C'est un nouvel échange verbal entre Israël et la Turquie qui pourrait bien leur coûter leur réconciliation récente. Les déclarations houleuses de dimanche dernier entre les deux dirigeants, Benjamin Netanyahu et Recep Tayyip Erdogan, ont en effet suscité de nombreuses interrogations quant à l'avenir des relations entre les deux pays, déjà extrêmement fragiles.
Fortement opposé à la décision des États-Unis de reconnaître Jérusalem comme capitale de l'État hébreu, le président turc a ouvert les hostilités en accusant les autorités israéliennes de recourir à la force de façon « disproportionnée » face aux manifestations qui ont suivi cette décision. M. Erdogan faisait notamment référence à une photo d'un photographe palestinien, Wissam Hashlamoun, qui a fait le tour du monde, montrant un adolescent palestinien de Hébron, en Cisjordanie occupée, emmené, les yeux bandés, par plus d'une dizaine de soldats israéliens. Selon le quotidien conservateur turc qui a interviewé hier l'auteur du cliché, le jeune Palestinien, identifié comme Mohammad Fawzi el-Juneidi, est toujours détenu. « Voyez comment ces terroristes traînent cet enfant de 14 ans », a fulminé le président turc en désignant la photo.
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Lors d'un discours des plus enflammés, il s'en est pris violemment à Israël, cet « État terroriste ». Le président turc, qui a plusieurs fois qualifié Jérusalem de « ligne rouge pour les musulmans », a souligné que la décision américaine était « nulle et non avenue » pour Ankara. Très théâtral, il s'est lancé dans une diatribe enflammée : « Ô, Trump ! Ô, Netanyahu ! Nous ne tomberons pas aussi bas que vous ! »
La réponse de Benjamin Netanyahu ne s'est pas fait attendre. Aux côtés d'un Emmanuel Macron visiblement gêné, le Premier ministre israélien a rétorqué qu'Israël n'a aucune « leçon de moralité » à recevoir du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui aide les « terroristes » à Gaza et emprisonne les journalistes. « Je n'ai pas l'habitude de recevoir des leçons de moralité de la part d'un dirigeant qui a bombardé des villages kurdes dans son pays, qui a emprisonné des journalistes, qui a aidé des terroristes, notamment à Gaza, et qui a tué des innocents », a tonné M. Netanyahu à l'issue d'un entretien avec le président français à l'Élysée.
Le sujet extrêmement sensible de Jérusalem met à nouveau à l'épreuve les liens bilatéraux entre les deux pays. Et l'escalade pourrait se poursuivre, puisque Ankara a directement réagi aux déclarations de M. Netanyahu. « Nous condamnons avec la plus grande fermeté les déclarations du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu », a déclaré le porte-parole de M. Erdogan, Ibrahim Kalin. « Au lieu de s'en prendre à notre pays et notre dirigeant, les autorités israéliennes feraient mieux de mettre fin à leur occupation des territoires palestiniens », a-t-il ajouté.
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« Risque assumé »
Ce n'est pas la première fois que le président turc critique sans retenue l'État hébreu. Cette fois-ci, il a volontairement surjoué sa réaction, avec deux objectifs bien définis. Celui de plaire, d'une part, à son électorat conservateur, mais également de se présenter, de l'autre, comme « le plus musulman des dirigeants de la région », comme le seul à véritablement monter au créneau pour la défense de Jérusalem. « La position du président turc est entièrement conforme à ses précédentes déclarations sur le sujet. Cependant, la situation politique tendue en Turquie et l'approche de trois élections cruciales en 2019 appellent de sa part un discours plus musclé sur Jérusalem. C'est là un moyen d'entretenir et d'amplifier le narratif islamo-conservateur qui est aujourd'hui le socle électoral du président turc », confirme Marc Pierini, ancien ambassadeur de l'UE à Ankara, aujourd'hui chercheur à la fondation Carnegie pour la paix internationale, contacté par L'Orient-Le Jour.
M. Erdogan avait prévenu, avant l'annonce de M. Trump, que reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël pourrait provoquer une nouvelle « rupture » des relations diplomatiques entre la Turquie et l'État hébreu. En juillet déjà, il avait appelé les musulmans à « visiter » et « protéger » Jérusalem, après des violences meurtrières liées à l'installation par Israël des détecteurs de métaux aux entrées de l'esplanade des Mosquées. Israël avait laissé entendre en retour que la Turquie n'avait aucune leçon à lui donner dans la mesure où elle avait restreint l'accès au lieu saint durant le règne ottoman à Jérusalem.
Ce nouveau match de ping-pong entre ces deux fortes personnalités risque de mettre à mal la fragile réconciliation entre les deux pays opérée à l'été 2016. Si leur inimitié avait alors été mise de côté, le chant belliqueux et l'obstination actuelle des deux dirigeants n'augurent rien de bon. « Le risque d'une nouvelle rupture des relations diplomatiques, ou à tout le moins d'une réduction de leur niveau, est évident, mais, dans la situation politique de chacun des deux pays, je pense que ce risque est totalement assumé par les deux parties », estime Marc Pierini. Les relations entre Israël et la Turquie ont toujours été plutôt bonnes, contrairement aux autres pays à majorité musulmane dans la région. Mais, le 31 mai 2010, l'abordage par l'armée israélienne d'un navire turc, d'une virulence inouïe, va occasionner un refroidissement dans leur relation. Neuf militants turcs sont tués lors des affrontements qui ont lieu sur le Mavi Marmara, navire amiral d'une flottille humanitaire réclamant la fin du blocus de Gaza. Les relations diplomatiques avaient quasiment été rompues, alors que les relations économiques, elles, n'avaient fait que se développer. Fortement isolé dans la région, notamment en raison de sa position dans le conflit syrien, Ankara avait tendu la main à Israël à l'été 2016, en grande partie pour des raisons économiques. Les deux pays ont depuis intensifié leur coopération, notamment dans le domaine de l'énergie. Mais ce retour mutuel en odeur de sainteté ne laissait toutefois pas augurer d'une complète restauration des relations telles qu'elles ont pu apparaître dans le passé.
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commentaires (6)
Erdogan veut plaire à son électorat conservateur et se présenter comme « le plus musulman des dirigeants de la région ». Erdogan prétend être : 1- le plus musulmans des musulmans ... 2- Le plus atlantiste de l'OTAN ... 3- Le plus européen des européens ... 4- Le plus démocrate des démocrates... 5- LE plus féministe des féministes... 6- le plus intelligents des savants ... 7- le plus stratège des stratèges... 8- le plus éloigné de tout génocide... 9- le plus "ami et frère" des kurdes ... Y-a-t-il encore quelqu'un sensé dans ce monde pour donner du crédit à ce menteur né ...
Sarkis Serge Tateossian
18 h 04, le 12 décembre 2017