Habillée d’un élégant tailleur vert, Régine Merheb Noujaim, octogénaire, nous reçoit dans son appartement de Furn el-Chebback. Son enfance, elle l’a passée à Beyrouth, dans un appartement proche de l’église Saint-Louis des capucins, face au quartier juif de Wadi Abou Jmil.
Comme quelques Beyrouthins du troisième âge, Régine Merheb Noujaim se souvient du Dr Nessim Chams, le médecin juif qui a refusé de quitter le Liban et qui était connu à Beyrouth comme étant « Bay el-fakir » (le père des pauvres).
Le Dr Nessim Chams faisait le bien et auscultait gratuitement toute personne dans le besoin. Beaucoup le payaient avec des biens de consommation, des œufs, des légumes et du yaourt. Il est décédé avec son épouse durant les années soixante-dix. Tous les deux sont enterrés au cimetière juif de Sodeco.
« Je me souviens du Dr Chams. Tout le quartier le connaissait ; il était gentil, généreux, accueillant, chaleureux et affable. Sa porte était ouverte à tous, riches et pauvres, chrétiens, musulmans ou juifs. Il recevait ses malades dans le même immeuble qui abritait son appartement à Wadi Abou Jmil. C’est lui qui m’a percé les oreilles. Je devais avoir cinq ou six ans », raconte l’octogénaire.
Régine Merheb Noujaim se souvient d’un Beyrouth qui n’existe plus. « Nous vivions tous ensemble à Beyrouth dans la tolérance et le respect. Notre maison donnait sur le quartier juif. Ma mère me disait que leur samedi, c’est comme notre dimanche. C’est leur jour du Seigneur. Leurs femmes étaient très élégantes et très belles. Je me souviens, jusqu’à présent, de leurs manteaux et de leurs sacs. Je me souviens aussi de leur shabbat, ils allumaient la lumière dès vendredi, ils avaient toute leur nourriture préparée un jour à l’avance. Mon oncle maternel et mon père travaillaient pour le compte de commerçants juifs qui entretenaient des liens très étroits avec des juifs de Damas », raconte-t-elle. « Le premier grand magasin de Beyrouth, c’était Orosdi Back. Il appartenait à des juifs. Son directeur était un certain M. Lévy ; mon père travaillait pour lui. Orosdi Back était un bâtiment sur trois niveaux et c’était le premier magasin qui avait un ascenseur à Beyrouth », poursuit-elle. « Je me souviens aussi de mes camarades juives à l’école des sœurs de la Charité : Stella Barrak et Leila Pitto, je ne sais pas ce qu’elles sont devenues, toutes les deux ont quitté le Liban quand elles étaient jeunes. Stella est revenue, je ne me souviens plus quand ; elle était restée quelques jours à l’hôtel Alexandre à Achrafieh et on m’a raconté que Leila a épousé un chrétien. »
(Pour mémoire : De São Paolo à Beyrouth : des juifs d'origine libanaise à la découverte du pays de leurs ancêtres)
« Tout va bien dans le meilleur des mondes »
Rosette Chams Tahan, la fille du Dr Nessim Chams, vit aujourd’hui avec sa famille, à Brooklyn, New York, aux États-Unis. Elle est mariée à un juif du Liban. Cette femme née à Beyrouth, jointe au téléphone par L’Orient-Le Jour, tient à parler en arabe et en français. « Mon père est originaire de Deir el-Qamar mais il est né à Wadi Abou Jmil. C’est là où nous avons vécu et c’est là aussi qu’il avait sa clinique. Il était connu par le surnom “Abou el-fakir”, le père des pauvres, car il auscultait gratuitement toute personne dans le besoin. Je me souviens que nous vivions dans un immeuble de trois étages, la clinique était au premier. Mes parents avaient une Peugeot et c’est ma mère qui conduisait souvent mon père pour qu’il aille rendre des visites à domicile à ses patients. Nous recevions aussi beaucoup de visites à la maison. Il a toujours eu d’excellentes relations avec tout le monde, juifs, chrétiens et musulmans », dit-elle.
Le Dr Chams et son épouse, malgré le départ en masse des juifs du Liban vers Israël, les États-Unis, l’Amérique latine et l’Europe, notamment de 1967 à 1973, ont décidé de rester au Liban. « Jusqu’à son dernier souffle, malgré la situation dans la région et au Liban, il n’a pas arrêté de répéter “el-deniyé be alef kheir” (une expression qu’on pourrait traduire par “tout va bien dans le meilleur des mondes”), raconte Rosette Chams Tahan qui est peintre et qui a une sœur et deux frères tous établis aux États-Unis, entre New York, Chicago et Boston. "Comme mon père, l’un de mes frères est médecin », note-t-elle, un brin de fierté dans la voix.
Cela fait de très longues années que Rosette Chams Tahan n’est pas venue au Liban. « Je vis à Brooklyn et tous mes amis sont libanais. Nous confectionnons des spécialités libanaises et nous parlons encore arabe et français. Je regarde les chaînes libanaises sur satellite avec une prédilection pour les programmes satiriques, surtout “Ma fi metlo” », poursuit-elle. Qu’est-ce qui lui manque le plus ? « Le quotidien à Beyrouth et l’air frais de Bhamdoun. »
Pour mémoire
Le cimetière juif de Saïda impunément dégradé par un chantier routier
commentaires (6)
Je sais que dans l'antiquité ( grecque ) il y avait des juifs mais je ne sais pas d'où ils venaient , histoire dit que des juifs se convertirent aux dieux d'Olympe et vice versa . D'ailleurs les premiers chrétiens étaient des juifs grecs convertis
Eleni Caridopoulou
18 h 36, le 06 mai 2020