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Culture - Rencontre

Joumana de Aristegui : Mon pays, c’est la vie

Face au malheur, elle a continué à vivre, à aimer et à créer. Cette combattante pratique, depuis 29 ans, cette merveilleuse énigme qu’on surnomme la résilience. Aujourd’hui à la galerie Tinta Negra*, elle honore la vie et aime ce temps qui lui a été donné, comme un cadeau.

Les toiles de Joumana Aouad de Aristegui exposées à la galerie Tinta Negra.

Elle a 38 ans quand le drame se produit. Nous sommes le 16 avril 1989, un obus syrien s’abat sur l’ambassade d’Espagne à Hadeth et emporte l’ambassadeur Pedro Manuel de Aristegui, l’écrivain Toufic Aouad et la galeriste Samia Aouad Toutounji. Joumana de Aristegui, qui perd son mari, son père et sa sœur, n’est pas épargnée. Mutilée dans sa chair, elle plonge dans le silence d’un long coma qui la condamne à son réveil à tout réapprendre, même à aimer : « Pour moi, dit-elle, 1 + 1 ne faisait plus 2, la parole avait déserté mes cordes vocales et mon cœur s’était éteint dans la noirceur du chagrin. » C’est d’abord sa force mentale et sa détermination qui lui permettront de surmonter la mort, mais surtout ses enfants, Diego et Alexandra, âgés respectivement de cinq et un an. Et lorsqu’un jour de convalescence, son fils viendra se glisser sous ses draps en manque de câlins, il lui chuchotera : « C’est toi ma maman. » Joumana de Aristegui aura eu raison de la grande faucheuse, il lui restait à combattre la douleur et la souffrance qui se mêleront à un vorace et formidable appétit de vivre sous le regard fier de ses enfants. Son credo ? « Vive la vie. »



Mon père, ce héros
Nietzschéenne jusqu’au bout, elle incarne ce que le philosophe allemand de la fin du XIXe siècle appelait « la volonté de puissance ». Cette volonté qui se veut elle-même, qui ne désire que sa propre intensité, est l’essence la plus intime de l’être, elle est la volonté de vie, et Joumana de Aristegui, dont la vie venait de s’ouvrir à elle, devra lutter jusqu’au bout, et contre tout. « Cette force, dit-elle, c’est à mon père que je la dois. C’était un homme fort, généreux et clairvoyant. À l’aube de ma vie, je l’écoutais réciter ses textes et imprimer dans nos esprits la puissance des mots, ceux qui ne comprenaient pas la résignation et la démission mais prônaient le combat, toujours plus loin, toujours plus haut. » Plus tard, son amour pour ses enfants, le souvenir de ce père glorieux et la mémoire d’une vie entourée d’amour seront pour elle le moyen essentiel de lutter contre la vie et pour la vie et de parvenir à la glorifier malgré tout.

Toute petite déjà elle baigne dans l’art. Au gré des pérégrinations de son père, grand écrivain et ambassadeur, elle est confrontée au beau, visite tous les musées du monde, s’imprègne de Gauguin, de Rubens et de Picasso, se construit une bibliothèque picturale et s’endort au son des belles phrases qui naissent sous la plume de Toufic Aouad. « C’était un grand orateur qui maniait l’éloquence et la rhétorique avec brio. » Elle se dirige naturellement vers l’art, fait des études à Paris et en Italie pour enfin rencontrer son mari, comme dans un merveilleux conte de fées. Mais les contes de fées ont une fin. Sauf que Joumana de Aristegui ne gardera envers son destin tragique aucune rancœur ou amertume. « À quoi la tristesse et le désespoir m’auraient-ils servi... Je suis croyante, de ceux qui croient en la vie. Alors je me suis agrippée au petites menottes de mes enfants et j’ai continué. » Et l’on ne peut que s’incliner face à cette force qui lui fait déclarer : « Dans mon malheur, j’ai eu de la chance. C’est moi qui ai été la fille de Toufic Aouad, c’est moi qui ai été l’épouse et la compagne de Pedro de Aristegui, et cette chance, personne ne l’aura jamais. »

Un merveilleux malheur
Physiquement, rien ne les rapproche et pourtant, à regarder cette femme, on ne peut s’empêcher de penser à Frida Kahlo, cette artiste qui a livré un combat singulier contre la mort et que l’art a soulevée des méandres du désespoir. Aujourd’hui, des années plus tard, Joumana de Aristegui, poussée par son fils Diego, sort de l’ombre et met à la disposition du public les œuvres qui l’ont accompagnée toute sa vie.

 « Je suis une artiste du soir. J’aime la solitude, je confronte ma toile la nuit venue et ne m’arrête qu’au petit matin. » Et si la nuit n’était que la métaphore de l’obscurité que Joumana de Aristegui a si bien vaincue ? Aucune trace de tristesse ou de douleur ne se dessine dans ses toiles, les couleurs sont chatoyantes, et les femmes qui glorifient la beauté s’offrent à voir comme des compositions au tracé de lignes pures qui les composent, cette même beauté qui rejaillit quand on pose un regard sur l’artiste. Travaillées au pastel ou à l’acrylique, elles sont plusieurs et une seule à la fois. Elles sont l’artiste qui, le regard de face, fait un pied de nez au destin. Ou celui, fuyant, qui renvoie à celle qui se plaît à revendiquer son penchant pour la solitude. Et quand les yeux tracent une diagonale, c’est vers ce passé qu’ils se tournent, celui ancré dans sa mémoire mais qui fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui, une lauréate de la vie...

*À la galerie Tinta Negra
Mar Mikhaël
Jusqu’au 9 juin 2018.

Elle a 38 ans quand le drame se produit. Nous sommes le 16 avril 1989, un obus syrien s’abat sur l’ambassade d’Espagne à Hadeth et emporte l’ambassadeur Pedro Manuel de Aristegui, l’écrivain Toufic Aouad et la galeriste Samia Aouad Toutounji. Joumana de Aristegui, qui perd son mari, son père et sa sœur, n’est pas épargnée. Mutilée dans sa chair, elle plonge dans le silence...

commentaires (2)

CES CHIFFONS... SONT-CE DE L,ART ?

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 01, le 21 mai 2018

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • CES CHIFFONS... SONT-CE DE L,ART ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 01, le 21 mai 2018

  • Un article sur mesure qui a su saisir dans les grandes lignes les particularites de la personnalite exceptionnelle de la femme, de la mere et de l’artiste. Un Hommage surtout a la vie qui se reflete dans les oeuvres de l’artiste.

    Cadige William

    09 h 27, le 21 mai 2018

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