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Économie - Interview

Roy Badaro : La vision économique avant la politique de gestion

Alors que le gouvernement libanais vient d'engager le cabinet de conseil américain McKinsey & Company pour aider à « restructurer » l'économie du pays, Roy Badaro, économiste et ancien de l'Institut européen d'administration des affaires (Insead), déplore l'absence de vision qui caractérise la politique économique du pays.

L’économiste Roy Badaro. Photo D. R.

Quel bilan pouvez-vous dresser de la première année du gouvernement nommé en décembre 2016 par le Premier ministre, Saad Hariri ?
Le Liban vient de clôturer une nouvelle année mitigée sur le plan économique, avec une croissance estimée à plus ou moins 2 % selon que l'on se base sur les estimations du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale. Il y a eu des avancées, quoique imparfaites, comme sur le dossier des hydrocarbures offshore, mais certains problèmes structurels importants demeurent, comme au niveau de la gouvernance globale et plus spécifiquement dans le secteur de l'électricité. Beaucoup d'annonces, enfin, n'ont pas été suivies d'effet, souvent en raison de différends dus à des visions politiques antinomiques. Le Liban n'a pas encore fait ses choix pour le siècle en cours.

Ces résultats mitigés ne sont-ils pas en grande partie liés aux répercussions sur l'économie libanaise du conflit syrien qui a débuté en 2011, ainsi qu'à la crise politique qu'a traversée le pays suite à la « vraie-fausse » démission de M. Hariri, début novembre, à Riyad ?
Ces facteurs ont pesé. Mais le nœud du problème, c'est l'absence de responsabilisation au sein d'une importante partie de la classe politique, ce qui ressort dans les nombreuses décisions qu'elle prend, sans oublier la corruption culturellement endémique.
Ce qui est encore plus grave, c'est que l'État n'a pas de vision économique et semble naviguer à vue. C'est ce qui ressort par exemple de ses choix en matière de revenus et de dépenses dans le budget pour 2017 adopté en fin d'année. Certes, le vote de ce texte – après plus de 12 années passées sans loi des finances – a effectivement permis de rassurer les agences de notation sur la stabilité du pays. Mais le fait qu'il ne contienne aucune vision de politique économique est en lui-même problématique. Il y a peu de chances pour que ce soit différent pour le projet de budget 2018, qui n'a toujours pas été discuté par le gouvernement (NDLR : alors que ce dernier devait en principe le transmettre au Parlement avant la fin d'octobre 2017).
En résumé, nous sommes dans une économie artificiellement enjolivée, voire « botoxée », où le but du jeu est d'arrondir les angles au nom d'une sacro-sainte stabilité indéfinie, sinon mal définie, souvent à un prix exorbitant, comme en témoigne l'explosion de la dette publique depuis les années 1990.

 

(Lire aussi : La politique monétaire, un sujet tabou au Liban ?)



Dans votre ouvrage « Un projet, une nation », publié fin 2017 aux éditions Saër el-Machrek, vous estimez qu'il est essentiel de définir une vision économique. Mais n'est-ce pas précisément ce que le gouvernement vise à accomplir en engageant McKinsey & Company ?
Comment peut-on donner une telle mission à McKinsey, alors que l'État n'a aucune vision stratégique plaçant l'économique au cœur du débat ? Je ne sais pas comment McKinsey va s'y prendre pour développer des stratégies si la vision n'est pas débattue au plan national.
Or, il y a beaucoup de questions d'ordre économique qui doivent être débattues en amont, aussi bien par les politiques que par les membres de la société civile, afin de définir le rôle que le pays souhaite occuper au niveau régional, voire mondial, avant de définir les chaînes de valeurs à développer de bout en bout ainsi que leurs priorités. Dans cette optique, des institutions comme le Conseil économique et social sont essentielles, même si leur pouvoir – notamment le fait que cette instance ne peut rendre que des avis consultatifs et ne peut pas s'autosaisir – est encore trop limité par la loi.
Enfin, il est tout bonnement impossible de mener ce débat tant que le pays ne dispose pas d'une base de données statistiques économiques fiables et régulièrement mise à jour. C'est à cet égard que l'un des chantiers les plus importants – et qui n'a été mené ni en 2017 ni depuis 1990 – est le renforcement des moyens de l'administration centrale de la statistique.

Quelles sont, selon vous, les filières que le Liban doit privilégier pour pouvoir tirer le meilleur parti de ses ressources ?
Il existe plusieurs pistes intéressantes que le Liban peut explorer ; à commencer par les nouvelles technologies – comme le domaine de l'intelligence artificielle – à travers la création d'un centre de recherche universitaire et privé qui aurait vocation à devenir un pôle régional. Cela aurait, de surcroît, le mérite d'encourager les jeunes expatriés à revenir travailler au Liban et de créer ainsi plus de richesses sur place. Le développement de l'agriculture intelligente de niche est une autre piste, qui permettrait d'augmenter la rentabilité de ce secteur dont dépendent beaucoup de Libanais.

 

 

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commentaires (8)

Excellent ! Excellente intervention de Mr Badaro ! C'est lui qu'il faudrait placer à la tête du ministère de l'économie ... ! Dommage, Dommage que des personnalités comme lui ne soient pas écoutés ! Pauvre Liban ! Marie-Thérèse Achkar Malezet

Achkar-Malezet Marie-Therese

01 h 40, le 11 janvier 2018

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • Excellent ! Excellente intervention de Mr Badaro ! C'est lui qu'il faudrait placer à la tête du ministère de l'économie ... ! Dommage, Dommage que des personnalités comme lui ne soient pas écoutés ! Pauvre Liban ! Marie-Thérèse Achkar Malezet

    Achkar-Malezet Marie-Therese

    01 h 40, le 11 janvier 2018

  • Comment ça pas de vision économique? On s'aligne avec l'Iran, on se gave de fusées qu'on va envoyé sur Israël pour se faire payer par l'Iran, reconstruit par l'Arabie et visiter par les touristes résistants syriens et irakiens... Un plan immaculé et sans failles... McKinsey en sera époustouflé, nos politiciens et autres résistants tripleront leurs fortunes et les libanais eux iront faire fortune ailleurs ou crever localement. Dix sur dix!

    Wlek Sanferlou

    22 h 08, le 10 janvier 2018

  • oui il faut une vision économique qui est semblable a la vision ou mission d'une entreprise tout a fait d'accords, ensuite il faut élaborer des objectifs et mettre en place des strategies afin de les atteindre, qui elles une fois atteinte participerons a la realisation de la vision ... toutefois cela est faisable seulement il faut mettre au commande des personnes capable commande sans attachement être redevable a tel ou tel

    Bery tus

    18 h 48, le 10 janvier 2018

  • LES EXPERTS ET LES VISIONNAIRES CONSEILLENT... ET LES IGNORANTS PASSENT OUTRE ET DECIDENT PAR DE DOUTEUX COMPROMIS DANS CE PERDU ATOLL !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 04, le 10 janvier 2018

  • en resume, mr Badaro trouve aberrant de mettre la charrette avant le boeuf ! qui oserait le contredire ? d'abord nettoyer les ecuries d'augia , PUIS engageons a coup de millions l'avis de consultants afin de restructurer les lieux.

    Gaby SIOUFI

    10 h 21, le 10 janvier 2018

  • Entre théorie et pratique il existe tout un monde. Pour appliquer les recommandations des conseillers, il faut avoir des personnes capables, intègres, intelligentes, ....la liste est longue. Avec ce ramassis de nuls que nous payons rubis sur ongle, les meilleures strategies au monde ne changeront rien à la donne.

    Tabet Karim

    09 h 20, le 10 janvier 2018

  • PAS LA VISION CAR ELLE PEUT ETRE FAUSSE ET NULLE ! LE PROGRAMME BIEN ETUDIE AVANT TOUTE GESTION TOUT AUSSI BIEN ETUDIEE ! MAIS AVEC LES IGNORANTS ET INCAPABLES QUE NOUS AVONS QUI VA BIEN PROGRAMMER ET BIEN ETUDIER ? C,EST LA LA QUESTION !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 01, le 10 janvier 2018

  • Bien sur la vision de l'économiste Roy Badaro est très intéressante, enrichissante. Il faut souligner aussi la situation politique interne et internationale du Liban ne sont pas très favorables pour l'économie. Charger le cabinet de conseil McKensey est un facteur très positif ce qui va permettre à cette entreprise hautement qualifiée d'élaborer des trajectoires de croissance à notre pays (que lui manque) ... pour les prochaines années, mettre en évidence les déséquilibres structurels économiques en identifiant les enjeux les plus importants pour notre pays, indiquer les principaux leviers qu’ils s'imposent d’actionner pour redresser l'économie, etc etc ... Le succès des plus importants groupes mondiaux mais aussi de certains gouvernements sont souvent dû à ces quelques cabinets de conseil mondialement connus. Gouverner devient de plus en plus technique et une affaire de professionnel, dans un monde économiquement mondialisé suivant des techniques de gestion bien précises.

    Sarkis Serge Tateossian

    02 h 51, le 10 janvier 2018

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