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An XIII

Qu’il soit heureux ou tragique, tout anniversaire n’est pas seulement matière à célébration, ou bien alors à grave recueillement. En politique un anniversaire, c’est aussi l’occasion, sinon l’impérieuse obligation, de se livrer à des constats, de dresser des bilans. De mesurer, avec honnêteté et courage, l’œuvre de ce temps qui, tel l’infime grain de sable grignotant opiniâtrement le roc, peut souvent limer les élans populaires les plus authentiques, émousser les plus fermes des engagements.


Bien des discours retraceront, au cours des prochaines heures, l’exceptionnel parcours de Rafic Hariri, tué le 14 février 2005 avec une vingtaine de personnes, dans un monstrueux attentat à la bombe. Mais qui donc soulignera-t-il l’impuissance de la classe politique – prise dans son intégralité – à gérer, au mieux, l’ère de l’après-Hariri ?


Ce reproche ne s’adresse guère en effet aux seuls ennemis de l’ancien Premier ministre, qui ont vite fait d’enrayer l’extraordinaire sursaut de cohésion nationale suscité par l’attentat à la bombe de Aïn el-Mreïssé. Boutée hors du pays mais y laissant de puissantes amitiés, la Syrie, quant à elle, n’en a pas moins conservé intacte sa monstrueuse capacité de nuisance, ce qui s’est traduit par une longue série d’assassinats. Et en neuf ans d’intermittente activité, l’un des rares faits d’armes du Tribunal spécial pour le Liban est l’inculpation de cinq cadres responsables du Hezbollah.


C’est bien vrai que l’ancien Premier ministre n’a jamais fait l’unanimité des Libanais. La reconstruction du pays, dont il fut l’artisan, n’a certes pas été exempte d’abus ; et pourtant, ce sont bien ses détracteurs de l’époque qui, par leurs insolentes malversations, leur pillage méthodique des ressources étatiques, ont fait quasiment tripler la dette publique. Impénitent rassembleur, adepte convaincu de la modération, Rafic Hariri se reconnaîtrait-il dans le Liban actuel miné par le cancer de l’État dans l’État, ballotté entre Iran et Arabie saoudite et rançonné par Israël ?


Autant en effet qu’au plan interne, c’est au niveau de sa position internationale que le Liban demeure, treize ans plus tard, orphelin de Rafic Hariri. Car même au plus fort de l’occupation syrienne, cet homme d’exception, qui s’était gagné le respect des grands de ce monde sans jamais faire défaut à son environnement arabe, était en mesure de garder vivace le rêve (la fiction ?) d’un Liban attendant son heure : celle de l’émancipation.


Reste à rappeler que les ennemis de Hariri père n’ont fait, en définitive, que d’user de tous les moyens, même les plus antidémocratiques, les plus meurtriers trop souvent, pour mettre en échec ce grand moment de l’histoire que fut la révolution du Cèdre. Ce que nul n’attendait en revanche, c’est la somme d’initiatives malheureuses, de marchés de dupes, de compromis et même de compromissions, de conflits d’intérêts et de querelles intestines accumulés, toutes ces dernières années, par ceux-là mêmes (et ils sont nombreux) qui avaient repris le flambeau.


Il est des héritages trop lourds à porter. Et encore plus à assumer.

igor@lorientlejour.com

Qu’il soit heureux ou tragique, tout anniversaire n’est pas seulement matière à célébration, ou bien alors à grave recueillement. En politique un anniversaire, c’est aussi l’occasion, sinon l’impérieuse obligation, de se livrer à des constats, de dresser des bilans. De mesurer, avec honnêteté et courage, l’œuvre de ce temps qui, tel l’infime grain de sable grignotant...