Pour Samir Geagea, le principe de la distanciation est indiscutable. Photo ANI
Après les déclarations tonitruantes du président des États-Unis, Donald Trump, contre la Syrie qu’il a menacée d’une frappe, le Liban se trouve une fois de plus pris en tenailles et confronté au dilemme de l’interprétation du principe de la distanciation à l’égard des conflits régionaux.
Depuis quelques jours, la guerre verbale autour de la position que doit ou ne doit pas prendre le Liban dans le cas de figure d’une frappe ciblée contre la Syrie est repartie de plus belle et la classe politique se trouve une fois de plus divisée autour de l’interprétation de la distanciation avant même que la frappe ne soit concrétisée.
Même si la tension semble avoir baissé d’un cran hier après que M. Trump a considéré que l’attaque aura lieu « très bientôt ou pas si tôt que cela » et que son homologue et allié français Emmanuel Macron a indiqué qu’il en décidera, pour sa part, « en temps voulu », le Liban officiel a poursuivi sur sa lancée, s’enlisant une fois de plus dans les méandres de la sémantique.
Après les propos du Premier ministre, Saad Hariri, mercredi dernier qui a affirmé que le Liban est attaché au principe de la distanciation tout en condamnant le recours du régime syrien aux armes chimiques, c’était hier au tour du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, d’avaliser le principe de la tenue à l’écart du Liban de la crise syrienne. La riposte était venue du chef du Parlement, Nabih Berry, qui avait laissé entendre que la distanciation ne s’appliquerait pas en cas de frappe contre la Syrie. Ce à quoi M. Geagea a répliqué en déclarant, dans un tweet : « La distanciation veut dire la distanciation. Point à la ligne. »
Saisissant l’opportunité de la tenue du Conseil des ministres, un ministre du Hezbollah, Hussein Hajj Hassan, a réagi à son tour en affirmant que le « gouvernement ne peut se distancier si Israël (qui avait attaqué la base militaire du régime syrien T-4 entre Homs et Palmyre lundi à l’aube) viole notre espace aérien et agresse un pays frère ». Pour le parti chiite, c’est la même logique qui s’applique si l’agresseur devait être les États-Unis, le Liban ne devant pas autoriser des violations de son espace aérien par quelque État que ce soit. Il doit de surcroît s’opposer à toute attaque « contre un pays frère, tel que la Syrie ».
Les milieux proches du parti chiite tiennent d’ailleurs à rappeler les dispositions de l’accord de Taëf qui prévoient que le Liban « ne saurait constituer une source de menace à la sécurité de la Syrie et vice versa ». « En vertu de quoi le Liban ne permettra pas qu’il soit un passage ou un foyer pour toute formation, État ou organisation qui aurait pour but de remettre en question sa sécurité ou celle de la Syrie », stipule encore le texte.
(Lire aussi : Hariri brandit la distanciation comme un talisman)
Commentant la position du Premier ministre Saad Hariri à ce sujet, et indirectement, celle de M. Geagea, une source du Hezbollah a estimé que le principe de distanciation « ne s’applique pas dans le cas de figure où un État ami est attaqué par une force tierce, mais seulement en cas de conflit entre deux pays arabes ». Dans une critique à peine voilée des propos de Samir Geagea et de Saad Hariri, la source a indiqué que si certaines parties « sont incapables de prendre position à l’égard des menaces proférées contre la Syrie, le silence est préférable ».
À cette logique, les FL rétorquent que la distanciation est d’autant plus incontournable qu’il y va de l’intérêt suprême du Liban et de la protection de la population libanaise. « Il faut insister aujourd’hui plus que jamais sur notre attachement à éloigner le spectre de la guerre du Liban. Le Hezbollah n’a pas le droit de faire cavalier seul et de s’engager dans une voie qui n’aurait pas été décidée par le gouvernement », tranche un responsable au sein des FL. Celui-ci considère comme « caducs » les propos selon lesquels le Liban devrait être solidaire du régime syrien en cas d’attaque, « tout simplement parce que la Syrie, dans son état actuel, n’existe plus en tant qu’État ». Et de rappeler que ce pays est désormais « divisé en une multitude de zones d’influence et qu’il est devenu le théâtre d’opérations où s’affrontent les puissances internationales ». « Si certains considèrent que la Syrie est un pays frère, le Liban peut se prévaloir aussi de ses relation privilégiées avec l’Occident », dit-il.
Une éventuelle frappe de la part des Américains et de leurs alliés contre la Syrie a en même temps soulevé la question de savoir si les missiles qui viseraient le pays voisin survoleraient l’espace aérien libanais, une violation claire du droit international, à moins que le Liban ne soit consentant.
Cette hypothèse ne manquera pas d’ailleurs de susciter une véritable polémique qui risque d’enliser le pays dans une situation de schizophrénie politique insoluble. D’une part, le Liban se considère comme un allié des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni. D’autre part, certaines de ses composantes, le Hezbollah en tête, se prévalent de leur « amitié » avec le régime syrien.
Selon des experts militaires cités par la LBCI, la coalition occidentale sera très probablement amenée à utiliser l’espace aérien libanais pour le passage de ses missiles contre des positions en Syrie, notamment à partir de la Méditerranée, « pour échapper d’une part aux radars syriens, mais aussi pour éviter une confrontation avec l’armée de l’air russe ». Devant un tel scénario, il reste à voir quelle sera la position du Liban, poussé à faire le grand écart dans une guerre des axes dont il risque de payer le prix fort, une fois de plus.
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De toute façon il peut dire ce qu'il veut le geagix, il compte très peu pour le destin du pays. Encore heureux qu'il est parmi la classe politique.
00 h 13, le 14 avril 2018