvement post-punk, constitué d’environ 800 drag-queens clownesques et trash, qui se sont illustrées dans le milieu de la nuit new-yorkaise dans les années 80… Son fondateur Michael Alig, alias « Party Monster », a fini derrière les barreaux après avoir assassiné un dealer… Plus sages mais extrêmement inventives, les nuits beyrouthines n’ont pas fini d’entendre parler du voguing… Ni de voir virevolter Hoedy Saad.

Les mouvements sont extrêmement sensuels et féminins. Un peu maniérés aussi. Quand Hoedy Saad enseigne le « voguing » à ses élèves, dans un centre de fitness à Jounieh, la tête est haute, le regard assuré et le corps galbé. Pas dans son assiette ce jour-là, le professeur se transforme pourtant sur la piste. « Quand je danse, j’exprime le meilleur de moi-même, ma...
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