Le ministre de la Justice, Salim Jreissati, s’est empressé de démentir avoir lui-même demandé au parquet de se mobiliser contre l’humoriste Hicham Haddad pour un sketch télévisé tournant en dérision le prince héritier d’Arabie, Mohammad ben Salmane. Le ministre a affirmé que cette affaire était du ressort du parquet. « Lorsque le ministre de la Justice demande au parquet général d’engager des poursuites (...), il le fait ouvertement et ne s’en cache pas », a-t-il souligné.
« C’est le parquet général qui a engagé des poursuites contre Hicham Haddad car certains propos qu’il a tenus constituent une offense et une diffamation (à l’encontre du prince héritier saoudien) et portent atteinte aux relations du Liban avec un autre pays », a affirmé de son côté le procureur général près la Cour de cassation, le juge Samir Hammoud, à la chaîne LBCI.
Des sources proches de l’ambassade d’Arabie ont pour leur part assuré à la LBCI que le royaume n’était pas à l’origine de ces poursuites. Une autre source proche du Premier ministre a également affirmé à la même chaîne que ni Saad Hariri ni son entourage n’avaient réclamé de telles poursuites, quand bien même M. Hariri était également tourné en dérision dans l’un des sketchs de M. Haddad, dans le cadre du même épisode incriminé.
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Haddad dubitatif
L’humoriste, lui, reste songeur quant aux raisons précises pour lesquelles ces poursuites ont été engagées contre lui. Joint au téléphone par L’Orient-Le Jour, l’animateur de l’émission Lahon w Bass s’attarde ainsi sur le timing des poursuites engagées à son encontre.
« Il y a moins de deux semaines, j’ai accueilli sur mon plateau Mireille Aoun Hachem (fille et première conseillère du président de la République, NDLR) lors d’une émission qui a révélé au grand public l’entente mutuelle et l’amitié qui nous lient », rappelle-t-il. Au cours de cette émission, l’humoriste affirme avoir abordé avec son invitée un ensemble de sujets « délicats », parmi lesquels l’affaire des membres radiés du Courant patriotique libre (CPL) sous le mandat de son chef actuel, Gebran Bassil. M. Haddad affirme avoir également demandé sans détour à son interlocutrice son avis sur l’actuelle gestion du CPL. « De telles interrogations sont légitimes et prêtent à réflexion », affirme-t-il.
L’animateur avait rejoint, en août 2016, la liste des noms des membres radiés du CPL, après Ziad Abs, Antoine Nasrallah, Naïm Aoun et Paul Abi Haïdar. Cette mesure était motivée par des commentaires effectués sur sa page Facebook personnelle, et en raison d’une de ses émissions durant laquelle il avait tourné en dérision Gebran Bassil, qu’il avait affublé du sobriquet de « Joujou ». L’humoriste a par ailleurs assuré qu’il sera encore plus virulent dans ses prochaines émissions.
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Pierre Daher
De son côté, le PDG de la LBCI, Pierre Daher, affirme à L’OLJ qu’« il existe depuis le mouvement de la société civile en 2015 une sorte de modus vivendi entre les partis politiques au pouvoir, selon lequel ils sont tous prêts à se soutenir l’un l’autre, même entre rivaux, contre tout ce qui pourrait menacer cette classe politique ». « Ces poursuites engagées contre deux présentateurs de la LBCI interviennent quelques mois avant les élections législatives dans le but d’affaiblir les médias capables d’influencer l’opinion publique », précise-t-il.
Réactions
L’ancien ministre Wi’am Wahhab, l’un des premiers politiques à afficher son soutien à Hicham Haddad, a appelé hier « le président de la République Michel Aoun et le gouvernement à démettre de ses fonctions le procureur général », affirmant que « le juge Hammoud, depuis son arrivée à son poste, a paralysé le parquet général, et, lorsqu’il s’active, il le fait au mauvais endroit ».
Le député Hassan Fadlallah, affilié au Hezbollah, a lui aussi pris la défense de M. Haddad. « Ce qui est étonnant, c’est la rapidité des poursuites engagées contre un humoriste qui ne mérite pas cette décision injuste qui doit être revue immédiatement », a-t-il affirmé, dans des propos rapportés par la LBCI. « Cette politique des deux poids, deux mesures est inacceptable. Nous vivons au pays de la diversité et des libertés responsables », a-t-il ajouté.
Dans un entretien accordé à LBCI, le ministre de l’Information, Melhem Riachi, a également apporté son soutien à l’humoriste. « Les libertés de la presse sont sacrées. Toutes les plaisanteries ne doivent pas devenir prétexte à polémique », a-t-il déclaré, ajoutant que cette affaire était une « publicité gratuite » offerte à M. Haddad. « Je le remercie de son soutien, mais il est bizarre que les responsables politiques apportent leur soutien alors qu’ils sont au pouvoir », a aussitôt rétorqué l’humoriste.
De son côté, le député Boutros Harb a condamné les poursuites engagées contre M. Haddad, qui constituent, selon lui, « une nouvelle atteinte à la liberté d’expression et une tentative de réduire au silence (...) un humoriste dont le but est de faire rire les Libanais et d’atténuer leurs souffrances au quotidien ». Il a dénoncé la « politique de répression » du gouvernement, « notamment celle du ministère de la Justice », qui « surveille les responsables politiques et les journalistes qui ne lui prêtent pas allégeance ».
Le président du Rassemblement de l’Option libanaise, Ahmad el-Assaad, a quant à lui affirmé dans un communiqué « son rejet de toutes les campagnes de répression qui visent la liberté d’expression », estimant que « le Liban se caractérise par la liberté, la diversité, l’ouverture et la démocratie ».
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Entre humour , politique , et publicité, tout se confond avec une justice vraiment bizarre .
12 h 46, le 27 janvier 2018