Le débat autour de la loi d’amnistie s’est transposé hier dans la rue lors d’une importante manifestation place Riad el-Solh, organisée par plusieurs mouvements islamistes, dont la Jamaa islamiya, le Hezb el-Tahrir et les groupes salafistes de Tripoli et de Saïda notamment.
Plusieurs centaines de protestataires sont venus réclamer une amnistie générale et globale qui ne « ferait pas d’exceptions », en allusion aux dérogations prévues par le projet de loi pour les crimes de terrorisme et ceux qui ont occasionné des victimes parmi les civils et les militaires.
Sortant de sa réserve, le cheikh Salem Raféï, principale figure des milieux salafistes, n’a pas ménagé le Premier ministre Saad Hariri et le chef de l’État Michel Aoun, qu’il a invités à saisir l’opportunité pour entamer une « véritable réforme ».
À plusieurs reprises, il a dénoncé les « injustices dont sont victimes les islamistes », dépeints comme étant les boucs émissaires d’une politique qui fait prévaloir, selon lui, le principe des deux poids deux mesures.
Le prédicateur islamiste a prononcé un véritable réquisitoire contre le Hezbollah, le mettant implicitement en cause dans les affrontements de Abra (banlieue de Saïda) qui ont eu lieu en juin 2013 entre des islamistes menés par le cheikh Ahmad el-Assir et l’armée libanaise. Reprenant le fil des événements, il a pointé du doigt le parti chiite qu’il a accusé d’avoir été à l’origine des combats entre l’armée libanaise et les hommes du cheikh el-Assir (en prison depuis août 2015). « C’est une tierce partie qui a ouvert le feu en direction des deux parties, pour les inciter à s’entretuer », a-t-il dit, en allusion au Hezbollah. Le prédicateur salafiste est revenu sur les incidents de Ersal en 2014 et sur son intercession, avec des membres du Comité des ulémas, auprès du groupe Fateh el-Cham (ex-Front al-Nosra) pour tenter de libérer les militaires pris en otage par cette formation, alors que la bataille faisait rage. Le cheikh Raféï avait alors été blessé d’une balle au pied. « Le convoi a été visé par des tirs de feu nourris (…). On a appris par la suite qu’ils provenaient de l’armée libanaise », a relaté le dignitaire sunnite avant d’ajouter : « Nous nous sommes abstenus d’évoquer cet incident, par souci de préserver la réputation de la troupe. »
Le prédicateur salafiste a plaidé la cause des islamistes « jetés en prison sans justification » suggérant que soient libérés les cheikhs Ahmad el-Assir et Khaled Hoblos. Ce dernier avait été arrêté dans le cadre des affrontements entre les islamistes et l’armée à Tripoli. Il a suggéré que les deux prédicateurs soient libérés et exilés « à l’instar de Rifaat Eid », le chef alaouite du Parti arabe national, qui « a été exfiltré en Syrie à l’aide des chars de l’armée », accuse le cheikh Raféï. M. Eid était impliqué dans la double explosion qui avait visé deux mosquées à Tripoli, as-Salam et al-Taqwa, en août 2013.
« Opportunisme électoral »
Ce n’est pas la première fois que les islamistes manifestent pour la libération des leurs, dont certains sont accusés d’avoir tué des soldats de l’armée et fait des victimes parmi la population civile. Dans ces milieux, on dénonce surtout le fait que les membres du Hezbollah « se dérobent à la justice en toute occasion », alors que les islamistes, eux, « sont dans le collimateur des autorités ».
Il convient de rappeler que la loi d’amnistie en préparation est appelée à être adoptée par la Chambre avant la tenue des prochaines législatives prévues en mai.
Interrogé par L’Orient-Le Jour sur la pertinence des demandes formulées par les islamistes, notamment une amnistie « sans exception », le pénaliste renommé Akram Azouri affirme : « Si certains sont effectivement innocents comme leurs proches l’affirment, ils n’ont pas besoin d’amnistie puisque la justice va les innocenter. S’ils sont condamnés pour un crime donné, c’est une raison de plus pour qu’ils ne soient pas libérés », dit-il.
L’avocat tient à rappeler toutefois que l’amnistie générale n’est pas réglementée par la loi. « C’est une décision qui émane du pouvoir législatif mais qui est éminemment politique. La loi d’amnistie, on peut lui faire dire ce qu’on veut... » Il en va donc de même pour les exclusions que peut prévoir la loi et qui, là encore, peuvent être des exceptions octroyées « à la carte ». « Les crimes exclus de l’amnistie relèvent également d’une décision politique », précise encore l’avocat, soulignant que légalement l’amnistie est toutefois justifiée dans « les seuls cas où il n’y a pas préjudice aux droits des victimes, à moins que ces dernières ne fassent une décharge de leurs droits ».
Quoi qu’il en soit, et quelles que soient les circonstances que l’on fait valoir, une amnistie ne saurait être justifiée par « un opportunisme électoral », dit-il.
« L’amnistie ne peut être motivée que par la paix sociale et le consensus national. Si elle survient dans un contexte électoral, on est dans le cas d’un détournement de sa finalité et de sa raison d’être, car l’amnistie ne doit être ni dans l’intérêt des factions politiques ni dans celui des personnes qui y aspirent », poursuit le juriste, en préconisant la nécessité de laisser passer l’échéance électorale d’abord, pour ensuite plancher tranquillement sur les détails de la loi, « loin de toute promotion électorale ». « Sinon il faut s’attendre à voir tous ceux qui vont être exclus de l’amnistie décrédibiliser la Chambre en l’accusant d’opportunisme. »
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comme d'habitude les islamiques jouent les martyrs en plus ils veulent l'amnistie pour les terroristes qui ont blessés et tués le gouvernement devrait pas tenir compte de ces terroristes
18 h 21, le 22 janvier 2018