Entre Jamil Sayyed, député de Baalbeck-Hermel, et le président du Parlement, Nabih Berry, la tension est à son paroxysme. L’ancienne inimitié entre les deux hommes, qui remonte à l’époque de la tutelle syrienne au Liban, s’est ravivée il y a quelques jours, lorsqu’un tweet posté par l’ancien directeur de la Sûreté générale a enflammé les réseaux sociaux, irritant au plus haut plus point les partisans de M. Berry qui n’ont pas tardé à riposter de manière cinglante.
La semaine dernière, M. Sayyed avait déclaré sur Twitter : « Les chiites en politique ont deux ailes, l’aile étatiste dirigée par Berry, l’aile de la résistance dirigée par Hassan Nasrallah. Les chiites de la résistance font leur devoir dans le Sud. Les chiites étatistes ont beaucoup donné au Sud, mais ils n’ont pas donné à la Békaa ce qu’elle mérite. La Békaa est une bombe à retardement. » M. Sayyed avait également dénoncé un déséquilibre dans les nominations au sein du département de la Sécurité de l’État, indiquant que 20 personnes originaires de la Békaa avaient été nommées dans ce cadre, contre 90 personnes venant du Sud.
Dans une tentative de clarifier sa position, l’ancien directeur de la Sûreté a tenu hier une conférence de presse, en précisant que ses propos n’étaient que la répercussion des interrogations des habitants de la région qui, « lors des meetings électoraux, se demandaient pourquoi la Békaa ne bénéficiait pas du même traitement que le Sud ».
M. Sayyed, qui cherchait vraisemblablement à atténuer l’impact de cette polémique qui a pris une ampleur inattendue, a tenu à clarifier, à l’adresse de ceux qui l’accusent d’ambitionner de prendre la place de M. Berry à la tête du législatif, qu’il n’en est rien. « Celui qui veut parvenir à la présidence du Parlement doit faire de la complaisance à l’égard des grands blocs, ce qui n’est pas mon cas », a-t-il dit, avant d’ajouter qu’il est « pratiquement en état d’hostilité avec Walid Joumblatt, Saad Hariri, Samir Geagea et Gebran Bassil ». Le député ajoutera toutefois un peu plus loin que « l’une des qualités de M. Berry est qu’il n’a ni gendre ni fils à qui il laisserait un legs politique ».
M. Sayyed est revenu à la charge en expliquant avoir déjà évoqué après les législatives devant M. Berry les besoins de la Békaa en termes de sécurité, d’emploi et de projets de développement. « Il m’a répondu que personne ne répond à ses demandes » à ce sujet. Les députés de la Békaa, région qui a connu ces dernières semaines des débordements sécuritaires, demandent depuis l’aide de l’État, notamment sur le plan économique. « Je cherchais tout simplement à mobiliser M. Berry à ce sujet, sachant qu’il a bien plus de moyens d’intervenir rapidement au sein de l’État que Hassan Nasrallah », a-t-il encore dit.
L’ancien officier a par ailleurs révélé que certaines des dernières recrues au sein de la Sécurité de l’État avaient payé des pots-de-vin pour intégrer cet organisme. Dans un autre tweet posté également la semaine dernière, le député avait indiqué que des centaines de personnes ont ainsi été recrutées entre 2005 et 2018. Hier, il est revenu sur ce sujet, en soulignant qu’il « s’agit d’une provocation pour mettre le Liban-Sud et la Békaa face à face ».
Le ministre sortant de la Justice, Salim Jreissati, a aussitôt envoyé une lettre au procureur général près la Cour de cassation, Samir Hammoud, afin que la justice prenne en considération les propos de M. Sayyed lors de sa conférence de presse et poursuive les responsables et les complices dans le paiement de pots-de-vin dans le recrutement d’officiers au sein des forces armées.
Dans un communiqué, le mouvement Amal a répondu aux propos de M. Sayyed. « Dans un souci de vérité, nous sommes obligés de lui rappeler son historique de fausses accusations et de fabrications (..) mais nous ne nous laisserons pas entraîner dans la discorde », indique ce texte. « À l’adresse de celui qui se réclame de l’honneur militaire, nous le mettons au défi de prouver devant la justice ses accusations », ajoute le communiqué, assurant que « lui et d’autres savent que seuls les grands travaillent aux côtés de M. Berry ».
Par-delà les détails des échanges cinglants et les accusations mutuelles, cette nouvelle polémique entre les deux personnalités chiites en dit long sur la rivalité qui a ponctué l’historique de leur relation. « L’absence d’alchimie entre les deux hommes n’a pas arrangé les choses », note Kassem Kassir, un analyste politique proche des milieux du Hezbollah qui établit d’ailleurs un parallèle entre le conflit Berry-Sayyed et celui qui oppose le chef du législatif au président de la République, Michel Aoun.
Du temps de la présence syrienne au Liban déjà, Jamil Sayyed, l’homme fort à l’époque qui entretenait un rapport particulièrement privilégié avec le régime d’Assad, n’était pas particulièrement apprécié par le chef du législatif. Leur relation s’est envenimée un peu plus lorsque l’ancien directeur de la Sûreté s’est retrouvé durant quatre ans en prison, dans le sillage de l’enquête internationale menée sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, pour être ensuite relâché, une épreuve mal vécue par M. Sayyed et qui n’a pourtant pas suscité la moindre « compassion » ni même une intervention de la part de M. Berry, comme le souligne une source proche du 8 Mars.
Aujourd’hui, pour nombre d’observateurs, M. Sayyed a les yeux rivés sur la présidence de la Chambre et s’y prépare d’ores et déjà en entamant une « bataille préventive », estime M. Kassir. « M. Sayyed ne se comporte pas comme un simple député mais comme un vrai leader », commente-t-il encore, tout en estimant cependant que le fait d’avoir joué sur les contradictions à caractère régional – la Békaa face au Sud – n’est pas pour plaire au Hezbollah, d’autant que c’est le public du Hezbollah dans la Békaa que M. Sayyed chercherait à séduire.
C’est notamment ce qui expliquerait l’intervention inopinée du parti chiite qui, dès le début de la crise, a dépêché un médiateur pour calmer le jeu entre les deux parties. Une source autorisée au sein du parti a confirmé la poursuite de cette médiation, laissant entendre que le Hezbollah « n’a aucun intérêt à ce que le clivage au sein de la communauté s’approfondisse ». Comprendre qu’entre Jamil Sayyed et Nabih Berry, c’est en faveur de ce dernier que le parti chiite se prononcera, même s’il préfère ménager « un poulain » trublion dont le parti a soutenu la candidature durant les législatives, semble-t-il à la demande du régime syrien.
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commentaires (8)
De plus semble que le sommet Trump/Poutine n'a pas discuté le problème crucial de Sayed et Berry ... ça vas sûrement retarder la formation du gouvernement encore quelque temps...
Wlek Sanferlou
23 h 52, le 18 juillet 2018