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Culture - Édition

Avec David Malouf, les oiseaux se cachent pour vivre

Certains livres mettent du temps à atteindre leurs lecteurs : 35 ans après son édition en Australie, « Fly Away Peter » est enfin disponible en version française sous le titre « L’infinie patience des oiseaux ».

Né à Brisbane en 1935 d’un père libanais et d’une mère anglo-portugaise, David Malouf est considéré comme l’un des grands écrivains du monde anglophone. Couronné de multiples récompenses – IMPAC Dublin, Booker Prize, Los Angeles Times Book Award, Femina –, dont le prestigieux prix Neustadt de littérature en 2000, son œuvre romanesque lui a valu une reconnaissance internationale et il a a figuré de nombreuses fois sur les listes des auteurs pressentis au Nobel de littérature. Depuis 2008, il est membre de la Royal Society of Literature à Sydney.

L’infinie patience des oiseaux, comme de nombreux récits de l’auteur, narre l’histoire et les paysages australiens. Le lecteur est plongé dans une région marécageuse du Queensland, peuplée d’oiseaux. Le propriétaire des terres, Ashley Crowther, tout juste rentré d’Angleterre, décide de créer un sanctuaire naturel d’ornithologie, et fait appel à Jim Saddler, un jeune paysan, spécialiste autodidacte du monde aviaire. Malgré leurs différences sociales, une fraternité pudique et complice s’installe autour de leur projet commun, auquel se greffe Imogen Harcourt, photographe anglaise atypique et attachante. Entre l’observation de la faune ailée et les balades en barque paresseuses, le temps s’écoule sans heurt pour nos héros, dont le romancier évoque l’harmonie avec la nature, avec lyrisme et poésie : « Le grand son englobant montait de la terre éblouissante, une musique en couches superposées, dense mais profondément fluide, composée d’insectes frottant leurs élytres, de notes d’oiseaux, de brins d’herbe bruissant et frémissant dans la bise. »
En 1914, Jim et Ashley sont rattrapés par l’histoire et par le continent des origines, où on a besoin d’eux pour renforcer les troupes britanniques, « comme si, enfin, ils avaient fini par entrer dans le monde réel ou, après tant de temps, à rattraper leur siècle ». Le roman est construit sur une dichotomie qui oppose « un temps reculé, un monde primordial et hanté, préhistorique, préclassique » à un univers sordide marqué par la boue, le froid, la putréfaction, la vermine et la peur. Universitaire spécialisé dans la littérature grecque et latine, l’écrivain réactive deux composantes fondatrices de la mythologie antique : le cosmos et le chaos.

Approche poétique
La descente aux enfers que vont vivre les deux protagonistes par leur expérience de la guerre rappelle aussi la faute originelle de la Genèse. Selon Francis Geffard, éditeur du roman chez Albin Michel, il s’agit d’une approche philosophique de l’être humain : « Malouf considère que les hommes se sont séparés de la nature. Son intuition profonde est que nous aurions dû rester partie intégrante de notre nature, or on a rompu le lien avec la vie, d’où un goût pour la mort et la destruction. »

Nombreux sont les romans qui évoquent la grande guerre, surtout cette année, qui célébrera le centenaire de l’armistice, mais L’infinie patience des oiseaux propose une approche inédite : « C’est la première fois que les Australiens originaires d’Europe rentrent sur leurs terres d’origine, d’où une perspective nouvelle. Mais ce qui fonde l’originalité du texte, c’est l’approche visuelle, sensorielle et poétique du monde. La beauté de la nature ou les tranchées sont appréhendées avec le même lyrisme », commente Francis Geffard. Les aspects les plus sordides sont transcendés par l’écriture : « Les rats étaient gras parce qu’ils s’emparaient de cadavres, s’enfouissant dans les entrailles d’un homme, ou culbutant par dizaines dans le ventre des chevaux. »
 Oiseau-dollar, échassier, chevalier, martin-chasseur sacré, ibis, bergeronnette, les oiseaux sont le fil conducteur du texte ; sur son petit carnet, Jim les guette et relève tous leurs déplacements : « Par le biais de leur nom, et aussi de sa main tandis qu’il en traçait soigneusement les lettres, ils sortaient de l’air et de l’eau pour entrer dans le livre. Leur faire une place là, c’était leur offrir un sanctuaire. » L’objet-livre revêt une dimension symbolique qui transcende sa fonction de simple support fictionnel.

Pour Geffard, « l’oiseau fait écho à l’approche de l’écrivain, qui regarde de haut la beauté de la vie et la destruction du chaos ». L’auteur semble fasciné par ces êtres ailés qui se déplacent d’un hémisphère à l’autre avec fluidité et légèreté, au rythme pendulaire d’une nature bienfaitrice. À travers cette idéalisation de la migration, facteur de découverte, de rêve et de progrès, l’écrivain semble interroger ses propres racines d’enfant d’émigrés, mais aussi les thématiques actuelles de flux de populations déshumanisées, qui ont perdu leur dignité.

Par ses talents de conteur et de poète, David Malouf propose un plaidoyer pacifiste qui illustre le prix à payer de la défense d’une grande nation, ce qui résiste et ce qui périt. Il invite son lecteur à choisir son camp entre le bruit de la lutte collective et la quiétude des grands espaces, avec humilité : « Voilà ce que signifiait la vie, une présence unique, et elle était essentielle en toute créature. Placer quoi que ce soit au-dessus, naissance, condition ou même talent, revenait à dénier à tous (...) ce qui était commun et réel, et ce qui était aussi, en fin de compte, le plus émouvant. Une vie n’était pas faite pour quelque chose. Elle était, simplement. »

Né à Brisbane en 1935 d’un père libanais et d’une mère anglo-portugaise, David Malouf est considéré comme l’un des grands écrivains du monde anglophone. Couronné de multiples récompenses – IMPAC Dublin, Booker Prize, Los Angeles Times Book Award, Femina –, dont le prestigieux prix Neustadt de littérature en 2000, son œuvre romanesque lui a valu une reconnaissance...

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« Le grand son englobant montait de la terre éblouissante, une musique en couches superposées, dense mais profondément fluide, composée d’insectes frottant leurs élytres, de notes d’oiseaux, de brins d’herbe bruissant et frémissant dans la bise. » Grand BRAVO au traducteur/traductrice.

Shou fi

18 h 47, le 11 mai 2018

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  • « Le grand son englobant montait de la terre éblouissante, une musique en couches superposées, dense mais profondément fluide, composée d’insectes frottant leurs élytres, de notes d’oiseaux, de brins d’herbe bruissant et frémissant dans la bise. » Grand BRAVO au traducteur/traductrice.

    Shou fi

    18 h 47, le 11 mai 2018

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