L'immeuble Dergham.
En juillet dernier, devant le Premier ministre Saad Hariri et une pléthore de responsables, dont des députés, des ambassadeurs, des directeurs généraux et des responsables d’associations, le ministre de la Culture Ghattas Khoury a tenu une conférence de presse au Grand Sérail, au cours de laquelle il a annoncé un plan quinquennal pour la culture dans toutes ses composantes. Ce jour-là, il avait réclamé au gouvernement une enveloppe de 180 millions de dollars pour financer une politique de préservation et de mise en valeur de l’héritage historique.
Quelques mois plus tard, un projet de loi relatif à la sauvegarde des biens-fonds immobiliers à caractère patrimonial est adopté en Conseil des ministres. Le texte donne la prérogative au ministère de la Culture de décider, au cas par cas, quels sont les édifices qui revêtent une importance architecturale, et sont par conséquent interdits de démolition.
Depuis, le ministre Khoury s’est particulièrement battu pour la réhabilitation du théâtre Piccadilly, « symbole de l’âge d’or culturel de Beyrouth ». C’est bien.
(Lire aussi : Beyrouth, au fil des destructions et relookings)
Cependant, le triomphe du patrimoine ne semble pas aller plus loin… Puisque M. Khoury ignore ou feint d’ignorer que les rues Monnot et Abdel Wahab el-Inglizi, à Achrafieh, sont parmi les plus représentatives de la catégorie des tissus urbains continus, dont l’intégrité urbaine est à protéger. Et qu’à l’angle de ces deux rues, face au restaurant l’Entrecôte, le lot 1231 a été placé sur la liste des bâtiments à préserver par l’ancien ministre de la Culture Rony Araïji (décret n°116/2016). M. Khoury a émis un nouveau décret abolissant le premier, accordant ainsi au propriétaire foncier, un homme d’affaires irakien, le permis de démolir un complexe de trois immeubles. Connus sous le nom de bloc Dergham, deux datent du mandat français et le troisième remonte à plus loin dans le temps. Selon certaines sources, les architectes commissionnés par le ministre Khoury considèrent que ces constructions ne présentent aucun intérêt architectural et leurs fondations branlantes constituent un danger public.
« L’ayant vu récemment, il me semble que ce bâtiment est en parfaite santé », ironise le vice-président de Save Beirut Heritage, Antoine Atallah, ajoutant que le décret Araïji s’est appuyé sur des critères sérieux pour inscrire le lot sur la liste du patrimoine. « Allez voir qui a fait la contre-expertise. »
En attendant, on a vu hier les ouvriers s’atteler au « curage » de l’intérieur d’un des édifices. Quelle serait la prochaine étape ? Balafrer encore ce secteur pour faire place à une architecture en majorité ennuyeuse et au délire peu créatif, avec comme point d’orgue « Sama Beyrouth », qui témoigne de ce gigantisme cher à certains promoteurs ?
Pour mémoire
Non, le patrimoine historique n'est pas à vendre !
Le World Monument Watch à la rescousse de Dalieh et du palais Hneiné, à Beyrouth
commentaires (11)
Quand les plus hauts responsables de notre pays n'hésitent pas à vendre la nationalité libanaise au plus offrant...comment s'étonner que quelques "vieilles pierres historiques" ne présentent aucune valeur à leurs yeux aveuglés par les lumières du "dieu dollar" ? Irène Saïd
Irene Said
17 h 04, le 02 juin 2018