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Spécial Banques - Juillet 2018

La recette de Riad Salamé : réformes structurelles, investissements et allègement du secteur public

Le gouverneur de la BDL se veut rassurant: « La suspension des prêts subventionnés à l’habitat n’a rien à voir avec la situation de l’immobilier. »

Riad Salamé, Le gouverneur de la BDL

Le secteur bancaire emploie environ 26 000 salariés au Liban. Leur nombre a augmenté de près de 20 % entre 2010 et 2017, comme le nombre de branches, alors que partout dans le monde tout devient numérique avec moins d’employés. Le secteur ne serait-il pas saturé ? 

Le secteur bancaire au Liban a connu une expansion, c’est ce qui explique le nombre d’employés en hausse. Cette expansion est due à une progression de l’inclusion financière, en ce sens qu’il y avait en 1993 quelque 60 000 clients en banque, alors qu’actuellement on est presque à un million de clients. Il y a eu également une expansion des services. Depuis la banque traditionnelle et commerciale, on a vu se développer plusieurs autres activités à l’intérieur des banques. Cela a nécessité davantage d’employés et d’expertise, ajouté au fait que le nombre de branches a également augmenté parce que nous restons un pays du Moyen-Orient et que chez nous le client aime voir son banquier.


Que pensez-vous de certaines banques qui donnent des taux de 10-15 % sur les dépôts en livres libanaises, bloqués de 1 à 5 ans ? N’est-ce pas un signe d’inquiétude à attirer de nouveaux capitaux ?

Nullement. Les banques sont libres de développer des produits. Cela se passe au Liban comme ailleurs. Il y a un fait, c’est que les taux d’intérêt ont augmenté non seulement au Liban, mais aussi dans la région et dans le monde, puisque les États-Unis sont en train d’augmenter leurs taux d’intérêt. D’autre part, il y a dans les marchés émergents aujourd’hui une hausse des taux d’intérêt que vous constaterez un peu partout. Je veux parler de l’Argentine, de la Turquie ou même de l’Inde et de l’Indonésie. Il y a un changement qui se fait dans le paysage financier mondial et régional, il y a aussi une compétition pour les dépôts, et donc les banques font leur intérêt finalement. Pour nous, tant que cela favorise la livre libanaise, nous n’avons aucune objection, surtout que la Banque du Liban n’est pas en train d’assumer des coûts supplémentaires à cause de ces stratégies-là.



Aucune raison de s’inquiéter donc ?

Aucune, et par ailleurs si vous regardez le dernier rapport du Fonds monétaire international après la réunion de son conseil d’administration, il a encouragé la hausse des taux d’intérêt pour attirer les capitaux. De même dans son dernier rapport, Moody’s a souligné que le Liban doit toujours attirer des dépôts, et l’agence a maintenu sa note « stable» concernant le pays. Je sais qu’il y a beaucoup de rumeurs et de théories qui circulent, mais en fait les fondamentaux sont rassurants, dans le sens que la BDL dispose de 44 milliards de dollars de réserves internationales à part l’or. Les banques elles-mêmes voient leurs dépôts augmenter à une cadence annuelle de 5 %, ce qui est satisfaisant. Et si nous regardons les prêts douteux, ils sont toujours au même niveau de 3,5 % du portefeuille de crédit dans le système bancaire. Les banques ont également un coefficient de solvabilité qui est de l’ordre de 15 % et plus, suivant Bâle III. Elles ont appliqué les nouvelles directives de l’IFLS 9 et le covering ratio sur la liquidité est adéquat. Le Liban a cependant une vulnérabilité à cause de son déficit et de sa dette, mais le fait qu’il y ait des transferts vers le pays ne met pas ces difficultés dans une situation où elles peuvent créer comme on l’entend une faillite soudaine.


N’existe-t-il pas des moyens afin de pouvoir monétiser les réserves en or ?

La loi libanaise interdit cela. Il y a eu une loi qui a été adoptée en 1983 qui interdit à la BDL de vendre, de nantir ou d’utiliser de n’importe quelle sorte que ce soit son or. Donc c’est un bien de la banque centrale, qui a une valeur qu’on peut monétiser internationalement, mais qu’on ne peut utiliser pour des raisons juridiques. D’ailleurs, tant que le pétrole et le gaz n’ont pas apparu dans les zones économiques libanaises, nous restons favorables à ne pas disposer de nos stocks d’or ni à les utiliser. Par conséquent, cette loi ne nous gêne aucunement.


Comment sortir d’une économie de rente, comme le disait Georges Corm en 1998, et pouvoir diminuer les taux d’intérêt afin d’encourager l’investissement productif ?

Je pense que l’application des projets qui ont été approuvés durant la conférence de Paris va faire en sorte que le Liban ait une infrastructure capable de stimuler la productivité dans notre pays. Vous ne pouvez pas par des vœux ou des déclarations avoir une économie productive, il faut qu’il y ait l’infrastructure qui permet cela. Le nouveau gouvernement, quand il sera formé, aura essentiellement à mon avis comme objectifs d’un côté d’appliquer les projets de CEDRE qui ont un financement prêt pour cela et de l’autre d’entamer des réformes structurelles afin de diminuer le déficit. Par ailleurs, il existe une tendance qu’il faut que le pays adopte.

C’est-à-dire que le secteur public occupe aujourd’hui une grosse part du PIB, trop grande pour que le pays soit compétitif et efficace. Avant la guerre, dans les années 70, le secteur public représentait 17 % de notre PIB. Aujourd’hui, il représente 35 %. Donc il faut encourager le secteur privé, les entrepreneurs au Liban. À la BDL, nous avons mis tout un dispositif en place, notamment pour qu’il y ait un nouveau secteur dans le pays, qui est celui de l’économie digitale, afin que les jeunes Libanais puissent créer leurs entreprises, avoir un rêve qu’ils ont perdu à cause du fait qu’on a trop élargi le secteur public.


Avec l’arrêt des prêts bonifiés sur l’immobilier, que comptez-vous faire pour relancer cette activité qui est au point mort ?

D’abord je dois préciser que la Banque du Liban, lorsqu’elle a subventionné les prêts, que ce soit à l’habitat, à l’industrie, au tourisme ou à l’environnement, voulait d’abord remplir sa mission, c’est-à-dire régler la liquidité sur le marché de sorte qu’on n’entre pas en récession, et cela à cause de la chute des prix du pétrole et de la guerre en Syrie. C’était en 2011. Mais ce qui s’est passé au niveau de l’habitat, c’était une demande hors du commun. Au mois de février 2018, nous avions mis sur le marché un demi-milliard de dollars de prêts subventionnés. Ils ont été absorbés en un mois et les banques ont même dépassé ce quota de 300 millions. Si la BDL devait continuer à émettre des garanties sur ce genre de prêts, on serait allé vers la crise. Aujourd’hui, le devoir premier de la Banque du Liban est de préserver la stabilité monétaire, et donc nous avons dit que pour 2018 il n’y aurait plus de prêts subventionnés. Certains ont essayé de lier cela à la situation dans l’immobilier en général ou aux valeurs foncières. Cela également est faux parce que la régression dans le domaine foncier avait déjà commencé en 2011. À cette époque, la taille de l’activité de l’immobilier et tout ce qui tourne autour était à peu près de douze milliards de dollars, alors qu’aujourd’hui elle est de 7 milliards. Il y a donc eu une régression progressive. Cette régression n’est pas seulement propre au Liban ; elle est régionale. Dans d’autres pays, les biens immobiliers ont chuté beaucoup plus qu’au Liban. Par ailleurs, nous avons une directive qui permet aux développeurs immobiliers de clôturer leurs dettes immobilières sans qu’ils soient classifiés et la banque peut vendre durant cinq ans ce bien ou bien amortir son coût s’il n’est pas vendu sur 5 ans.

Nous avons ainsi trouvé une porte de sortie pour qu’il n’y ait pas de faillite. Sur les 13 derniers mois, il y a eu 2 milliards 300 millions de dollars de prêts subventionnés à l’habitat. Malgré cela, la croissance n’a pas augmenté, ce qui veut dire qu’il y a eu aussi une planification qui était un peu aventurière. Il y avait beaucoup de stocks non vendus sur le marché. Ces prêts n’ont pas profité à l’économie. S’il y a un ralentissement économique, ce n’est sûrement pas dû au fait qu’il n’y a pas d’argent pour l’habitat. Nous sommes convaincus qu’il faut que chaque Libanais puisse avoir accès à la propriété. Aussi avons-nous injecté des liquidités en utilisant le secteur de l’habitat et d’autres secteurs pour servir les Libanais. D’autres banques centrales avaient d’autres stratégies pour émettre des liquidités. Nous avons opté pour celle-ci afin que les citoyens en profitent aussi et que cela n’aille pas à la spéculation.


Que pensez-vous des marchés des eurobonds libanais en complète chute libre ces derniers temps ?

Il y a une baisse des prix de nos eurobonds et une hausse des taux d’intérêt. Cela a été motivé par la baisse des bonds sur tous les marchés émergents, en plus de la crise gouvernementale au Liban. Mais au cours des dix derniers jours, nous avons eu un redressement de la valeur de ces bons et un recul des taux d’intérêt. Tout cela n’a rien à voir avec l’état du pays, et d’ailleurs aujourd’hui, tous ceux qui suivent ces marchés constatent que le bon libanais a mieux résisté et continue à être demandé, malgré le fait qu’il y a à nouveau des baisses importantes sur les marchés émergents.

Je pense que le Liban a besoin des réformes dont on a parlé. Il a aussi besoin de nouveaux investissements. Cela requiert quand même de la stabilité politique et de la confiance. La croissance pour 2018, nous l’avons estimée à 2 %. Mais cette croissance n’est pas suffisante, puisque nous avons besoin d’une croissance de 5 à 6% pour que la stabilité soit renforcée, de sorte que la croissance existante soit aussi importante que la croissance de la dette. Et ainsi stabiliser le taux d’aide par rapport à notre pays. Donc le Liban n’est pas du tout sur le point de s’effondrer, comme certains le disent. Mais le pays ne bénéficie pas d’une croissance suffisante pour assurer des créations d’emploi et une épargne susceptible d’être réinvestie pour générer davantage de croissance. La tâche essentielle aujourd’hui est de développer cette infrastructure qui va permettre une plus grande croissance et encourager le secteur privé en diminuant la taille du secteur public, de sorte que la ponction fiscale ne soit pas tout le temps à la hausse.


Jusqu’à quand le pays peut-il attendre la formation du gouvernement ?

Il est certain que nous avons besoin de former un gouvernement au plus vite. Mais utiliser le thème du pays qui va aller à la faillite ou à l’effondrement pour presser à la mise en place du cabinet est d’une extrême gravité. Il est certain qu’au regard des finances du pays, le plus tôt on peut se mettre à l’œuvre, le mieux c’est. Par ailleurs, la situation monétaire est satisfaisante. Ce n’est pas moi seul qui le dis, mais les rapports des agences de notation.


Les ingénieries financières n’ont-elles pas servi surtout à renflouer certaines banques au vu des difficultés qu’elles avaient sur certains marchés ?

Aujourd’hui les ingénieries financières que nous avons opérées, surtout celles de 2016, ont renforcé toutes les banques locales parce que nous les avons empêchées de prendre en compte les profits du revenu de ces ingénieries et avons demandé qu’ils soient capitalisés. Cela ne veut pas dire que les banques étaient en difficulté. Mais s’il n’y avait pas eu cette ponction de revenu, elles n’auraient pas été à même d’avoir les ratios nécessaires pour continuer à donner des crédits – et ces crédits représentent aujourd’hui 60 milliards de dollars, plus que le PIB du pays –, et donc continuer à participer à la croissance de l’économie nationale. Ce que je veux dire ici, c’est que ces ponctions ont servi à renforcer des établissements de crédit et n’ont pas été dans la poche des propriétaires des banques. Notre mission par le biais de la monnaie et du crédit est de maintenir un environnement stable et renforcé, pour maintenir le crédit dans le pays. Nous avons pu le faire sans augmenter les taux d’intérêt. Et d’ailleurs, aujourd’hui, vous n’avez plus d’ingénierie financière et les taux d’intérêt sont beaucoup plus hauts. Donc il y a quelque part une facture à payer. Notre politique par ailleurs en tant que banque centrale est de ne pas mettre en difficulté une banque. Il est important de maintenir la confiance des déposants dans le pays. Certains essaient de résoudre les problèmes du Liban à travers le secteur bancaire ou proposent cela, mais ceci n’aura jamais lieu.


Est-il exact qu’une fusion entre la Bankmed et la Bank Audi pourrait avoir lieu ?

Cette rumeur est infondée et nous n’en avons pas du tout été informés. D’ailleurs, comme je connais les deux banques, je peux vous dire qu’il n’y a même pas un début de négociation dans ce sens.


Le sujet n’a même pas été évoqué ?

Non, jamais. D’ailleurs la politique de la Banque du Liban est de ne pas accepter des projets de fusion entre les 12 premières banques du pays.


Le secteur bancaire emploie environ 26 000 salariés au Liban. Leur nombre a augmenté de près de 20 % entre 2010 et 2017, comme le nombre de branches, alors que partout dans le monde tout devient numérique avec moins d’employés. Le secteur ne serait-il pas saturé ? Le secteur bancaire au Liban a connu une expansion, c’est ce qui explique le nombre d’employés en hausse. Cette...

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