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Liban - La carte du Tendre

Cruel rendez-vous avec l’histoire à Bourj Brajneh

Crédit photo : Collection Georges Boustany/LLL

À la recherche du temps perdu, il arrive parfois que l'on tombe sur une vieille connaissance : c'est là un des petits bonheurs du daguerréophiliste.

Cette semaine, nous retrouvons l'individu qui se baladait, dans L'Orient-Le Jour du 30 septembre, sur la corniche de Aïn el-Mreissé, lieu archiconnu mais que nous n'aurions pas identifié si le bonhomme n'avait pris soin de noter, au dos de sa photo-souvenir, l'endroit et la date de la prise de vue.

Décidément amateur de quiz, notre personnage nous interpelle à nouveau dans un cadre à la fois familier et irréel. L'absence de couleur aidant, on croirait presque avoir affaire à un montage : notre homme tranquillement assis sur une pierre avec son air moqueur semble s'être transporté dans un lieu désertique aux vaguelettes sablonneuses façonnées par les vents, mais une plaine résolument fertile et des montagnes boisées occupent tout le fond du paysage.

Nous aurions pu penser à l'Égypte, où le Nil provoque cette rupture brutale entre désert stérile et végétation luxuriante, mais non : les montagnes à l'arrière-plan donnent une très claire impression de déjà-vu pas loin de chez nous.

Bien heureusement, comme il l'a fait pour celui des tamaris, notre ami s'est donné la peine d'annoter ce cliché. Tout d'abord, la date a de quoi laisser pantois l'historien qui s'est glissé, par nécessité, dans la peau du collectionneur : dimanche 20 avril 1947. Le lieu est également une révélation, et l'on a énormément de peine à le croire, au vu de l'incroyable chamboulement de ce paysage en une vie humaine : nous sommes dans la banlieue sud de Beyrouth, à Bourj Brajneh très exactement, à la veille de l'arrivée des premiers réfugiés palestiniens.

La veille, à tous les sens du terme : la première guerre israélo-arabe, qui va envoyer au Liban une centaine de milliers de sans-abri, va éclater dans un peu plus d'un an et bouleverser à tout jamais ce paysage. Finis le sable rouge et l'étendue plate balayée par les vents, où va bientôt se construire l'aéroport de Khaldé ; disparu le charmant village bucolique aux petites maisons clairsemées, boisé d'arbres fruitiers et de cyprès protégés par des dunes de sable s'étendant jusqu'à la mer. Le nom de Bourj Brajneh sera désormais associé à la misère de vingt mille réfugiés et au malheur de leur terre d'accueil.

Et pourtant, l'existence de ce camp résulte d'un malentendu : lors de la guerre en question, une famille palestinienne influente, les Agha, originaire de Tarshisha en Galilée, vient se réfugier dans ce petit village libanais dans lequel elle a des amis. Les autres habitants de Tarshisha et des villages voisins réfugiés au Liban-Sud ont vent de cette installation alors qu'ils devaient partir pour la Syrie : ils se mettent aussitôt sous la protection des Agha, qui leur trouvent un terrain en s'adressant à la municipalité. Ils pourront ainsi travailler, comme journaliers, dans les vergers du village. C'est ainsi qu'est né le plus grand camp palestinien autour de Beyrouth*. La suite n'est que misère, sang et douleur...

Aujourd'hui, le camp est traversé de ruelles tortueuses et d'immeubles échappant à tout urbanisme. Entièrement bétonné, il forme un quartier de banlieue à la densité improbable, peuplé de laissés-pour-compte eux-mêmes hébergés par une nation injustement malmenée tant par son histoire que par sa géographie.

 

*Julien Mauriat, « Les camps de réfugiés palestiniens à Beyrouth, 1948-1998 », IRD éditions.

 

 

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