Le Parlement a entamé mercredi, sur fond de contestation sociale, la première des deux séances plénières qui doivent déboucher sur le vote du budget 2018, déjà en retard de deux mois et qui devrait être adopté avant la conférence CEDRE de soutien au Liban prévue le 6 avril à Paris.
Plusieurs députés ont exprimé des réserves sur la façon dont ce budget doit être adopté. Hassan Fadlallah, membre du bloc parlementaire du Hezbollah, a critiqué le fait que " la conférence CEDRE nous oblige à voter le budget rapidement et sous pression", dénonçant un "déséquilibre flagrant" dans les comptes et les restrictions budgétaires.
L’adoption de la loi de finances – et la réduction du déficit budgétaire par rapport à celui de 2017 – font partie des exigences imposées par les participants aux conférences internationales de soutien au Liban, dont CEDRE, consacré au financement du programme d’infrastructures préparé par le gouvernement libanais.
Le projet de budget pour 2018 avait été approuvé le 12 mars par le Conseil des ministres puis lundi dernier par la commission parlementaire des Finances qui a multiplié les réunions pour finaliser l'examen du projet de loi de budget. Selon les délais constitutionnels, le budget 2018 aurait dû être voté au plus tard le 30 janvier dernier au Parlement. Le Liban avait adopté en octobre 2017 et avec dix mois de retard sur le calendrier prévu par la Constitution sa première loi des finances, après douze années passées sans budget d’État en raison des tensions politiques.
Le déficit public s’élèvera à 4,8 milliards de dollars selon les prévisions du projet de budget de 2018. Ainsi les dépenses publiques atteindront 15,8 milliards de dollars, auxquelles il faut additionner une avance du Trésor à Électricité du Liban de 1,4 milliard de dollars pour combler le déficit de l’établissement public. Quant aux recettes, elles sont estimées à 12,4 milliards de dollars.
Lors de son intervention, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, s'est dit étonné d'entendre certains de ses collègues critiquer le projet de budget présenté, alors qu'ils font partie de formations représentées au gouvernement qui avait approuvé ce projet à l'unanimité. Il a reproché aux responsables de "cacher la vérité aux gens et à la communauté internationale" concernant la situation économique, alors que le pays devrait être "en état d'urgence économique".
(Lire aussi : Budget 2018 : les députés en passe de voter une amnistie fiscale)
Faillite et électricité
Le chef du bloc parlementaire du Futur, Fouad Siniora, a, lui, estimé que le Liban n'était pas en faillite, contrairement à son collègue Antoine Zahra, député Forces libanaises, qui a exprimé son désaccord avec le projet de budget et a estimé que l'Etat était "concrètement en faillite". "Comment les gens peuvent-ils être convaincus par l'Etat alors que nous examinons un budget endetté ?", a-t-il lancé.
Plus tôt dans la journée, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, avait estimé que parler de "faillite" du Liban, un mot notamment utilisé par le patriarche maronite Mgr Béchara Raï la semaine dernière, constituait une "surenchère politique". Vendredi, à l'issue d'un entretien avec le chef de l’Etat, Michel Aoun, le patriarche avait affirmé que le président de la République lui avait dit que le pays était en faillite. Les organisations internationales, agences de notation et autres observateurs s’inquiètent régulièrement de la forte exposition des banques à la dette publique et l’absence de réformes concrètes lancées par l’Etat pour contrôler son endettement. La dette publique brute du Liban a atteint 80,4 milliards de dollars à fin janvier.
Le député indépendant de Batroun, Boutros Harb, a dans ce contexte qualifié la politique économique et financière actuelle de "crucifixion du peuple libanais, sans résurrection". Il a estimé que l'adoption du budget "à cette vitesse exceptionnelle" n'est que le signe des pressions internationales, la communauté internationale considérant "inacceptable" que le Liban se rende à la conférence CEDRE sans avoir approuvé de loi des finances.
Concernant le dossier de l'électricité, qui a fait l'objet d'une controverse lors du Conseil des ministres la veille, le député Boutros Harb a accusé l'ancien ministre de l’Energie, Gebran Bassil, d'avoir "échoué à gérer le dossier et devait prendre en compte les moyens juridiques à sa disposition pour résoudre les divisions qui entouraient le dossier lors de son mandat".
M. Zahra est lui aussi revenu sur la polémique autour du dossier de l'électricité. "Certains s'électrisent lorsqu'on évoque le dossier de l'électricité", a-t-il déclaré, exprimant son opposition à l'option des navires-centrales, privilégiée notamment par le ministre de l’Énergie, César Abi Khalil (CPL).
Sujet de polémique par excellence depuis près d’un an, la location des navires-centrales, un projet temporaire permettant d’assurer la production d’un complément de courant en attendant la finalisation des usines de production, continue de diviser le gouvernement. L’appel d’offres lancé en 2017 à la demande du Conseil des ministres dans ce cadre a en effet été jugé non conforme par la Direction des adjudications (DDA), tandis que plusieurs voix ont dénoncé un cahier des charges sur mesure favorisant leur location à l’opérateur turc Karadeniz. Les FL, le PSP, les Marada, Amal et le Hezbollah ont critiqué plus ou moins ouvertement l’absence de transparence au niveau de ce marché public.
Par ailleurs, M. Zahra, qui avait critiqué son collègue Ibrahim Kanaan, président de la commission des Finances, sur la question de la clôture des comptes budgétaires, lui a par la suite présenté ses excuses. "J'ai dit qu'il recommandait d'accorder une année supplémentaire pour présenter la clôture des comptes, alors qu'il demandait de se contenter, pour réaliser cet exercice, de l'année prévue lors du vote du budget 2017 pour effectuer le bilan", a souligné M. Zahra.
Selon l'article 87 de la Constitution, le budget d'une année ne peut être publié avant que le bilan arrêté de l'année précédente ne soit voté par le Parlement. Or le dernier bilan voté par le Parlement est celui de 2003 (voté en 2005).
(Lire aussi : Kanaan : Un « swap » en préparation pour réduire le service de la dette)
"Reconsidérer l'emploi public"
Lors de son intervention, M. Siniora a en outre souligné qu'il fallait "reconsidérer ce qu'est l'emploi public, loin de l’ingérence des partis et des milices". Plusieurs personnalités politiques ont dénoncé ces dernières semaines l'utilisation et le recrutement par certaines formations politiques d'emplois publics à des fins électorales, à l'approche des législatives du 6 mai.
Waël Bou Faour, membre du bloc parlementaire dirigé par le leader druze Walid Joumblatt, s'en est pour sa partpris au ministère d'Etat contre la corruption, jugeant que son action était un "échec désespérant à tous points de vue" et qu'il était devenu un "fardeau" pour le gouvernement.
Sur un autre plan, l'ancien Premier ministre Najib Mikati a déposé une proposition de loi à caractère de double urgence supprimant les indemnités et les avantages perçus par les anciens chefs de l'Etat, les anciens présidents de la Chambre, les anciens Premiers ministres et les anciens députés.
Juges et militaires à la retraite mobilisés
A l'ouverture de la séance, le président de la Chambre, Nabih Berry, avait dénoncé les "pressions" exercées contre le Parlement, saluant par ailleurs l'action d'Ibrahim Kanaan, qui a multiplié les réunions marathon pour l'adoption du budget et doit, selon lui, "entrer dans le livre Guinness des records".
M. Kanaan est ensuite monté à la tribune pour détailler le projet de loi de budget examiné et adopté au sein de la commission qu'il préside qui compte quatre chapitres et 55 articles. Le budget comprend notamment une baisse de 143,7 millions de livres libanaises des crédits du Conseil de la fonction publique, ainsi qu'une baisse de 84,6 milliards de livres des crédits alloués aux dépenses urgentes. Par ailleurs, la commission des Finances a fait 15 recommandations, dont la suppression d'aides à certaines administrations ne faisant pas partie du secteur public, le paiement des dus aux contractuels de l'Université libanaise et le respect des délais constitutionnels.
Par ailleurs, M. Kanaan a déclaré que la commission avait supprimé l'article sur l'âge de la retraite des militaires et celui sur les indemnités des juges. A quelques mètres du siège du Parlement, les vétérans de l'armée libanaise, qui réclament l'application de la grille des salaires et protestent contre le projet de suppression des indemnités auxquelles ils ont droit, s'étaient rassemblés dans le centre-ville de Beyrouth.
commentaires (4)
EXAMEN ! ILS N,ONT QU,A APPROUVER LES COMPROMIS...
LA LIBRE EXPRESSION
21 h 53, le 28 mars 2018