Près de deux mois avant la tenue de la conférence du Cèdre, responsables politiques et acteurs du secteur privé enchaînent les réunions de travail avec leurs homologues français et les représentants des organisations internationales. La conférence, qui se tiendra à Paris courant avril, sera consacrée à une levée de fonds pour le financement d’un large programme de modernisation des infrastructures libanaises. Si les premiers chiffres communiqués par le Premier ministre, Saad Hariri, paraissaient pour le moins excessifs, il semblerait que, suite à une série d’entretiens « quasi quotidiens », ses équipes ont dû revoir leurs ambitions à la baisse. « Le programme d’investissements initialement présenté par M. Hariri vise à moderniser les infrastructures du pays, mais prévoyait une enveloppe totale allant de 20 à 26 milliards de dollars, ce qui n’est pas du tout réaliste, puisque cela représente près de la moitié du PIB du pays », confie à L’Orient-Le Jour une source diplomatique ayant requis l’anonymat. « M. Hariri a ensuite communiqué à la presse un chiffre de 16 milliards de dollars, mais nous nous dirigeons plutôt vers une enveloppe totale allant de 5 à 8 milliards de dollars tout au plus », a-t-elle poursuivi.
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Période de carence
Comme annoncé par Saad Hariri précédemment, l’enveloppe sera exclusivement composée de prêts concessionnels. « Une période de carence de 5 à 10 ans sera accordée selon les projets, et les taux d’intérêt varieront entre 1 et 3 %. La durée des prêts s’étalera sur 20 à 30 ans », précise la source diplomatique. Les institutions qui devraient participer à cette enveloppe sont la Banque mondiale, l’Union européenne, la Banque européenne d’investissement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ainsi que la Banque islamique de développement. Il y a également des pays qui accorderont des prêts dans un cadre bilatéral. Il s’agit notamment du Royaume-Uni, des États-Unis, du Japon, de l’Allemagne et de la France. Il n’est pas certain que les pays membres du Conseil de coopération du Golfe participent à la conférence.
« La sélection des projets se fera en termes de leur degré de priorité, d’importance et de maturité. Un intérêt particulier sera aussi accordé à leur potentielle contribution à la croissance et la création d’emplois », indique la source diplomatique. La Banque mondiale a été chargée d’évaluer les projets présentés par la présidence du Conseil des ministres en fonction de leur pertinence, « compte tenu du rôle majeur qu’elle joue au Liban, en tant que premier bailleur de fonds des projets de développement des infrastructures ».
Les entreprises du secteur privé devraient également participer de manière significative à ce programme d’investissement, à travers des partenariats public-privé (PPP). « Il semblerait qu’environ 50 % de l’enveloppe sera financée par le biais de PPP », indique à L’Orient-Le Jour le président du Rassemblement de dirigeants et de chefs d’entreprise libanais dans le monde (RDCL-Monde), Fouad Zmokhol. Selon une source proche du dossier, plusieurs grands groupes français auraient été conviés la semaine dernière par le Trésor public français pour une présentation du programme d’investissements. Ces groupes n’écartent pas la possibilité de constituer des consortiums avec leurs homologues libanais. « Effectivement, nous sommes en contact avec les entreprises françaises, et ce depuis le vote de la loi sur les PPP » en août dernier, confirme M. Zmokhol.
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Des donateurs « préoccupés »
Selon plusieurs sources concordantes, les projets prioritaires qui font à la fois consensus auprès du gouvernement et des bailleurs de fonds concernent les secteurs de l’électricité, de l’eau, des transports et de la gestion des eaux usées. Un volet social sera également inclus et prévoira la construction d’écoles, d’hôpitaux et de centres de santé. En revanche, L’Orient-Le Jour n’a pas pu confirmer si d’autres projets figurant dans le programme d’investissements initial ont été retenus. Il s’agit notamment des projets concernant le secteur des télécoms, ou encore ceux concernant le développement des infrastructures du Liban-Nord (réhabilitation de l’Aéroport René Moawad ; construction d’un port dans le Akkar et développement de celui de Tripoli ; construction d’une ligne ferroviaire reliant Tripoli à la Syrie ; modernisation des centrales électriques de la région ; installation d’unités flottantes de stockage et de transformation du gaz liquéfié...).
Néanmoins, ces financements restent évidemment conditionnés. « Les grands groupes n’accepteront d’investir que si nous leur offrons un cadre juridique intéressant », assure la source proche du dossier. Les pays et les autres bailleurs de fonds exigent de leur côté que l’État libanais lance des réformes sectorielles. « S’agissant du projet sur l’électricité par exemple, il est demandé au gouvernement libanais d’engager une suppression progressive des subventions du prix par KW. Pour le projet concernant le secteur de l’eau, il est demandé que le code de l’eau, qui est depuis 20 ans au Parlement, soit voté », affirme la source diplomatique. « Le respect de ces conditions relève du Conseil des ministres et du Parlement, et nous sommes inquiets du fait de la situation actuelle. Les tensions préélectorales peuvent perturber la confiance des investisseurs », affirme M. Zmokhol, qui exprime toutefois l’espoir « que la conférence soit un moyen de pression pour impulser ces réformes structurelles ». Beaucoup craignent en effet une répétition du scénario de la conférence de Paris III en 2007. « On nous avait promis 8 milliards de dollars, mais, au final, on a eu moins qu’un milliard, car toutes les réformes promises n’ont pas été réalisées pour des raisons politiques », se souvient l’ancien ministre de l’Économie de l’époque, Sami Haddad. « La situation à l’époque était très grave, maintenant elle l’est encore plus. Le déficit de la balance des paiements est encore plus profond », prévient-il. En effet, selon l’ancien ministre Charbel Nahas, « le Liban fait face à un grave problème au niveau de sa balance des paiements et a donc un besoin pressant de devises à court terme ». La balance des paiements a enregistré un déficit cumulé de 1,01 milliard de dollars sur les onze premiers mois de 2017, contre un excédent de 327,7 millions de dollars enregistré sur la même période un an plus tôt.
D’autant plus que « le problème majeur qui préoccupe les donateurs, c’est le déficit public du Liban qui est passé de 6 % du PIB en 2006 à 9,3 % en 2016, et également sa dette publique qui était à 133 % du PIB en 2012 et qui est maintenant à 151 % », alerte la source diplomatique. « On attend le budget-test de 2018 pour voir quels efforts le gouvernement est prêt à consentir », ajoute-t-il. M. Hariri a émis dans ce sens, le 23 janvier, une circulaire destinée à l’ensemble des administrations, des institutions publiques, des conseils, des autorités et de toutes les personnes morales publiques, dans laquelle il exige que ces derniers baissent de 20 % leurs estimations budgétaires respectives pour l’exercice 2018. Seulement, en l’absence de budget pour 2018, « les dépenses publiques sont depuis le 1er février dans l’illégalité. L’État n’est en droit ni de dépenser, ni d’emprunter, ni de prélever », fait remarquer M. Nahas.
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commentaires (10)
Il faudra tout reconstruire tout refaire , et surtout travailler pour le retour du train qui reliait diverses villes du Liban .
Antoine Sabbagha
21 h 52, le 05 février 2018