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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Les dommages de la promotion du nom propre de l’analyste dans l’institution (suite)

En 1968, en décidant de publier une revue anonyme où les publications ne seront pas signées, sauf de son nom, Lacan expérimente un moyen de promouvoir la production théorico-clinique des analystes de l’École freudienne de Paris, et non pas leurs noms propres. De même, il cherche à dépasser le « narcissisme de la petite différence » que Freud raillait. Au titre Scilicet, qui veut dire « Tu peux savoir », Lacan ajoute ce qu’en pense l’École freudienne de Paris. La revue ouvre sur ce que pense l’École et non pas tel ou tel analyste membre de l’École. À la question de savoir pourquoi Lacan signe, lui, ses articles, il répond d’abord par un clin d’œil à Jorge Luis Borges : « Qu’on sache que je ne joue pas le rôle du fantôme du père dans Hamlet. » À savoir qu’il n’est pas encore mort, assassiné par ses frères ennemis de la SPP. Ensuite par l’histoire du mouvement analytique. Après la 1re scission du mouvement analytique français en 1953, et les dix années d’expérience de la Société française de psychanalyse, en 1963 l’Association psychanalytique internationale (IPA) l’excommunie ainsi que Françoise Dolto. Mais le nom de Lacan, forclos, exclu, interdit, revient dans le réel. Personnification d’une certaine vérité de la psychanalyse refoulée par l’institution, Lacan ne voulait donc pas participer à l’exclusion de son propre nom. Jusqu’à aujourd’hui, ce nom reste pestiféré ou adulé et le fait de lire Lacan ne donne pas le qualificatif de lacanien à celui ou celle qui le fait. Être lacanien dans la mise en question de l’institution, en restant freudien dans le texte, c’est faire en sorte que l’institution n’étouffe pas l’analyse. Et quand, en 1980, le groupe reprit le dessus sur sujet, il réalisa son échec et dissolut son école, l’École freudienne de Paris fondée en 1963.

« L’organisation même de la psychanalyse aujourd’hui est faite pour rendre intouchable ce que la fin de la psychanalyse didactique enseigne. » Ainsi, dans l’introduction au premier numéro de la revue Scilicet, il pourfend encore, une fois de plus, l’institution analytique. Car, on le sait, la fin de l’analyse, la fin de « la névrose de transfert » ravale le « nom de l’analyste au rang du signifiant quelconque », ce qui veut dire qu’il ne signifie plus rien pour l’analysant. Or, dans les sociétés appartenant à l’IPA, dans les catégories d’analystes et la hiérarchie qui les ordonne, le nom propre de l’analyste joue un rôle fondamental (voir J. Lacan, Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956, in Écrits, Paris, Seuil, 1966). Dans l’institution, le nom de l’analyste est un obstacle à l’affranchissement du candidat/analyste du rapport de sujétion qu’il a avec celui ou celle qui fut son analyste. Dans ce cas, comment un analyste peut libérer son patient de sa dépendance aux figures parentales s’il n’est pas libre lui-même de la figure de son propre analyste et de l’institution qui promeut son nom ?

Dans les institutions de l’IPA, l’appartenance de l’analyste est un préalable incontournable à l’accession au titre d’analyste. Une analyse faite par un training/analyste qui n’appartient pas à l’institution dans laquelle on postule est, par exemple, invalidée d’emblée. Ici résonne l’injonction de Freud à Sabina Spielreïn qu’on a vue la dernière fois : « Si vous voulez que votre nom figure parmi les nôtres, il faut reconnaître que l’ennemi est en face. »
Dans la reconnaissance d’un analyste par une institution, il y donc également une opposition entre un « bon dedans » et un « mauvais dehors ». Cette logique « schizo paranoïde » mise en évidence par Mélanie Klein comme première position identitaire chez le nourrisson indique à quel point un groupe, quel qu’il soit, même psychanalytique peut régresser pour garder ce genre d’identité intacte, en empêchant toute impureté externe de le contaminer.
Nous verrons par la suite comment Lacan a cherché à parer à toutes ces contradictions.


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