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L’arbre qui cache la forêt

L’affaire pourrait être perçue comme une banale accusation de diffamation. Mais se focaliser sur un point de détail empêche souvent d’appréhender une situation d’une tout autre dimension, beaucoup plus grave que la partie visible de l’iceberg. Les poursuites engagées contre l’ancien président de la Ligue des professeurs de l’Université libanaise Issam Khalifé ne sont nullement un simple fait divers judiciaire. Elles cachent en réalité un problème endémique, et chronique, au cœur de la profonde crise existentielle dans laquelle se débat le pays depuis de nombreuses années, voire des décennies, à savoir l’incapacité d’une certaine classe dirigeante, à quelques exceptions près, à édifier un État véritablement performant, en mesure d’assurer au citoyen lambda les conditions minima d’une vie un tant soit peu digne, dans toute l’acception du terme.

Pour saisir la portée réelle du problème dans toute sa dimension, un succinct retour en arrière s’impose, plus précisément à l’époque de l’âge d’or du mouvement estudiantin du début des années 70. Issam Khalifé était alors l’un des principaux leaders de ce mouvement particulièrement actif, dont les revendications portaient essentiellement sur la création de facultés de sciences appliquées au sein de l’Université libanaise (génie, médecine, agronomie…), parallèlement à la « démocratisation de l’enseignement », slogan qui signifiait concrètement l’adoption d’une politique étatique permettant l’accès des jeunes de condition sociale modeste à un enseignement universitaire de qualité.

L’établissement d’une telle université nationale bénéficiant d’un niveau académique respectable (dont l’avant-garde était la faculté de sciences fondamentales) était en quelque sorte l’une des dernières pièces maîtresses de l’édification d’un État moderne, dont les premiers jalons avaient été conçus dans les années 60 par le président Fouad Chéhab avec la mise en place des divers organismes de contrôle, toujours en place actuellement (Inspection centrale, Conseil de la fonction publique, etc.).

En dénonçant ouvertement une gestion sectaire, clientéliste et égocentrique de l’Université libanaise, l’ancien leader estudiantin et représentant des professeurs cadrés de l’UL tire la sonnette d’alarme au sujet de la vocation et de la raison d’être de l’université nationale, mais il pose aussi, surtout, par ricochet un problème encore plus grave : celui des fondements et du délicat équilibre de l’édification de l’État, censé être le garant des droits des citoyens et de toutes les composantes du tissu social libanais. Car le dysfonctionnement et le déséquilibre dénoncés par Issam Khalifé, reflets de pratiques sectaires au niveau de l’UL, ne se limitent pas à l’établissement universitaire public, mais ils s’étendent également à bien d’autres domaines et institutions, sapant ainsi dangereusement les capacités, l’autorité et le prestige de l’État.

De la même façon, lorsque les ministres représentant les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste au sein du gouvernement sortant dénonçaient avec véhémence les irrégularités flagrantes dans le traitement du dossier des navires-centrales, la portée de leur contestation se situait bien au-delà du secteur concerné et posait en réalité, dans son essence, la problématique de la rationalisation et de la transparence qui devraient dicter la gestion de la chose publique.

C’est en quelque sorte de la prééminence de la logique de l’État de droit qu’il s’agit là… À la condition que cet État soit géré non pas par des fromagistes, à la mentalité de surcroît sectaire, mais plutôt par de grands commis de l’État (une catégorie malheureusement en voie de disparition…).

À la conférence de soutien au Liban qui s’est tenue à Paris en avril dernier (la CEDRE), les promesses d’aides au redressement de l’économie libanaise ont été conditionnées à l’application de réformes structurelles. De telles réformes passent toutefois, irrémédiablement, par un certain état d’esprit, aux antipodes des pratiques fromagistes et du sectarisme rampant. La cabale lancée çà et là contre les voix contestataires, qui dénoncent sans détour les déviations et les irrégularités grossières, ne constitue pas sur ce plan un signe encourageant, d’autant que ces voix reflètent un profond malaise bien réel qu’il serait erroné d’occulter. Dans le contexte local et régional présent, le pays ne peut plus en effet se permettre de faire taire ceux qui s’élèvent contre l’entreprise de sabotage de l’édification d’un État de droit. Tout silence complice constitue dans ce cadre rien moins qu’un crime impardonnable envers les générations montantes.

L’affaire pourrait être perçue comme une banale accusation de diffamation. Mais se focaliser sur un point de détail empêche souvent d’appréhender une situation d’une tout autre dimension, beaucoup plus grave que la partie visible de l’iceberg. Les poursuites engagées contre l’ancien président de la Ligue des professeurs de l’Université libanaise Issam Khalifé ne sont...

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CA RÉSONNE BIEN CES TRISTES PAROLES, MALHEUREUSEMENT C'EST TROP TARD DE CHANGER QUOI QUE SE SOIT. MERCI MONSIEUR TOUMA QUAND MÊME. L'IRAN ET L'ARABIE SAOUDITE PAR LEUR ARGENT, ONT RÉUSSI À ACHETER DE PETIT MONDE AU LIBAN ET NOUS LES ONT IMPOSÉ AU POUVOIR. CES GENS LÀ ON LES APPELLE DES MERCENAIRES.

Gebran Eid

14 h 52, le 31 juillet 2018

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Commentaires (1)

  • CA RÉSONNE BIEN CES TRISTES PAROLES, MALHEUREUSEMENT C'EST TROP TARD DE CHANGER QUOI QUE SE SOIT. MERCI MONSIEUR TOUMA QUAND MÊME. L'IRAN ET L'ARABIE SAOUDITE PAR LEUR ARGENT, ONT RÉUSSI À ACHETER DE PETIT MONDE AU LIBAN ET NOUS LES ONT IMPOSÉ AU POUVOIR. CES GENS LÀ ON LES APPELLE DES MERCENAIRES.

    Gebran Eid

    14 h 52, le 31 juillet 2018

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