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Moyen Orient et Monde - Libye

Les rocambolesques épopées des enfants Kadhafi

La progéniture du « guide » est éparpillée à travers les continents depuis l’effondrement de la dictature libyenne en 2011, alimentant rumeurs et fantasmes.

Saïf al-Islam Kadhafi lors d’une audience en mai 2014. Photo Reuters

Sept ans après la chute du régime en Libye, des zones d’ombre continuent d’entourer le sort du clan Kadhafi. L’affaire mêlant l’ex-président français Nicolas Sarkozy à l’ancien maître de Tripoli, dans laquelle le premier est suspecté d’avoir reçu de l’argent du second afin de financer sa campagne, a remis la célèbre famille sur le devant de la scène, notamment à travers le personnage du fils prodigue Saïf al-Islam.

Si les théories complotistes ont toujours suivi le « guide » Mouammar Kadhafi, elles se sont multipliées après sa mort pour alimenter le mythe autour de sa progéniture. Tripoli, Mascate, Beyrouth ou encore Alger, les lieux de résidence des enfants Kadhafi sont nombreux, se contredisent parfois et contribuent, au final, à brouiller les pistes.

Qu’est-il advenu des enfants Kadhafi ? Sur les dix enfants du patriarche, trois sont décédés en 2011 : Moatassem, Saïf al-Arab et Khamis. Cette année-là, le conflit bat son plein sur fond de combats acharnés entre les forces kadhafistes et les rebelles, appuyés par les bombardements de l’OTAN. Conscients du danger qu’engendre le fait de rester dans le pays à feu et à sang, les rejetons du dictateur et sa seconde épouse, Safia Farkash, tentent de fuir la Libye par tous les moyens. C’est alors que leurs chemins divergent.

Pour Mohammad, issu du premier mariage de Mouammar avec Fatiha al-Nuri, Hannibal, Aïcha et leur mère Safia, l’Algérie constitue la première étape de leur périple d’exilés. L’évasion est précipitée fin août 2011 après le refus du gouvernement maltais de les accueillir. Elle est marquée en outre par un heureux évènement pour Aïcha. Celle que les médias italiens ont surnommée la « Claudia Schiffer du désert » en référence à sa crinière blonde peroxydée et qui était dans l’équipe des avocats ayant défendu Saddam Hussein, donne naissance à une petite fille. L’affaire est rocambolesque : Aïcha est contrainte d’accoucher à la frontière algérienne seulement quelques heures après son arrivée et sans assistance médicale.

Cet épisode donne le ton de leur échappée, la famille est désormais bien loin de l’opulence et du confort de la forteresse de Bab al-Azizia, la célèbre caserne fortifiée du dirigeant libyen à Tripoli. Les rejetons Kadhafi et leur mère finissent cependant par être logés dans les luxueuses villas de la résidence d’État du Club des pins à 25 kilomètres d’Alger et sont protégés par les forces de police algériennes. Ce séjour, qui leur permet de contourner les mandats d’arrêt émis contre certains d’entre eux par le Conseil national de transition libyen, n’est cependant que de courte durée.

Car Aïcha, que l’on dit être la prunelle des yeux de Mouammar, a aussi hérité du fougueux tempérament paternel. Elle tourne en rond dans son foyer d’accueil, ressasse sa colère, baigne dans son mal-être. Et finit par se retourner contre le gouvernement algérien qu’elle blâme pour ses malheurs. De nombreux témoignages rapportent ses accès de rage, des maltraitances contre le personnel de la villa, et révèlent une tendance presque pyromane alors qu’elle allume des feux dans la résidence. Véritable calvaire pour son hôte, Aïcha va jusqu’à déchirer un portrait du président algérien Abdelaziz Bouteflika. Cet ultime affront est la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour les autorités algériennes qui ne veulent alors plus héberger les Kadhafi.

Deux ans après sa première fuite, la famille du dictateur se voit contrainte de plier bagage à nouveau. Cette fois, direction le sultanat de Oman après de multiples négociations entre les gouvernements algérien, libyen et omanais. Le voyage se fait discrètement. Les membres du clan sont hébergés aux frais du sultanat en résidence surveillée et ont pour interdiction d’avoir « une activité politique et médiatique », condition sine qua non pour les autorités libyennes. Selon une source diplomatique contactée par L’Orient-Le Jour, Safia, très malade, aurait récemment voyagé hors de Oman pour pouvoir se faire soigner tandis que Aïcha serait allée au Caire à la fin du mois de février. Les raisons de ce voyage restent cependant bien mystérieuses.


(Pour mémoire : Saïf al-Islam Kadhafi, un tigre à la (re)conquête de la Libye)


Hannibal et le mythe de Moussa Sadr
Le cinquième fils Kadhafi, Hannibal, connu pour ses frasques internationales, est également du voyage à Oman. Hannibal a mené un train de vie de jet-setteur sulfureux jusqu’en 2011, le fait d’avoir remonté les Champs-Élysées à contresens à 140 km/h en 2004 étant presque anecdotique pour celui qui côtoie Beyoncé et Mariah Carey lors de ses soirées à Saint-Barthélemy. Il peut également se targuer d’avoir provoqué une crise diplomatique entre la Libye et la Suisse suite à des maltraitances contre l’une de ses domestiques dans un hôtel de Genève quatre ans plus tard. S’il échappe de peu aux poursuites judiciaires suisses, c’est seulement grâce à son passeport diplomatique.

Une fois à Oman, il décide cependant de faire route seul. Il quitte le sultanat pour la Syrie en 2015 pour y rencontrer, selon la rumeur, une certaine Fatima. Mais sa fuite presque « tranquille » prend un nouveau tour alors qu’il est kidnappé à Damas dans des circonstances obscures et emmené au Liban. Tentait-il de rendre visite à sa femme, Aline Skaf, mannequin de lingerie libanaise originaire du district de Zghorta ? La famille a démenti auprès du journal an-Nahar. S’agissait-il d’un guet-apens ? Difficile d’en savoir plus.

Une vidéo est cependant diffusée sur la chaîne al-Jadeed où Hannibal apparaît alors le visage tuméfié et les yeux au beurre noir. Il y affirme qu’il va bien et invite toute personne ayant des informations sur l’affaire Moussa Sadr à se faire connaître. Cet influent dignitaire chiite libanais a été vu pour la dernière fois en Libye où il s’était rendu sur invitation du président Kadhafi en 1978. Tripoli est depuis accusé par les chiites d’avoir prémédité la disparition subite de l’imam Sadr, souvenir qui est toujours prégnant dans les mémoires des membres de la communauté. Hannibal est soupçonné de détenir des informations au sujet de l’affaire, ce qui lui vaut d’être interpellé et emprisonné par les autorités libanaises peu après qu’il eut été relâché par ses ravisseurs. Bien qu’il fût âgé de trois ans à l’époque de la disparition du dignitaire chiite, le fils Kadhafi pourrait avoir eu connaissance de certains éléments de l’affaire au regard de son statut élevé dans la structure du régime dirigé par son père, où il contrôlait notamment la gestion maritime.

Depuis, Hannibal croupit toujours en prison au Liban, dans le plus grand des silences à son sujet. « Il y a un chantage permanent de la part des Libanais envers les Libyens car cette affaire revêt des intérêts politiques très locaux et la détention de Hannibal est un moyen de pression supplémentaire », explique la source diplomatique sous couvert d’anonymat. Un proche du mouvement chiite Amal, interrogé par L’OLJ, n’a pour sa part pas souhaité commenter l’affaire au vu du procès en cours. Pas plus tard que la semaine dernière, la cour d’appel de Beyrouth a rendu une décision passée presque inaperçue condamnant Hannibal à un an et trois mois de prison, et à une amende de deux millions de livres pour outrage à magistrat, en parallèle au procès pour recel présumé d’informations sur la disparition de Moussa Sadr. Le fils Kadhafi était accusé d’avoir menacé un juge d’instruction en 2016, chose qu’il réfute.


(Pour mémoire : Un des fils de Mouammar Kadhafi enlevé au Liban puis relâché)


Le Niger, terre d’accueil
Pendant la fuite de ses frères et sœurs, Saadi, le troisième fils Kadhafi, cherche refuge au Niger. Un choix qui ne tient pas du hasard : Niamey et Tripoli entretiennent de bonnes relations depuis longtemps, et les tribus touareg sont souvent liées aux tribus libyennes. Le playboy qui rêvait d’une grande carrière de footballeur, qui ne décollera jamais, s’est vu refuser l’accès en Algérie par le président Bouteflika en 2011. Et ce en dépit des supplications du clan Kadhafi. « Pas question, Saadi est sous le coup d’une interdiction de voyager décidée par le Conseil de sécurité de l’ONU », aurait répondu le dirigeant algérien à la famille du dictateur, selon les confidences d’une source à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Le quadragénaire se voit alors contraint de changer de destination. Son convoi est intercepté par les autorités nigériennes dans le nord du pays avant d’être accueilli par Niamey pour des raisons « humanitaires ». Il est placé en résidence surveillée dans la capitale à partir de septembre 2011. Il aurait tenté de transférer sa famille au Mexique cette même année, sans succès.

Trois ans plus tard, les autorités nigériennes finissent par céder aux incessantes demandes d’extradition de la Libye. Le gouvernement nigérien aurait changé sa position après que Saadi a mené des activités nuisibles au Niger en direction de Tripoli. « Notre sécurité passe avant tout », a déclaré une source proche du pouvoir nigérien à RFI. « Nous avons toujours voulu protéger Saadi Kadhafi, mais là, ce n’était plus possible », a-t-elle ajouté. Le fils Kadhafi a cependant droit à un traitement on ne peut plus spécial, le chef des renseignements libyen fait lui-même le déplacement pour venir le chercher en avion.

À peine arrivé sur le sol libyen à l’aéroport militaire de Miitiga, le footballeur raté est envoyé à la prison d’al-Hadhba al-Khadra de Tripoli, où il rejoint d’autres anciens du régime Kadhafi. Saadi est accusé par la justice libyenne d’avoir participé à la violente répression et d’avoir incité aux meurtres de rebelles en 2011. Mais il serait aussi impliqué dans l’affaire du meurtre de Bachir al-Rayani, l’ancien entraîneur du club de football al-Ittihad de Tripoli, en 2005. Rayani est décédé dans des circonstances non élucidées peu après avoir « critiqué (Saadi) en public pour son manque de talent de footballeur », a expliqué la justice libyenne. Depuis, Saadi est toujours en prison tandis que son procès ne cesse d’être constamment ajourné.


(Pour mémoire : Seif el-Islam Kadhafi condamné à mort)


Objectif numéro un : la reconquête du pouvoir
Alors que tout le clan cherche une échappatoire, seul le deuxième fils de Kadhafi, Saïf al-Islam, choisit de rester aux côtés de son père. Jusqu’au-boutiste, il monte au créneau pour défendre le patriarche libyen avec acharnement pendant la première année du conflit. Figure de proue du pouvoir, il est considéré comme le successeur potentiel au « guide ». Le costume n’est pas totalement nouveau pour celui qui s’était déjà employé à redorer son image auprès de son père en s’investissant diplomatiquement, effaçant ainsi ses frasques internationales passées, à l’image de ses frères. On le dit, un temps, au Niger ou au Soudan, mais la trace de « l’ingénieur Saïf », architecte de formation, est retrouvée en novembre 2011 quand il est capturé par la milice Abou Baqr al-Siddiq, un groupe armé de la ville de Zentan, dans le Nord-Ouest libyen.

Les autorités libyennes demandent à ce qu’il leur soit remis. Saïf al-Islam est alors sous le coup d’accusations de crimes contre l’humanité, de meurtre et de persécution par la Cour pénale internationale, et est recherché par Interpol. Même sa petite amie, Orly Weinerman, une actrice israélienne, va jusqu’à demander à l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, d’intervenir pour permettre sa libération, en arguant de leur proximité personnelle. Sans succès. Les miliciens refusent de le livrer et détiennent pendant six ans celui dont le nom signifie « glaive de l’Islam » en arabe. Une longue capture durant laquelle Saïf al-Islam aurait cependant bénéficié d’une relative liberté de mouvement alors que des rumeurs rapportent qu’il aurait été vu à plusieurs reprises se promenant dans les rues de Zentan. Il finit cependant par être amnistié par le gouvernement de Tobrouk et est libéré à l’été 2017, à la suite d’un accord entre les miliciens et les forces du maréchal Khalifa Haftar, le commandant en chef de l’armée nationale libyenne depuis 2015.

Saïf al-Islam est néanmoins toujours recherché par les autorités de Tripoli et internationales. Il se trouverait dans l’est du pays, dans les zones contrôlées par les forces de Haftar d’où il tente de préparer un retour politique en grande pompe. D’autres rumeurs disent qu’il serait dans le Sud... C’est le seul de ses frères et sœurs qui garde l’ambition de reconquérir le pouvoir libyen dont il fut si proche au cours de ces dernières décennies. Il compte en outre se présenter à la prochaine élection présidentielle, indiquait le 19 mars dernier un de ses représentants à Tunis, le présentant en sauveur de la Libye. Un rôle bien difficile pour celui qui est encore poursuivi par la CPI pour crime contre l’humanité et porte le lourd l’héritage de son père mégalomane qui se voulait « le roi des rois d’Afrique », au destin tragique.


(Lire aussi : Qui sont les principaux acteurs du conflit libyen ?)


Les inconnus en fuite ?
Il reste un grand mystère : le sort des deux enfants adoptifs du dirigeant de la Jamahiriya, Hana et Milad Abouztaïa. Selon la version officielle, Hana, adoptée par le couple Kadhafi, serait décédée en 1986 à l’âge de deux ans des suites des bombardements de l’OTAN sur Bab al-Azizia en réponse aux attentats perpétrés par la Libye dans la boîte de nuit La Belle en Allemagne, lieu prisé des membres des forces américaines. Mais de nombreuses rumeurs ont circulé depuis à son sujet, estimant qu’elle serait toujours en vie, et l’histoire ne serait qu’un secret de polichinelle pour les Libyens.

Et pour cause, plusieurs éléments sont troublants. Des photos de l’agence Associated Press la montrent à deux reprises : une fois aux côtés du « guide » en 1996, et une seconde avec Nelson Mandela lors de la visite du clan Kadhafi en Afrique du Sud en 1999. Serait-ce la même Hana ou une autre fillette que le couple aurait adoptée en lui donnant le même prénom que le bébé décédé pour honorer sa mémoire ? Les théories fusent à ce sujet, alimentées à nouveau en 2011 par les propos de Tripolitains et des documents découverts dans les maisons de Kadhafi par les rebelles. Un médecin de Tripoli a notamment affirmé à AP qu’une certaine Hana Kadhafi avait travaillé avec lui en tant que chirurgienne avant de prendre la fuite au début du conflit. Selon l’agence de presse, le nom de Hana aurait également figuré sur la liste des personnalités libyennes visées par des sanctions, avant d’être supprimé sans explications. Autant d’éléments qui soulignent l’étrangeté de l’affaire. Hana avait pourtant été érigée en martyre par son père, qui avait créé le « Festival Hana de la liberté et de la paix ». L’attentat de Lockerbie en 1988 aurait par ailleurs été perpétré par le dictateur pour venger la mort de sa fille. Autant d’éléments qui soulignent l’étrangeté du cas Hana Kadhafi.

Quant à Milad Abouztaïa, il serait le neveu du « guide ». Le fils adoptif Kadhafi est presque invisible, seules quelques infimes informations ont filtré à son sujet au fil des années. Dès le début du conflit libyen, Milad aurait pris la fuite en direction de la Tunisie où il serait poursuivi par la justice : des rumeurs tout aussi compliquées à vérifier.



Tarek Mitri : Les élections en Libye sont une fuite en avant

Sept ans après la chute du régime en Libye, des zones d’ombre continuent d’entourer le sort du clan Kadhafi. L’affaire mêlant l’ex-président français Nicolas Sarkozy à l’ancien maître de Tripoli, dans laquelle le premier est suspecté d’avoir reçu de l’argent du second afin de financer sa campagne, a remis la célèbre famille sur le devant de la scène, notamment à travers...

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