Lettre ouverte à Mgr Béchara Raï, patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient
Éminence,
Je vous écris au nom de toutes les femmes maronites libanaises qui se sont retrouvées devant les tribunaux religieux, dans le but d’attirer votre attention sur les injustices et aberrations flagrantes qui s’y passent. On m’avait portant prévenue que rien n’était plus injuste et plus abusif que ces lieux. J’ai refusé d’y croire en espérant y trouver le réconfort et la justice nécessaires pour compenser des années d’abus en tout genre que j’ai dû subir en silence afin d’essayer, contre vents et marées, et au prix d’énormes sacrifices, de sauvegarder ma famille et de protéger mes enfants. Il ne m’a pas fallu longtemps pour réaliser à quel point ces tribunaux étaient abusifs à l’égard des femmes, et qu’ils émettent des jugements aussi injustes qu’iniques.
La femme se retrouve donc méprisée, maltraitée, obligée de subir la violence d’un système judiciaire d’autant plus cruel qu’il est sournois et intouchable.
Les droits des femmes dans un système sont révélateurs de la nature de ce système et de sa capacité à devenir plus humain et plus noble. Or, basée sur mon expérience et sur les témoignages que j’ai recueillis, une conclusion s’impose : abandonnée par son mari, la femme se trouve obligée d’affronter toute seule un système judiciaire discriminatoire, qui, au lieu de rendre justice, lui fait subir des souffrances morale et financière supplémentaires. Au meilleur des cas, le tribunal ecclésiastique lui octroie une indemnisation financière insuffisante pour continuer de survivre tant bien que mal dans la dignité.
Quelles que soient les raisons avancées, les femmes sont toujours lésées, et les hommes toujours avantagés, même lorsqu’ils contournent les lois et font fi des tribunaux religieux, après avoir tourné le dos à leurs enfants, leur famille, leur religion, ainsi qu’à leur engagement sacré au mariage. Ces hommes trouvent un support inconditionnel auprès des juges, qui ignorent les éléments essentiels des dossiers, tout en faisant comprendre à la femme qu’il faut qu’elle accepte des situations d’abus, de violence morale, d’adultère, de remariage, et même de reconversion à l’islam…
Ne tenant même pas compte, au moment de statuer sur la pension, des moyens financiers des hommes (parfois considérables), et réduisant de manière drastique cette pension à un montant absurde, ils permettent ainsi à l’époux d’exercer sur sa femme et ses enfants toutes sortes de pressions afin de les humilier et de pouvoir arriver à ses fins.
À la lumière de ce qui précède, de nombreuses femmes, dont moi-même, avons légitimement perdu toute confiance dans ce système. Je vous le demande : pour quelles raisons la très grande majorité des femmes ne trouve-t-elle pas justice auprès de vos tribunaux ? Un tribunal n’est-il pas le lieu par excellence où la justice est censée être rendue en toute équité et impartialité ? N’est-ce pas le cas, a fortiori, s’agissant d’un tribunal ecclésiastique, substantiellement lié à ces valeurs ?
Pour toutes ces raisons, je vous conjure de bien vouloir faire le nécessaire afin que justice soit vraiment rendue au sein de vos tribunaux, qui devraient, dans leurs agissements, refléter les enseignements du Christ.
Une réforme et un grand ménage s’imposent. Il est temps de changer et de rendre justice aux femmes lésées. Vous tenez vraiment à protéger les valeurs sacrées, telles que le mariage ou la famille ? Mettez donc un terme à l’hypocrisie et la misogynie ambiantes dans ces lieux. Recommandez à vos juges de savoir faire la différence entre un homme abusif et une femme abusée ; de ne pas céder aux abus de tout genre. Rendez à la femme ses droits ; qu’elle soit jugée sans complaisance lorsqu’elle est dans la faute, mais qu’elle soit par ailleurs dédommagée moralement et financièrement lorsqu’elle est la victime. Et si tout cela s’avérait impossible, alors abandonnez cette compétence aux tribunaux civils.
Respectueusement,
Carole Marie KHOURY
Insupportable ...on a l'impression que l'on redécouvre une situation que pourtant on pensait le connaitre. Une lettre ouverte, un constat, qui éveille les consciences.
13 h 42, le 26 janvier 2018