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Idées - Economie

La politique monétaire, un sujet tabou au Liban ?

La publication, le mois dernier par la Maison du Futur et le Konrad Adenauer Stiftung, d'une étude de l'économiste Toufic Gaspard consacrée au risque d'une crise financière au Liban continue de susciter une vive polémique.

Si la Banque du Liban (BDL) a publié, le 13 septembre courant, une réponse qui se situe dans la ligne économique traditionnelle – bien que je ne partage pas certains des arguments présentés–, d'autres ont été jusqu'à proférer par voie de presse des menaces inadmissibles de poursuites judiciaires contre ce chercheur, du seul fait qu'il ait écrit un document qui va à l'encontre du « mainstream » de la pensée unique. Cela me rappelle le film Fahrenheit 451, de François Truffaut, où l'on procède à l'autodafé des livres et où la dystopie devient réalité...

Je ne souhaite pas m'immiscer dans cette polémique, car un tel débat scientifique ne peut faire l'objet de discussions approfondies dans un journal. Néanmoins, il serait juste de constater que le pays manque de débat sur ce sujet : la politique monétaire est une affaire bien complexe pour tout pays, alors que dire du cas libanais où l'incertitude et le risque sont un pain quotidien...

 

(Lire aussi : D’Abou Dhabi, Salamé se veut rassurant sur la stabilité monétaire)

 

Ouvrir le débat
J'estime tout d'abord qu'il est temps d'ouvrir un débat serein sur la politique d'ancrage du taux de change, pour en évaluer les alternatives et choisir la meilleure pour notre économie. Le spectre des régimes de change va du très contraignant « currency board » au plus flexible taux de change flottant. Entre les deux, il existe une multitude de régimes intermédiaires que les protagonistes omettent. Avant de décider quel serait le meilleur, il faudrait déterminer le niveau de taux le plus convenable pour l'économie en prenant en considération la flexibilité des prix et des salaires.

Au Liban, les conséquences économiques de cette politique d'ancrage nominal du taux de change furent désastreuses au niveau de l'emploi et de la croissance endogène. Le chômage et l'émigration des jeunes ont atteint des niveaux historiques. La question qui se pose alors est : qui de l'économie réelle ou de la finance est au service de l'autre ?

La politique monétaire fait partie intégrante de la politique économique. La BDL ne doit et ne peut à elle seule corriger et contrebalancer l'insouciance de la politique budgétaire ; d'autant que la conjoncture peut se détériorer. La croissance des dépôts et les flux de capitaux risquent de ralentir suite à des chocs tels que : la hausse des taux d'intérêt aux États-Unis, les risques élevés dans la région, les préoccupations envers les nouvelles mesures contre le Hezbollah qui augmentent les coûts d'opportunité pour les déposants, la baisse du prix du pétrole et le ralentissement des économies du Golfe...

De même, l'amplification des flux de capitaux sortants des Libanais pour des raisons d'achats d'actifs à l'étranger exerce des tensions sur les flux nets. Par ailleurs, la concentration significative des dépôts exacerbe la vulnérabilité du système aux retraits des grands déposants. Enfin, les coûts de portage, l'intervention sur le marché de change et de la dette et les mesures de relance de la BDL ont un impact sur son bilan. Sans ajustement budgétaire et une réduction des besoins de financement de l'économie, la capacité de la BDL à fonctionner comme « préteur du dernier ressort » deviendrait de plus en plus problématique...
À la suite de sa dernière visite au Liban, le Fonds monétaire international a estimé que « la fixation de taux de change reste une ancre nominale appropriée. La BDL doit être prête à augmenter les taux d'intérêt, si les entrées de dépôts devaient décélérer (...) Il est également important que la BDL continue de surveiller et d'atténuer les risques dans le secteur bancaire ».

Le message est subliminal et en même temps clair : l'intérêt de la fixation ou du flottement peut être débattu, mais le débat devrait aussi porter sur le niveau du taux de change entre la livre libanaise et le dollar. Au cas où la BDL ne souhaiterait pas envisager une sortie en douceur de l'ancrage actuel pour le remplacer par un autre plus souple et plus adapté à une nouvelle politique économique, elle serait obligée d'augmenter les taux d'intérêt, ce qui risque d'étouffer l'économie réelle dont le secteur immobilier, que la BDL essaie de soutenir à renfort de prêts subventionnés.

L'autre risque lié à la politique actuelle est celui d'une fuite de capitaux brusque et massive suite à un choc majeur, qu'il soit extérieur ou intérieur. Pour se prémunir contre ce risque, la BDL a des moyens jusqu'ici inédits et capables de limiter les flux sortants. Mais faut-il aller si loin et s'obstiner à ne pas réfléchir à une sortie en douceur qui ne remet pas en cause la stabilité financière et les opportunités de croissance ?
Dans le scénario actuel, la livre n'est pas en danger et il n'y a pas de risque d'effondrement. La future conférence de Paris IV (annoncée début septembre par le président français Emmanuel Macron, NDLR) et deux autres congrès sont en préparation pour 2018. Ils fourniront l'oxygène requis pour survivre au moins jusqu'au retour d'une croissance économique hypothétique. Entre-temps, ce qui m'inquiète, c'est l'économie et non la livre...

 

(Lire aussi : Stabilité financière : la BDL défend sa gestion)

 

Ingénierie financière
Un autre sujet qui mériterait d'être débattu est la politique des réserves prudentielles de la BDL et les mesures prises pour maintenir leur niveau. Pour presque toutes les économies, l'accumulation de réserves internationales (RI), conjuguée à des politiques adaptées, apporte des avantages importants. Elle réduit la probabilité de crises de la balance des paiements et crée des espaces pour l'autonomie des politiques. Mais elle comporte également un coût d'opportunité : des réserves ayant un taux de rendement inférieur à celui qui pourrait être atteint si les ressources étaient utilisées différemment. Ces coûts sont importants et on ignore quel est le niveau « approprié » des réserves.

Le ralentissement actuel de la croissance des dépôts des non-résidents a entraîné une baisse (d'un peu plus de 10 %) des RI de la BDL au cours du premier semestre de 2016. À la suite d'une opération, appelée « ingénierie financière », initiée en juin 2016 pour acquérir des liquidités en devises à des banques en contrepartie de l'achat de titres libellés en livres libanaises – avec des gains en capital importants pour les banques –, les RI de la BDL ont atteint près de 41 milliards de dollars. Mais toute opération a un coût et ce coût doit être connu et compris par tous et non seulement par une minorité. L'opacité sème le doute, et le doute conduit à l'incertitude qui en définitive augmente le risque et par conséquent le coût. Il est essentiel qu'un bilan de chaque opération soit rendu public afin d'en juger les coûts et les bénéfices. En outre, le bilan et le compte de l'exercice de la BDL doivent être rendus publics, sinon ceci risque d'alimenter les supputations néfastes pour tout le monde.

Par ailleurs, le point litigieux que les discussions omettent est le niveau approprié des réserves que la BDL souhaite garder et sa justification scientifique : jamais un pays n'a atteint un taux aussi élevé de réserves par rapport à son PIB (78 %). La BDL a probablement pour objectif de garder deux ratios stables, le premier (ne dépendant pas d'elle) est celui de la dette en devises sur le total de la dette, et qui est gardé en deçà des 60 %. L'autre est celui du montant des réserves sur la masse monétaire M2 : la règle utilisée par nombre de pays – dénommée Greenspan-Giudotti – stipule que les réserves d'un pays devraient égaler la dette extérieure à court terme, afin de résister à un retrait massif de capitaux étrangers. Nous souhaiterions que la BDL nous éclaire sur sa politique à ce sujet.

Je souhaiterais donc voir plus d'ouverture et de transparence de la part de tous les protagonistes car l'intérêt de tous est de construire et non de détruire, et si les moyens peuvent différer, l'objectif ultime est et reste l'intérêt de la nation.

 

Économiste et ancien conseiller (senior advisor) auprès du bureau du Premier ministre en Irak (2009-2010).

La publication, le mois dernier par la Maison du Futur et le Konrad Adenauer Stiftung, d'une étude de l'économiste Toufic Gaspard consacrée au risque d'une crise financière au Liban continue de susciter une vive polémique.
Si la Banque du Liban (BDL) a publié, le 13 septembre courant, une réponse qui se situe dans la ligne économique traditionnelle – bien que je ne partage pas certains...

commentaires (2)

QUELLE POLITIQUE MONETAIRE QUAND LA DETTE GRIMPE DE JOUR EN JOUR ? QUANS AU GOUVERNEUR RIAD SALAME ALLAH I SE3DOU... QUE PEUT-IL FAIRE CONTRE LA GROTTE SIMSIMIOTE ?

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 30, le 23 septembre 2017

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Commentaires (2)

  • QUELLE POLITIQUE MONETAIRE QUAND LA DETTE GRIMPE DE JOUR EN JOUR ? QUANS AU GOUVERNEUR RIAD SALAME ALLAH I SE3DOU... QUE PEUT-IL FAIRE CONTRE LA GROTTE SIMSIMIOTE ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 30, le 23 septembre 2017

  • Je ne suis pas économiste mais vos commentaires me paraissent pertinents. J'adhere entièrement au principe de la transparence en vue de permettre un climat de confiance. Je pense qu'avoir le monopole du baton magique et nous lasser dans l’ignorance ne sera pas d'un secours en cas de crise comme vous le dites si bien. Ecrivez plus souvent !

    Bibette

    12 h 45, le 23 septembre 2017

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