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Liban - Justice

Sakker el-Dekkéné autorisé à publier un rapport dénonçant des malversations

Par son arrêt, une juge des référés consacre le principe de la protection des lanceurs d’alerte.

Sakker el-Dekkéné a remporté en justice une victoire importante en matière de lutte contre la corruption. Illustration tirée de la page Facebook de l’ONG

Au moment où la ministre d’État pour le développement administratif, Inaya Ezzedine, annonçait à partir du Sérail le lancement de la stratégie nationale pour la lutte contre la corruption, le collectif Sakker el-Dekkéné (« Fermez la boutique »), en collaboration avec l’Agenda légal, rendait publique une décision de justice majeure qui vient consacrer deux points essentiels en matière de corruption : le droit à l’accès à l’information et le droit de diffuser toute information révélant des malversations et détournements de fonds publics. 
L’arrêt, rendu le 18 avril par la juge des référés de Beyrouth, Hala Naja, a donné raison à Sakker el-Dekkéné dans une affaire qui l’opposait au Conseil du Sud, un organisme d’État.
« L’affaire remonte à environ six mois. À l’époque, l’association de lutte contre la corruption avait réussi à mettre la main sur un rapport de l’Inspection centrale, rédigé neuf ans auparavant. Ce rapport dénonce une série de dysfonctionnements graves et de malversations dans l’attribution d’un marché public dans la Békaa-Ouest », rappelait hier Le Commerce du Levant. Le rapport se concentre sur la construction entre 2003 et 2009 d’une station de pompage à Aïn el-Zarqa par la société WARD (Water Resources & Development Co.), un projet parrainé par le Conseil du Sud et dont le montant des contrats s’élève à 52 millions de dollars, ajoute la revue. Sakker el-Dekkéné, qui a publié ce rapport sur son site, estime que, sur cette opération, le coût de la corruption a dépassé plusieurs millions de dollars. 


Dès sa publication, le Conseil du Sud a demandé l’interdiction de la publication, arguant que sa divulgation publique est « diffamatoire » et renforce la discorde confessionnelle.
Saisie en référé, la justice a suspendu la mise en ligne du texte, une décision à laquelle s’est opposée Sakker el-Dekkéné. « Ce rapport détaille les mécanismes de corruption mis en œuvre sur ce chantier, allant de procédures de surfacturation “banales” à l’appropriation des sommes dues pour l’expropriation des terrains concernés… » assure Carole Charabati, membre fondateur de l’association Sakker el-Dekkéné, dans un commentaire livré au Commerce du Levant. « C’est une photographie d’une précision inouïe de l’ensemble des malversations qui gangrènent les marchés publics. Nous attendons maintenant que la Cour des comptes, qui avait été saisie du dossier, mais n’avait jamais donné suite, fasse son travail », ajoute Mme Charabati.


Dans sa décision n° 265 du 18 avril, la juge Naja estime que la diffamation et l’atteinte à la dignité n’étaient pas prouvées, autorisant l’association à poster de nouveau le rapport sur son site de manière à le rendre accessible au public, « un droit reconnu par la juge aux lanceurs d’alerte de dénoncer toute affaire ayant trait à la corruption », précise Mme Charabati. 
Pour l’Agenda légal, qui a accompagné Sakker el-Dekkéné tout au long de la procédure, cette décision de justice vient « consacrer la liberté d’expression et surtout la liberté de révéler des faits présumés être liés à des affaires de corruption ». Le directeur de l’Agenda légal, Me Nizar Saghiyeh, dénonce le paradoxe selon lequel les avocats généraux, censés défendre les intérêts de l’État dans cette affaire, se sont convertis en défenseurs des « intérêts privés et de la réputation des responsables politiques qui les incarnaient ». « Cet arrêt est un rappel aux représentants de l’État, leur signifiant que leur défense ne correspond pas à l’intérêt de l’État encore moins à ses engagements internationaux », dit-il, en allusion à la convention de la lutte contre la corruption dont le Liban est signataire. 
Pour ce juriste, il est clair que la lutte contre la corruption ne saurait être effective si elle n’est pas accompagnée d’une dynamique sociale permettant aux lanceurs d’alerte de dénoncer et à la justice d’enquêter et de sanctionner. 
Un haut fonctionnaire qui a requis l’anonymat a applaudi pour sa part cette décision « courageuse », estimant qu’il s’agit d’une « véritable victoire ». « Le citoyen a le droit de savoir comment sont dépensés les deniers publics et si les dépenses sont justifiées », dit-il, avant de s’interroger sur le « mutisme » observé par les organismes de contrôle qui avaient entre les mains le rapport depuis 2009, un silence également dénoncé par Sakker el-Dekkéné. « C’est un signe patent de l’absence d’indépendance dont jouissent les organes de contrôle qui restent assujettis au pouvoir politique », relève ce responsable.


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commentaires (5)

Y aurait-il assez de place à Roumieh pour tous les corrompus confirmés ?

Remy Martin

21 h 15, le 25 avril 2018

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Commentaires (5)

  • Y aurait-il assez de place à Roumieh pour tous les corrompus confirmés ?

    Remy Martin

    21 h 15, le 25 avril 2018

  • Une bonne petite victoire pour la liberté d’expression... Maintenant que les portes de la caverne d’Ali Baba s’entrouvrent, imaginez le nombre de scandales potentiels qui pourraient être dénoncés au grand jour! Le hic, c’est que la mafia en haut lieu est tellement bien organisée dans le partage du gâteau plus ou moins équitable entre ses membres que la loi du silence est de mise car ils auraient peur que si une magouille est dénoncée, et pire, punie, ça fera boule de neige de poursuites, etc... Donc, tant qu’il n’y aura pas une commission totalement indépendante, avec pleins pouvoirs, avec des membres courageux, n’ayant pas peur des représailles, et un système judiciaire au-dessus de tout soupçon, on pourrait encore attendre longtemps avant que la corruption en haut lieu prenne fin!

    Saliba Nouhad

    14 h 52, le 25 avril 2018

  • IL Y A QUAND MEME UN PEU DE PROGRES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 51, le 25 avril 2018

  • En France, il y a 690 ans, le 25 avril 1328, Pierre de Rémy le trésorier de Charles IV le Bel, est pendu pour avoir trop pioché dans le Trésor royal. Au Liban, aujourd'hui le 25 avril 2018, je ne demande pas de pendre ceux qui ont puisé dans le Trésor public, mais de ne pas voter pour eux le 6 mai prochain.

    Un Libanais

    11 h 12, le 25 avril 2018

  • Je félicite la juge qui a rendu cette décision pour son intégrité et son courage. Mille bravos aux associations et organisations qui dénoncent la corruption et la gabegie. Un grand coup de balai est nécessaire pour nettoyer les écuries d'Augias qui pourrissent l'Administration et la Politique. Un sang nouveau, pur et propre, est nécessaire à la faveur des prochaines élections législatives, si on ne veut pas désespérer la jeunesse et la pousser encore plus fort à émigrer.

    Georges Airut

    03 h 34, le 25 avril 2018

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