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Liban - Échelle des salaires

La guerre d’usure des enseignants du privé

Le premier jour de grève était partiellement suivi, vu que nombre d’établissements ont accordé leurs droits aux instituteurs ou leur ont fait des promesses dans ce sens. L’arrêt de travail se poursuivra aujourd’hui et demain.

À Tripoli, mobilisation des enseignants du privé pour leurs droits, au siège du syndicat. Photo ANI

Premier jour hier d’une nouvelle grève, de trois jours celle-là, décrétée par les enseignants de l’école privée dans l’ensemble du pays, à l’appel de leur syndicat. Avec pour unique et même revendication l’application de la loi 46 dans son intégralité depuis le 21 août 2017, autrement dit les augmentations de salaire et les six échelons, effets rétroactifs inclus. À Jounieh, Tripoli et Zahlé, les sièges syndicaux des régions débordaient de grévistes venus réclamer leurs droits. Alors qu’à Beyrouth, une cinquantaine d’enseignants seulement ont fait acte de présence au siège du syndicat, à Furn el-Chebback. Suivi donc en demi-teinte, pour des considérations détaillées ci-dessous, « le mouvement de grève se poursuivra aujourd’hui et demain », comme l’assure à L’Orient-Le Jour le président du syndicat des instituteurs de l’école privée, Rodolphe Abboud.

Accords à l’amiable
En demi-teinte ne veut pas dire échec. Bien au contraire. À travers leurs mouvements de grève successifs et réguliers, les enseignants de l’école privée ont mené une véritable guerre d’usure à la Fédération des associations éducatives privées, qui regroupe les établissements privés communautaires et laïcs, chapeautée par le Secrétariat général des écoles catholiques. Une guerre à laquelle cèdent, l’une après l’autre, les directions d’établissement. Qui finissent par se démarquer de la Fédération et par appliquer sans réserve la grille des salaires, pour préserver l’année scolaire ou tout simplement par conviction de la nécessité d’accorder leurs droits à leurs enseignants. Tout en annulant parfois certains privilèges financiers, comme les bonus ou le mois supplémentaire. Ou alors elles parviennent à des accords à l’amiable avec leur corps enseignant sur les modalités d’application de la loi, et plus particulièrement sur un échelonnement des effets des six échelons. Sans compter que certaines institutions, réticentes jusque-là, font désormais part de leur intention d’accorder à leurs instituteurs tous leurs droits, et d’étudier leur budget dans ce sens.

C’est à ce prix que nombre d’établissements ont réussi à assurer un enseignement normal, durant ces trois jours de grève. « C’est aussi la raison pour laquelle l’ordre de grève lancé par le syndicat n’a pas été suivi à 100 % », observe M. Abboud, reconnaissant par ailleurs que le nombre d’enseignants syndiqués (ayant réglé leurs cotisations) se limite à 18 000 environ sur les 34 000 enseignants cadrés.
Seuls ont donc suivi l’ordre de grève les enseignants qui ne se sont pas vu accorder la grille des salaires, ou qui n’ont pas reçu de leur direction la moindre promesse en ce sens. Compte tenu également de ce que « nombre d’enseignants ont été soumis à des pressions de la part de leur direction, leur interdisant de se mettre en grève et les menaçant de coupes de salaire », déplore le syndicaliste.


(Lire aussi : Nouvelle grève des enseignants ; les comités des parents furieux)



Écoles orthodoxes et MLF
Pour confirmer cette tendance, L’OLJ a contacté quelques établissements scolaires. À l’instar de l’IC et du collège Notre-Dame de Nazareth d’Achrafieh (voir notre édition du 23 janvier 2018), d’autres écoles privées ne suivent pas la grève, car elles ont décidé d’accorder leurs droits aux enseignants, rubis sur l’ongle. Parmi elles, les établissements orthodoxes de Beyrouth, qui comptent 6 000 élèves et 450 enseignants (Zahret el-Ihsan, le collège de l’Annonciation, l’École des trois docteurs, l’école Saint Mary et le collège Saint-Élie). « Nous avons payé la grille des salaires dans son intégralité aux enseignants, car nous avons le devoir d’appliquer la loi », explique à L’OLJ le représentant des écoles orthodoxes de Beyrouth, le père Georges Dimas. « Et pour limiter à 500 000 LL l’augmentation de l’écolage par élève, l’évêché orthodoxe de Beyrouth subventionnera les scolarités à hauteur de 200 000 LL par enfant et pour deux ans. »
Également contacté, le représentant régional de la Mission laïque française, Patrick Joseph, fait part de la décision de l’institution française d’appliquer intégralement la loi 46 à partir du 21 août 2017, et ce pour ses 5 établissements qui comptent 11 000 élèves et un millier d’enseignants. C’est la raison pour laquelle ces derniers n’ont pas suivi l’ordre de grève. « Nous avons déjà commencé à payer la grille des salaires en décembre dernier et accorderons aux instituteurs les six échelons dès le mois de mars avec effet rétroactif, à moins d’un changement ou d’un amendement de loi », assure-t-il. M. Joseph ne se prononce pas sur le montant de la hausse des écolages. Mais il précise que « la rémunération moyenne des enseignants verra une augmentation de 55 % ». « Fatalement, il y aura une augmentation des écolages, différente d’un établissement à l’autre », affirme-t-il, rappelant que « les salaires des enseignants représentent plus de 70 % du budget des établissements ». Pour l’instant, « les négociations vont bon train avec les parents d’élèves », ces derniers craignant des hausses trop importantes des écolages.

« À Saïda, les quatre établissements des Makassed et les deux écoles de Hariri n’ont pas non plus suivi le mouvement de grève », révèle à L’OLJ Walid Jaradi, secrétaire général du syndicat des enseignants de l’école privée et responsable de la région de Saïda «. Ces établissements communautaires sunnites qui comptent 7 500 élèves et 600 instituteurs ont appliqué la loi 46, certaines avec étalement des échelons », explique-t-il. « L’échelle des salaires sera accordée intégralement aux enseignants, peu importe le mode de paiement », précise-t-il, faisant état « d’accords à l’amiable » entre les directions et les enseignants.


(Pour mémoire : Les instituteurs maintiennent leur grève)



Un mois de réflexion
Dans cet état des lieux, même les écoles catholiques se jettent à l’eau, l’une après l’autre, malgré le mot d’ordre du père Boutros Azar, secrétaire général des écoles catholiques. La dernière en date, la congrégation des sœurs des Saints-Cœurs, avec ses 31 écoles, ses 27 130 élèves et ses 3 230 enseignants, annonce sa volonté d’appliquer la loi 46 dans son intégralité. « Il s’agit d’un droit sacré pour les enseignants qui sont privés d’augmentation depuis 5 ans », souligne la supérieure générale, la sœur Daniella Harrouk. Sauf que l’institution, à laquelle l’État doit plus de 30 milliards de LL (pour ses hôpitaux et ses écoles gratuites) et qui a accumulé pour l’année scolaire 2016-2017 un milliard sept cent treize millions de LL d’écolages impayés, se donne « un mois de réflexion, jusqu’à la fin février, afin d’étudier les conséquences de l’échelle des salaires sur son budget ». Une promesse qui n’a pas encore convaincu tous ses enseignants, dont une bonne partie suit le mouvement de grève. « Dix-sept de nos établissements ont fonctionné normalement. Quatorze sont en grève, mais parmi eux, quatre écoles ont assuré les cours aux élèves de terminale et de troisième », assure la religieuse à L’OLJ.

Face à cette avancée, quel avenir au projet du ministre de l’Éducation Marwan Hamadé d’amender la loi 46 dans le sens d’un étalement des effets de l’échelle des salaires ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que « le Conseil des ministres ne semble pas devoir se réunir de sitôt », comme l’a déploré hier le ministre lors d’une réunion avec des étudiants de l’Université libanaise.


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