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Idées - Point de vue

De Dahyé à Téhéran, l’infaillibilité contestée

Des jeunes assis devant des portraits du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, du guide suprême de la République d’Iran, Ali Khamenei, et de son prédécesseur et fondateur de la République islamique, l’ayatollah Khomeyni, à Kfour, en mars 2016. Archives AFP

Il est, sans doute, un tant soit peu imprudent, et même aventureux, de comparer l'éphémère saute d'humeur que Hay es-Selloum, la pointe sud de Dahyé (banlieue sud de Beyrouth), a connue le 25 octobre dernier, à la vague de protestation qui secoue l'Iran depuis déjà plus d'une semaine.
Les répercussions de ces protestations qu'un consensus quasi général qualifie d'inattendues ne semblent pas, dans le meilleur comme dans le pire des cas, susceptibles de se faire oublier de sitôt ni à l'intérieur de l'Iran même ni partout ailleurs où l'Iran s'impose ou se débat. Néanmoins, et toutes proportions gardées, certaines similarités entre les deux épisodes ne manquent pas de susciter le trouble et d'apporter une justification pour que les fondements de l'« ordre culturel » qui gouverne les deux sociétés chiites, libanaise et iranienne, soient (re)mis en question.

 

(Lire aussi : Nasrallah : objectif Jérusalem, le décryptage de Scarlett Haddad)

 

Tabous brisés
La plus flagrante des similarités entre le soulèvement éclair de Hay es-Selloum et la vague de protestation iranienne tient au fait que, dans un cas comme dans l'autre, l'exaspération populaire a pris racine dans des foyers suburbains considérés comme acquis au « régime » et à sa « cause » – ce, nonobstant des éruptions acyclique de mécontentement vis-à-vis des instances exécutives en charge de gérer leurs vies au quotidien. En Iran, il s'agit du gouvernement, et à Beyrouth du gouvernement par l'intermédiaire du « Parti ».
La deuxième similarité, tout aussi importante et déconcertante, tient à la célérité extrême avec laquelle des revendications ponctuelles se sont muées en des crises existentielles, brisant allégrement, en cours de route, des tabous, lésant des majestés et établissant des précédents jamais entendus auparavant. Les manifestants iraniens n'ont d'ailleurs pas hésité à fouler au pied les posters du guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei. Lequel, rappelons-le, n'est pas seulement le successeur de Khomeyni mais aussi le député sur terre du douzième et dernier imam (à revenir) des adeptes de la « wilayat el-faqih » (« guidance du juriste »).
Les manifestants s'en sont pris, par ailleurs, aux largesses prodiguées par la République islamique à ses clients libanais et palestiniens, questionnant, par conséquent, la priorité de ces dépenses et leur bien-fondé idéologique. Les protestataires de Hay es-Selloum, quant a eux, n'ont pas épargné la personne hiératique du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et ont tourné en ridicule, entre autres, l'aventure syrienne de ladite organisation.

Il est regrettable de constater que les incidents de Hay es-Selloum, leurs préliminaires et leurs dynamiques n'aient pas reçu l'attention qu'ils méritent. Ils ont été hâtivement associés à des faits divers concernant uniquement la communauté chiite au lieu d'être considérés dans le contexte de dysfonctionnement général du Liban actuel. La main haute qu'exerce le Hezbollah sur l'ensemble du pays, et concrètement sur certaines régions, étant l'un des signes les plus manifestes de ce dysfonctionnement.

À moins de choisir de se leurrer et de croire à la soi-disant spontanéité des excuses publiques que les plus discourtois parmi les participants aux incidents de Dahyé ont faites ; ou de croire à la version pasdaran, qui ne veut voir dans les protestations iraniennes des différents segments de la population iranienne que manipulations sataniques ; il est de bonne politique de commencer à se familiariser à l'idée que la sphère chiite du Grand Moyen-Orient ne soit pas une exception aux règles de jeu gouvernant cette région : l'instabilité – qui a pourtant parfois du bon – et l'appétit insatiable de ses habitants pour le changement.

 

(Lire aussi : Quand Hassan Nasrallah se pose en guide de la République libanaise)

 

« Alter État »
Quelle que soit la tournure que les développements en Iran risquent de prendre (ou de ne pas prendre), les manifestations (et contre-manifestations) qui se déroulent depuis le 28 décembre dernier offrent gracieusement aux promoteurs d'une pax iranica sur les territoires « arabes » nouvellement conquis par l'empire chiite, l'occasion d'une mise à jour, en temps opportun, du modèle iranien.

Hors de toute conjecture, le fait que le chef des Gardiens de la révolution, le général Jaafari, se soit porté volontaire pour annoncer, le premier, « la fin de la sédition » n'est d'ailleurs pas un détail négligeable. Cette montée en première ligne du représentant de « l'alter État » est un rappel notoire, en Iran comme ailleurs, que « l'alter État » est, en dernière instance, l'interlocuteur valable aussi bien au nom de l'État qu'en celui du gouvernement. Au grand dam de tous ceux qui ont parié sur le sourire juvénile du président Rohani, et, avant lui, sur celui du président Khatami, l'annonce faite par le général Jaafari affirme que ces sourires sont sous la protection des baïonnettes « révolutionnaires » et sont encore à leur service.

Ce qui précède représente peut-être, surtout pour les chercheurs d'or en Iran – États et particuliers confondus –, une mauvaise nouvelle. Pourtant, la bonne nouvelle que nous devons à cette vague de protestation est qu'elle a pulvérisé la réputation de Téhéran comme métropole d'une internationale chiite ancrée dans l'histoire et la religion. Cette internationale existe bel et bien. Grâce à ses performances, l'Iran peut se targuer de contrôler plusieurs capitales arabes. Son existence, cependant, ne relève pas du « fait naturel » ou du prétendu « historique » (que certains tendent à lui attribuer), mais de la culture « in vivo », et se paye à un prix tellement fort qu'il peut amener les Iraniens, comme nous l'avons vu, à envahir les rues et se plaindre haut et fort.

À défaut d'être infaillibles à l'exemple des douze imams du chiisme professé par la République islamique et par son client libanais, le Hezbollah, « la République » et « le Parti » se font un impératif d'émuler, du moins de par leur image, cet idéal d'infaillibilité. Ceci étant, l'autre bonne nouvelle est que, de Dahyé à Téhéran, cette infaillibilité, qu'on ait un faible pour les théories de complot ou non, est mise à rude épreuve !

Essayiste et réalisateur. Dernière œuvre : « Tadmor » (documentaire réalisé avec Monika Borgmann en 2016).

 

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Il est, sans doute, un tant soit peu imprudent, et même aventureux, de comparer l'éphémère saute d'humeur que Hay es-Selloum, la pointe sud de Dahyé (banlieue sud de Beyrouth), a connue le 25 octobre dernier, à la vague de protestation qui secoue l'Iran depuis déjà plus d'une semaine.Les répercussions de ces protestations qu'un consensus quasi général qualifie d'inattendues ne semblent...

commentaires (6)

le blaspheme dans tout cela est que des libanais- politiques,pseudo analystes pseudo experts , journalistes decrypteurs qui semblent croire en cette infaillibilte- ne le font QUE par interet politique de culture basse & ignoble , appuient du coup ss honte les ""accomplissements"" heroiques de qqs dictateurs, cela en occultant GLORIEUSEMENT & DIVINEMENT( puisque C la mode) lwes interets propres du Liban. ceux par contre qui ne le font que par vision obtuse , qui par veneration religieuse, qui par naivete- ceux la ont ne peut que respecter & regretter leur choix sommes toutes -INNOCENT- meme ceux dont l'allegeance a l'etranger est publiquement exposee sont a respecter peut etre- en tous cas sont beaucoup moins coupables.

Gaby SIOUFI

10 h 32, le 07 janvier 2018

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Commentaires (6)

  • le blaspheme dans tout cela est que des libanais- politiques,pseudo analystes pseudo experts , journalistes decrypteurs qui semblent croire en cette infaillibilte- ne le font QUE par interet politique de culture basse & ignoble , appuient du coup ss honte les ""accomplissements"" heroiques de qqs dictateurs, cela en occultant GLORIEUSEMENT & DIVINEMENT( puisque C la mode) lwes interets propres du Liban. ceux par contre qui ne le font que par vision obtuse , qui par veneration religieuse, qui par naivete- ceux la ont ne peut que respecter & regretter leur choix sommes toutes -INNOCENT- meme ceux dont l'allegeance a l'etranger est publiquement exposee sont a respecter peut etre- en tous cas sont beaucoup moins coupables.

    Gaby SIOUFI

    10 h 32, le 07 janvier 2018

  • Infaillible, un faillible? Malheureusement toute une clique de faillibles qui nous mène vers une faille monumentale... Allah yisseiidna

    Wlek Sanferlou

    15 h 46, le 06 janvier 2018

  • Enfin...il est reconnu que le pouvoir n'est pas entre les mains de l'Etat libanais... et c'est accepté ! Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 28, le 06 janvier 2018

  • Cest stupide de vouloir faire croire que si le "pouvoir " avait été entre les mains de l'état libanais , ou de n'importe quel pouvoir autre que celui de la résistance libanaise du hezb , des contestations , il n'y en aurait eu point .

    FRIK-A-FRAK

    13 h 19, le 06 janvier 2018

  • Quelle immense prétention, presque un blasphème, de se dire infaillible, que ce soit de la part d'hommes religieux chiites ou d'autres religions ! De là nous viennent tellement de malheurs...car après tout...ce ne sont que des hommes...même si ils ont lu et étudié tous les textes religieux disponibles toute leur vie durant. Ils restent des hommes, faits de chair et de sang ! Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 21, le 06 janvier 2018

  • IL N,Y A D,INFAILLIBLE QUE DIEU QUI MEME A COMMIS L,IMPARDONNABLE FAUTE D,AVOIR CREE L,HOMME !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 24, le 06 janvier 2018

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