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Culture - Scène

Dans les coulisses de Zoukak, des jokers double genre qui vous mettent en « trans »

C'est avec une pièce-manifeste costaude que le collectif inaugure son nouvel espace théâtral.

Trois jokers qui tirent bien leur épingle du jeu. Photo Randa Mirza

Pour donner le coup d'envoi de son nouveau studio, Zoukak frappe fort (les trois coups) et présente un travail de création collectif, mis en scène par Omar Abi Azar et Junaid Sarieddine, mêlant théâtre et musique (avec Khodor Ellaik, alias Kid Fourteen), intitulé The Jokers.
La compagnie titulaire de nombreux prix prestigieux, dont récemment celui de la fondation Chirac, a en effet concocté une pièce à l'image du lieu où elle se déroule : les coulisses d'un Music Hall, mi-bordel, mi-abri. Un endroit délirant et chaotique, où les émotions s'entrechoquent, où les sentiments sont exacerbés et où la parole se travestit parfois avant de sortir crue et nue. Triomphante.
« C'est une pièce qui parle des transgenres et, plus largement, des boucs-émissaires contemporains », dit la note d'intention.

Installés sur des gradins face à une scène plongée dans le noir, les spectateurs écoutent un dialogue. Et devinent, entre de multiples « fuck » et autres « shit », qu'il y a là deux voix féminines et une masculine. Les projecteurs s'allument, trois chaises pivotent. Apparaissent deux silhouettes de drag-queens moulées dans du strass, et une troisième, en cuir rock'n'roll. La voix d'homme sort d'une bouche rouge cœur et fait papillonner des cils immenses sous une coiffure incandescente. Il s'agit de Gigi, incarné(e) par un Junaid Sariedddine tout simplement magique. Sa consœur, Maya Zbib, est la chanteuse style Betty Boop, fille de joie douce et cruelle, enceinte d'un bébé bâtard. Rencontre du troisième type : Lamia Abi Azar arborant un fuseau en cuir, moulant des parties masculines bien protubérantes. Dans la pénombre des lieux, surgit alors la douleur d'exister autrement. Les dialogues décousus surfent largement sur des vagues (sur)réalistes. Les histoires de chacun prennent peu à peu possession du trio, comme un rôle prend peu à peu possession d'un comédien, en une troublante opération de dédoublement à l'intérieur d'un même être.

Dans cette mise en abîme délirante et chaotique du théâtre – qui prend ici son plus beau rôle, celui d'explorateur par essence des zones les plus obscures de l'homme – pas besoin de suivre une histoire bien linéaire. Ce qu'elle nous raconte est beaucoup plus viscéral. Il y a des vies derrière les rideaux, semblent crier ces jokers. Il y a des êtres humains derrière le maquillage outrancier, les chevelures crêpées et flamboyantes. Des êtres saccagés par la haine que les autres déversent sur eux, emprisonnés par l'incompréhension et la rancœur sociales et familiales.

De multiples émotions traversent la salle, mais le frisson (d'empathie ? ) atteint son paroxysme lorsqu'au terme d'une performance hypersensible, le chanteur Kid Fourteen étreint Gigi, comme un ultime geste de reconnaissance.

Comment résister à pareille quête de vie, suintant avec rage par-delà les genres et les identités ? À ceux qui acceptent de s'abandonner à la volonté délirante et foutraque de Zoukak de trouver, au milieu de ce que certains considèrent comme une apparente anomalie biologique, un sens, une beauté quand même, de l'amour quand même, il ne reste qu'une représentation, ce soir.

Studio Zoukak
Ancien Art Lounge, Secteur Quarantaine
Réservations : Ihjoz.com

 

 

Pour mémoire
Zoukak porté par le prestigieux Praemium Imperiale

 

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