Une série d'événements surprenants en novembre a révélé l'état déplorable de la situation au sein du monde arabe : le Premier ministre libanais Saad Hariri a annoncé sa démission à l'étranger, mais a ensuite infirmé sa déclaration ; un missile a été lancé du Yémen vers Riyad ; les dirigeants saoudiens ont mené une vaste campagne anticorruption qui a touché des dizaines de personnalités de haut rang ; l'Égypte a connu la pire attaque terroriste de mémoire d'homme, avec plus de 300 civils tués et blessés ; des vidéos de ventes aux enchères d'esclaves en Libye ont souligné la poursuite du chaos au milieu de l'effondrement total de l'État libyen...
Les victoires militaires sur l'État islamique et un rapprochement entre les factions palestiniennes n'ont pas vraiment apaisé un sentiment collectif d'inquiétude dans la région. Ces développements positifs n'ont pas inspiré non plus une grande confiance selon laquelle le monde arabe pourrait en quelque sorte se tirer lui-même du bord de l'abîme. L'ingérence étrangère est devenue une habitude en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen. Et les débats en cours sur la politique d'identité et sur les frontières du Levant sont un prélude aux défis fondamentaux et dramatiques à venir.
En fait, la situation au Moyen-Orient n'est pas surprenante, étant donné qu'au cours des dernières années, aucun pays arabe n'a tenté de résoudre les conflits en cours en Libye, en Syrie et au Yémen, sans parler de résoudre la question israélo-palestinienne. Dans bon nombre de ces conflits, les étrangers ont beaucoup plus d'influence que les Arabes.
Dépendance
Historiquement, le Moyen-Orient a été la cible de nombreuses invasions étrangères, depuis les croisades jusqu'au colonialisme européen. Ses ressources naturelles ont été usurpées avec avidité et il a été le théâtre de guerres par procuration durant la guerre froide. Aujourd'hui, ces territoires arabes restent sous occupation. Mais bien qu'il y ait de nombreuses raisons d'accuser les puissances étrangères de cette situation alarmante, accuser les autres (ou même s'accuser mutuellement) ne résoudra rien. Après tout, le monde arabe a également de nombreux problèmes internes, notamment une gouvernance inefficace et incompétente, des alliances contre nature et des capacités nationales sous-exploitées.
Une catastrophe menace toute région qui restera impuissante à façonner son propre avenir, dont une majorité de citoyens se sentent exclus. Bien que le monde arabe soit traditionnellement conservateur, près de 70 % de ses citoyens sont âgés de moins de 35 ans et les jeunes subissent un très fort taux de chômage. Cela constitue non seulement un énorme gaspillage de ressources, mais également un grave problème sociopolitique à long terme. Et pourtant, cela n'est qu'un des nombreux défis à relever dans la région.
Les Arabes doivent prendre en charge leur propre ordre du jour et devenir la force principale qui définit leur avenir et celui de leur pays. Ils doivent bien sûr continuer à engager le dialogue avec le monde extérieur, renforcer leurs relations stratégiques et leurs alliances. Mais ils doivent également devenir moins dépendants des autres.
Tout d'abord, les gouvernements arabes doivent développer leurs propres capacités de sécurité nationale pour se défendre contre les menaces existentielles. Ceci à son tour permettra d'accroître leur influence politique et leur fournira davantage d'outils diplomatiques pour le règlement des problèmes régionaux et pour la prévention des conflits militaires.
En outre, les Arabes doivent défendre leurs identités nationales. Le système d'États-nations du Moyen-Orient n'est pas parfait, mais il est bien préférable au sectarisme ethnique ou religieux qui menace de déstabiliser encore plus la région. Pour éviter ce résultat, les États-nations de la région auront besoin d'institutions fortes pour assurer une gouvernance efficace et une inclusion sociale. Malheureusement, la plupart des institutions des pays arabes sont loin d'être en mesure de répondre à cet impératif.
Esquisser une vision de l'avenir
En ce qui concerne l'avenir, les Arabes doivent reconnaître que les réformes nationales sont la meilleure méthode pour éviter l'ingérence étrangère et défendre les intérêts nationaux. Les réveils arabes des dernières années ont révélé un désir ardent de changement issu de la classe moyenne. Des partis opportunistes ont tenté de profiter de l'environnement turbulent créé par ce changement soudain. Mais cela n'annule pas le fait que ces mouvements étaient une réponse à la mauvaise gouvernance perpétuelle et à l'échec de la part des dirigeants arabes à poursuivre des réformes progressives.
Les Arabes ont également besoin de se doter d'une plus grande variété de mesures économiques, de politiques et d'options de sécurité, afin de pouvoir s'adapter à l'évolution de la situation. Le monde n'est plus bipolaire, ni eurocentrique. En fait, c'est le système de l'État westphalien lui-même, pas seulement le paradigme géopolitique de l'après-guerre, qui est mis à l'essai par une rapide évolution technologique, économique et sociale.
Enfin, le monde arabe doit faire face aux comportements hégémoniques régionaux et à l'occupation illégitime des territoires arabes. Des solutions aux problèmes actuels doivent respecter les aspirations à la l'indépendance et la souveraineté, tout en allant au-delà des approches transactionnelles ou tactiques qui offrent seulement un répit à court terme. En définitive, toute politique qui manque à protéger les droits élémentaires ne réussira pas.
Les pays arabes, individuellement et collectivement, auront besoin d'une stratégie entièrement développée pour affronter les menaces existentielles nationales et étrangères qui vont peser sur leur souveraineté et sur leur sécurité dans les années à venir. Il est grand temps que les dirigeants arabes esquissent une vision de l'avenir pour les relations interarabes ainsi qu'un plan pour engager le dialogue auprès de leurs voisins non arabes sur les défis et les opportunités. Enfin et surtout, les dirigeants arabes doivent également expliquer comment ils vont assurer une meilleure gouvernance nationale pour leurs citoyens.
Si le monde arabe veut avoir son mot à dire dans l'élaboration de son propre avenir, il ne peut continuer à se complaire dans le présent. Ses dirigeants et ses citoyens doivent commencer à se préparer dès à présent.
© Project Syndicate
Ancien ministre des Affaires étrangères de l'Égypte (2013-2014) et professeur à l'Université américaine du Caire.
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(Suite) Non, l’histories nous raconte que ce sont toujours les révolutions populaires qui vont prévaloir (vox populi, vox Dei). Mais, malheureusement, ça pourrait prendre encore 2 à 3 générations à sacrifier pour y arriver dans les pays arabes!
23 h 29, le 03 décembre 2017