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Liban - Patrimoine

1998-2018 : 20 ans de fouilles et un travail de fourmi pour en savoir plus sur Sidon et ses rites cultuels

L’année 2018 marque les vingt ans de la mission archéologique du British Museum sur le site de l’école américaine de Saïda à Bouwebet el-Fawqa, près de la savonnerie Audi. Les recherches ont montré que la population libanaise actuelle descend directement des personnes qui vivaient au Liban il y a 4 000 ans.

Vase en albâtre trouvé dans le temple phénicien de Sidon.

« Les fouilles de Sidon présentent un intérêt certain, à plus d’un titre : la complexité et la richesse archéologique de chaque étape du développement de la ville nous sont enfin révélées pour la première fois ; des jalons dont nous n’avions jusque-là que soupçonné l’existence se dessinent », déclare la chef du chantier Claude Doumet Serhal.

En 1998, la Direction générale des antiquités donne l’autorisation au British Museum d’entreprendre des fouilles archéologiques sur l’ancien site du collège américain, à Saïda, situé le long du rempart médiéval, à l’emplacement même du fossé de la ville.
« La fouille stratigraphique minutieuse, l’analyse architecturale détaillée et l’étude chronologique des céramiques et des objets découverts nous ont donné une image plus précise de la continuité historique de l’occupation de la ville, souligne Mme Serhal. En effet, le site a été habité par les Sidoniens depuis l’époque chalcolithique puis pendant les périodes cananéenne et phénicienne jusqu’à l’époque médiévale. L’ensemble de l’histoire de la ville est concentrée en ce lieu où, entre le château de la terre et le château de la mer, les structures défensives médiévales de Sidon ont été progressivement mises au jour. Des tours semi-circulaires qui renforçaient autrefois les fortifications étaient placées le long de la muraille à une distance de 55 m les unes des autres. Jusqu’à présent, sans indication notable de travaux de restauration majeure, on croit que ces structures défensives avaient été construites en une seule phase aux environs de l’époque de saint Louis. » À l’exception d’une seule tour, découverte cette année à l’extrémité nord du site près du musée du savon Audi. Elle est plus récente ; elle remonte à l’époque mamelouke. Tombée en désuétude, son espace intérieur a été transformé en silo.
L’accent est toutefois mis sur le site de l’école américaine qui, depuis l’époque médiévale jusqu’au IVe millénaire, a été un haut lieu funéraire. Il représente « un intérêt exceptionnel et majeur », particulièrement en ce qui concerne les cultes sacrificiels et les pratiques cultuelles des Cananéens et des Phéniciens. En ces temps-là, les scènes d’offrande et les banquets allaient de pair autour des 170 sépultures d’enfants et d’adultes (exhumées à ce jour), ainsi que dans les trois principaux temples mis au jour.
Le premier est un grand temple cananéen de 47 mètres de long datant de 1600 av. J.-C. Il témoigne des cérémonies rituelles avec le bris volontaire de vaisselle après consommation. Ainsi, dans une des chambres du temple, les archéologues ont déterré un magnifique tabernacle portatif dédié à la déesse Ishtar, un nombre d’encensoirs, 500 lampes à huile et des centaines d’assiettes délibérément brisées. Comme à Ebla et à Peldaba’a, dans le delta du Nil, ici aussi on pratiquait le rituel de manger et de casser les assiettes. La quantité de lampes à huile découvertes porte à croire que le temple n’avait pas de fenêtres ou bien que le rituel se déroulait la nuit. Le rituel de libations et de banquets s’installe aussi au niveau des couches du bronze récent où les spécialistes ont dégagé un autre édifice ainsi qu’une « impressionnante quantité » de céramiques de Mycènes et de vases à champagne très pointus qu’on appelle des rythons.

Le programme de flottation et les analyses menées par un spécialiste de l’University College of London ont permis de relever au sein de plusieurs foyers domestiques les résidus de lentilles, de pois chiches et de haricots blancs, ainsi qu’une grande quantité d’os d’animaux, qui prouvent le rôle prédominant de la consommation de la viande sacrificielle. Toutefois, un stockage en briques crues renfermant un dépôt de 160 kg de Vicia faba permet d’affirmer que le « foul » est la légumineuse préférée de Sidon.
Le deuxième temple cananéen est souterrain, profond et caché. Il remonte au XIIIe siècle av. J.-C. et répond à un lieu de culte particulier : 25 cornes en pierre sont fichées dans le canal sacré, et une vraie corne de cerf a été découverte. Cette structure de canal, qui recueillait le sang des animaux sacrifiés, semble avoir été utilisée couramment comme marqueur symbolique de transition entre les vivants et les morts. On la retrouve aussi bien dans les temples phéniciens que cananéens, précise l’archéologue.


(Pour mémoire : Quand le marbre voguait du Pirée vers Sidon)


Le dieu Hermès et la monnaie d’Europe
Au même emplacement, le Phénicien a installé un temple, qui a perduré du XIe au VIII siècle avant J.-C. « Il présente au moins 11 niveaux de sol superposés et est toujours en cours de fouille », précise Mme Serhal. Les fouilles sont financées par la Cimenterie nationale SAL et la fondation Hariri. De nombreux os de seiche ont été découverts sur une couche d’argile protégeant le sol. « Le motif de ces céphalopodes était utilisé pour décorer la vaisselle des cérémonies dans le monde égéen. Le fait qu’ils soient également consommés dans un temple sidonien renforce encore l’idée qu’il s’agissait d’une coutume répandue autour de la Méditerranée », explique la spécialiste. Parmi les petits objets de valeur trouvés dans ce temple, elle signale un vase en albâtre, la figurine en terre cuite d’une déesse, ainsi qu’un os rectangulaire poli sur lequel est gravé un homme debout, la tête tournée vers la droite, la main gauche levée et tenant un arbre dans sa main droite. « Il s’agit d’une divinité adorant l’arbre de vie, motif dérivant sans doute d’une tradition cananéenne. Bien que ce motif ait été développé à l’origine comme symbole d’une déesse de la fertilité (Ishtar ou Asherah), sa relation avec cette divinité est devenue de plus en plus obscure au début de l’âge du fer », explique Mme Serhal. Les couches de l’âge du fer ont livré de belles céramiques, notamment une amphore antique représentant deux cavaliers en tunique blanche portant des lances et allant à la guerre. Une autre décline un intercesseur posant devant le dieu Hermès aux sandales ailées. Claude Doumet Serhal est épatée par la qualité de ces « pièces de musée très bien conservées ». Mais c’est la découverte d’une monnaie sur laquelle est gravée Europe chevauchant le taureau, et son voile qui vole tout au-dessus comme un arc-en-ciel, qui l’a fait chavirer de joie.
« College Site » est un projet de grande envergure qui s’est positionné dès le début sur la longue durée, et qui a donc bénéficié de suffisamment de temps pour une recherche scientifique approfondie et à portée internationale.


(Lire aussi : Un passé médiéval sous la maison Sacy à Saïda ?)


Cananéen = phénicien
Pour conclure, Claude Doumet Serhal fait observer que « les données obtenues lors des fouilles de ce temple ont renforcé la très importante question de l’interchangeabilité de la notion de “cananéen” et de “phénicien” et ont apporté des réponses convaincantes qui ne laissent aucun doute sur le fait que les Phéniciens à l’âge du fer sont bien les descendants des Cananéens du IIe millénaire av. J.-C. » Elle rappelle qu’en 2017, une collaboration entre l’Institut Sanger et l’Université de Cambridge au Royaume-Uni a été entreprise pour étudier l’ADN des squelettes exhumés sur le site de l’école américaine de Saïda. « Le projet était ambitieux car il s’agissait de tenter d’extraire et d’étudier l’ADN de personnes enterrées depuis 4 000 ans au Liban, dans une zone géographique de climat méditerranéen, bien peu favorable à la survie de l’ADN ancien. Cependant, l’équipe a pu avec succès séquencer l’ensemble des génomes de cinq individus qui ont vécu durant l’âge du bronze moyen de Sidon (l’époque cananéenne). L’opération a montré pour la première fois que les habitants de Sidon connus comme étant des Cananéens (et plus tard des Phéniciens) descendaient d’un mélange entre les habitants locaux et les migrants venus de l’est, probablement de la région du Zagros (une région montagneuse du sud-ouest de l’Iran) qui seraient arrivés au Levant il y a environ 5 000 ans. Cependant, les résultats les plus surprenants ont été obtenus lorsque les scientifiques ont comparé les génomes des individus anciens aux génomes des populations actuelles du Liban et ont constaté qu’ils étaient presque identiques. Ce qui signifie que les nombreuses invasions et migrations pendant 4 000 ans ont eu peu d’impact génétique sur la population libanaise et, par conséquent, la population libanaise actuelle descend directement des personnes qui vivaient au Liban il y a 4 000 ans. L’essor des études génétiques en Méditerranée orientale apportera encore de nombreux éclaircissements dans un avenir proche sur l’occupation humaine aux époques cananéennes. »

Des trésors…
Dans ces temples et autour des tombes, où se tenaient des banquets en l’honneur des morts, un nombre de trésors ont été exhumés, notamment « la plus grande concentration jamais trouvée au Levant de rythas » (sortes de flûtes à champagne, XIIIe siècle avant J.-C.) ; « la plus vieille coupe minoenne enregistrée au Levant ; une tablette cunéiforme, la première jamais trouvée à Sidon. Il s’agit d’une liste de commandes d’objets en bois. Cette découverte indique que le cunéiforme était utilisé à Sidon au bronze récent dans le commerce et la vie quotidienne. Les fragments du vase de la reine Tawofret, successeur de Ramsès II, ont été également découverts. Une quantité de jarres, dont une renfermant neuf astragales, os du pied qui, archéologiquement parlant, a toujours eu, et on ne sait pas pourquoi, une connotation rituelle et votive. De ce chantier archéologique en permanente évolution depuis 20 ans a également surgi la seule statue de prêtre phénicien découverte au Liban depuis les années 1960. Il n’en existe que trois autres conservées au musée national de Beyrouth, provenant de Sidon (collection Ford), d’Umm el-Amed et de Tyr. Sur le site trônait aussi le signe en bronze de la déesse phénicienne Tanit/Astarté ». Une découverte rare car le Liban n’en possédait jusque-là que deux : l’un issu du site de Sarepta (nord de Sarafand) et l’autre provenant des fouilles de Tyr. De même, une tête en terre cuite du dieu égyptien Bes, qui passait pour chasser les mauvais esprits et le mauvais œil, et qui avait été adopté par les Phéniciens. Représenté de face, son visage grimaçant est encadré par deux grandes oreilles et une crinière de lion. Un des temples a livré un kernos, vase à offrandes composé de plusieurs récipients reliés entre eux. Un tabernacle portatif représentant un sanctuaire miniaturisé, dans lequel était placée une effigie divine. Un récipient anthropomorphe en forme de buste, portant des attributs féminins avec la rondeur de deux seins. Son col étroit offre un motif à « collerette », évoquant un collier. Cet élément féminin, symbole de la mère, accompagnait deux enfants dans leur voyage vers l’au-delà.
Des milliers d’autres objets et de tessons ont été recueillis : des bijoux, des scarabées, de la terracotta locale; des sceaux-cylindres dont un est gravé d’une scène représentant une procession humaine, dans le style caractéristique d’Ebla. Des pinces à braise ou à épiler, la statuette en terre cuite d’une mère portant son enfant, etc. Des jarres égyptiennes, des céramiques importées de la Grèce antique, etc.
Tous ces objets prendront place dans le futur musée du site dessiné par la boîte Khatib et Alami, et dont la construction est financée par le Fonds koweïtien pour le développement économique.


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« Les fouilles de Sidon présentent un intérêt certain, à plus d’un titre : la complexité et la richesse archéologique de chaque étape du développement de la ville nous sont enfin révélées pour la première fois ; des jalons dont nous n’avions jusque-là que soupçonné l’existence se dessinent », déclare la chef du chantier Claude Doumet Serhal. En 1998, la...

commentaires (3)

"Les recherches ont montré que la population libanaise actuelle descend directement des personnes qui vivaient au Liban il y a 4 000 ans." Je trouve qu'il faut quand même prendre des telles recherches avec un grain de sel. Dans le même article on lit aussi "L’opération a montré pour la première fois que les habitants de Sidon ... descendaient d’un mélange entre les habitants locaux et les migrants venus de l’est, probablement de la région du Zagros (une région montagneuse du sud-ouest de l’Iran)". Voilà que déjà des milliers d'années la population libanaise c'est donc un mélange de toute sorte de gens à ce carrefour entre occident et orient.

Stes David

09 h 14, le 24 juillet 2018

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Commentaires (3)

  • "Les recherches ont montré que la population libanaise actuelle descend directement des personnes qui vivaient au Liban il y a 4 000 ans." Je trouve qu'il faut quand même prendre des telles recherches avec un grain de sel. Dans le même article on lit aussi "L’opération a montré pour la première fois que les habitants de Sidon ... descendaient d’un mélange entre les habitants locaux et les migrants venus de l’est, probablement de la région du Zagros (une région montagneuse du sud-ouest de l’Iran)". Voilà que déjà des milliers d'années la population libanaise c'est donc un mélange de toute sorte de gens à ce carrefour entre occident et orient.

    Stes David

    09 h 14, le 24 juillet 2018

  • LA POPULATION LIBANAISE ACTUELLE EST UN AMALGAME !

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    09 h 11, le 24 juillet 2018

  • ""Il témoigne des cérémonies rituelles avec le bris volontaire de vaisselle après consommation."" ""la découverte d’une monnaie sur laquelle est gravée Europe chevauchant le taureau, et son voile qui vole tout au-dessus comme un arc-en-ciel…"" Des découvertes très intéressantes. Bonne continuation…

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    01 h 36, le 24 juillet 2018

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