Sabah avait toujours rêvé de l’Égypte. Passionnée de cinéma, la Chahroura, qui a vite fait ses valises pour Le Caire, n’a pas tardé à se faire aimer du public égyptien qui l’a rapidement adoptée. Au point même d’oublier que la diva de la chanson était libanaise. Soucieuse de leur rendre cet amour, Sabah avait tenu à accompagner ses fans égyptiens dans leur vie quotidienne, à travers des chansons célébrant la naissance d’un enfant, la mort, le mariage, mais aussi le jeûne du mois de ramadan.
C’est en 1961, lors d’une visite qu’elle effectue au chanteur Farid el-Atrache, que Sabah rencontre le poète Hussein el-Sayyed. Ce dernier en profite pour lui proposer un titre lié à ramadan et qu’il a tout juste écrit sous le titre Ramadan Ehmedou. Les paroles sont ludiques et comiques, mais plaisent à la diva. Encouragée par le fameux chanteur, par ailleurs lui-même compositeur, à collaborer avec Mohammad el-Mouji pour la mettre en musique, Sabah envoie les paroles à ce dernier. Malgré les réserves de nombreux de ses amis qui trouvent le thème de la chanson ridicule, elle insiste à l’interpréter et propose au comédien égyptien Fouad el-Mohandes de faire un duo, lui fredonnant la chanson au téléphone. Tout aussi enthousiasmé par l’idée, el-Mohandes décide même de tourner un clip, réalisé par Mohammad Salem, qui sortira en 1962.
« Cet homme va me rendre folle ! »
Cinq décennies plus tard, ce sketch, qui a connu un grand succès à sa sortie, reste ancré dans la mémoire collective. Dans la vidéo en noir et blanc, aujourd’hui disponible sur le web, Sabah s’affaire derrière les fourneaux, épluchant une pomme de terre et plaçant un poulet à rôtir au four. Exaspérée, la diva s’écrie : « Cet homme va me rendre folle, si folle ! Quand vient ramadan, il devient insupportable et a besoin d’une cuisinière. Trois plats de viande, et des volailles chères, du riz, des pâtes et un dessert. Knéfé et thon en conserve, légumes farcis, salades et viandes grillées. » Apparaît alors Fouad el-Mohandes, dans le rôle du mari qui rouspète : « Je jeûne depuis des heures et suis fatigué. Et ma femme me fait mourir de faim en plein ramadan ! » Sabah essaie alors de lui faire la leçon, et lui explique que ce mois sacré ne consiste pas à se goinfrer de la sorte, avant qu’il ne se plaigne de plus belle, énumérant toute sorte de plats qu’il désire manger.
Ce sketch, qui illustre un aspect assez courant de la vie d’un couple durant cette période de l’année, s’inscrit dans la tradition du parolier Hussein el-Sayed qui tentait souvent de faire passer des messages moralisants d’une manière subtile dans ses chansons. Ramadan Ehmedou, aujourd’hui connu sous le titre el-Ragel Dah Ha Ygannenni (« Cet homme va me rendre folle ! »), sera repris en 1966 par Sabah, lors d’un iftar qu’elle organisera dans sa résidence pour célébrer la victoire de l’équipe de football égyptienne al-Ahli, en présence de joueurs de l’équipe et d’amis. Parmi eux, Abdel Halim Hafez, dont la présence sera immortalisée sur un cliché en noir et blanc, où on peut voir Sabah, heureuse, le servir et lui remplir son assiette.
Un duo qui a fait des jaloux
Si le tube de Sabah avec Fouad el-Mohandes a connu un énorme succès, il avait pourtant suscité la jalousie de la femme de Mohandes, la chanteuse Chouikar. Désireux de ne pas la contrarier, son mari avait alors décidé de réitérer l’expérience en chantant un nouveau duo avec elle sur le même thème et écrit par le même parolier, sous le titre : L’heure de manger. Le compositeur de la chanson, Rami Baker, se souvient avoir craint que le titre ne soit un échec. « C’est l’une des meilleures musiques que j’ai écrites durant ma carrière, raconte-t-il. Je craignais toutefois que les gens ne comparent la chanson à celle de Sabah, que tout le monde connaissait. Mais la nouvelle version a également plu, et a pu bénéficier d’un clip en couleur. »
Celle de Sabah a résisté au temps. Chaque ramadan, depuis 1962, elle passe sur les ondes des radios en Égypte, de même que Hallo Ya Hallo, autre succès relatif au mois de jeûne. Sortie lors du premier ramadan après le départ du roi Farouk et l’instauration de la République, c’est la première chanson à souligner ce fait historique : « Ramadan, tes belles nuits viennent de tomber sur la république… » avait ainsi fredonné Sabah.
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commentaires (6)
Veuillez lire Abdel Halim....Hafez
Evariste
17 h 46, le 07 juin 2018