Nouveau rebondissement dans l'affaire de notre confrère Marcel Ghanem, poursuivi pour avoir reçu dans son émission, Kalam el-Nass (LBC), un journaliste saoudien qui a formulé de violentes critiques contre le président de la République, Michel Aoun, le président du Parlement, Nabih Berry, et le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, les accusant d'être « partenaires du Hezbollah dans le terrorisme ».
Dans les faits, M. Ghanem n'a pas comparu hier devant le premier juge d'instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour. Son avocat, Boutros Harb, député de Batroun, s'est présenté seul à l'audience pour déposer un recours pour vices de forme, en vue d'invalider l'action en justice dont son client fait l'objet. Mais le magistrat a rejeté ce recours et ordonné la comparution personnelle de Marcel Ghanem, qu'il a fixée au 4 janvier.
Conférence de presse de Harb
À sa sortie du Palais de justice, M. Harb a vivement critiqué la décision judiciaire, affirmant que « c'est bien la première fois, en 52 ans de carrière, qu'un juge d'instruction ordonne une comparution personnelle au moment de la présentation d'un recours pour vices de forme ». Il a indiqué qu'il tiendra une conférence de presse aujourd'hui à midi pour expliquer les circonstances dans lesquelles la démarche du recours a été rejetée.
« À travers l'affaire Marcel Ghanem, il y aurait une décision de corriger tout le monde », a soupçonné par ailleurs l'avocat, jugeant que l'attitude du magistrat Nicolas Mansour laisse penser qu' « il existe des intentions politiques de poursuivre ceux qui expriment des opinions en contradiction avec le pouvoir en place ». « Or toute mesure ordonnée par le juge d'instruction doit s'inscrire dans un cadre légal et non politique », a-t-il affirmé, soulignant à cet égard que « les exceptions de nullité pour vices de forme sont propres à interdire un interrogatoire dans le cadre d'une action en justice qui ne repose pas sur des bases légales ». Et d'insister sur le fait qu' « il est inadmissible de poursuivre cette action en justice avant de statuer sur les vices de forme que nous avons invoqués et que le juge d'instruction a rejetés ».
(Pour mémoire : Marcel Ghanem à « L'OLJ » : « Je ne me rendrai pas à l'audience prévue aujourd'hui »)
Le recours de Harb
Dans le recours qu'il a présenté, M. Harb a soulevé la nullité de l'action en justice, soulignant qu'elle ne respecte pas les conditions que la loi impose. Il a ainsi estimé que les articles de loi sur lesquels cette action est basée et selon lesquels il y aurait eu atteinte à la personne du chef de l'État et à sa dignité « ne s'appliquent pas aux actes de Marcel Ghanem ». Pour l'avocat, son client « n'a pas coordonné avec son invité politique. Il ne savait donc pas en quoi allaient consister les déclarations de ce dernier et ne pouvait donc pas empêcher leur diffusion ».
Un autre vice de forme serait, selon M. Harb, qu' « il n'existe aucun texte de loi qui impose à un animateur d'une émission politique en direct d'intervenir pour empêcher un délit ayant surpris l'animateur lui-même ». L'avocat conteste également le grief imputé à notre confrère, selon lequel celui-ci « a opposé une résistance contre le pouvoir judiciaire, en refusant de décliner son identité et de se présenter devant la justice ». « Or les mesures d'enquête dont il a fait l'objet, notamment l'appel téléphonique qu'il a reçu d'un individu lui demandant de se présenter à son bureau du poste de la police judiciaire de Jounieh, et quelques jours plus tard, un autre appel lui enjoignant de se rendre au bureau du procureur général près la Cour d'appel de Baabda, Ghada Aoun, ne sont pas conformes à la loi », a affirmé M. Harb, soulignant que la notification aurait dû se faire « par écrit, et de manière officielle, selon des normes bien déterminées par le législateur ».
« Intimidation » et « dossier politique »
Contacté par L'Orient-Le Jour, Marcel Ghanem note que « ce qui s'est passé au cours de l'audience est un véritable scandale qui touche à la justice, à la loi, au changement et à la réforme », affirmant que la décision du juge d'instruction « porte atteinte à la relation des justiciables avec la justice et avec l'État ». Pour lui, son affaire relève de « l'intimidation » et constitue désormais « un dossier politique ». À la question de savoir s'il se rendra à l'audience le 4 janvier, M. Ghanem répond par l'affirmative. « Je suis accusé à tort de résister à la justice, déplore-t-il, alors que je réclame seulement le respect des règles de droit. »
Pour Ramzi Jreige, ancien ministre de l'Information et ancien bâtonnier, il est contraire à la loi qu'un juge d'instruction exige la comparution personnelle d'un prévenu au moment où son avocat oppose une irrégularité de forme. « L'article 73 du code de procédure pénale permet à l'avocat du prévenu de présenter les exceptions de forme en dehors de la présence de son client », indique M. Jreige, notant qu' « un refus de recevoir le recours dans ces conditions constitue une violation expresse de la loi ». Et d'ajouter à cet égard que « c'est la liberté individuelle qui est en cause », avant de noter sur un ton optimiste que « depuis l'indépendance, à chaque fois que le pouvoir politique s'est attaqué à la liberté d'expression et à la liberté de la presse, ce sont celles-ci qui ont triomphé au final ».
Quant au bâtonnier de l'ordre des avocats de Beyrouth, André Chidiac, il s'est contenté de préciser à L'OLJ que « l'ordre veille au respect scrupuleux de la loi », assurant qu' « en cas d'atteinte à cette loi, il la dénoncerait fermement ».
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commentaires (14)
Un journaliste qui avait critiqué fortement l’Arabie Saoudite sur une chaîne s’est fait dégager du plateau par le présentateur!
Fredy Hakim
20 h 52, le 21 décembre 2017