En période de crise existentielle, il est souvent utile de se rafraîchir la mémoire (nationale), de rappeler à qui veut bien l'entendre certaines réalités oubliées, ou occultées. Cela s'applique particulièrement au débat actuel portant sur ce qu'il est convenu d'appeler la « politique de distanciation » – une tournure plus nuancée, plus soft, de la notion de « neutralité » à la libanaise.
La petite histoire du Liban avec la neutralité n'est pas nouvelle. Elle remonte à l'indépendance de 1943 (pour se limiter à la période contemporaine). À cette époque, le président (maronite) Béchara el-Khoury et le chef du gouvernement (sunnite) Riad el-Solh avaient fondé l'affranchissement du pays du Cèdre de la puissance mandataire sur un « pacte national », axé sur la formule suivante : les chrétiens renonçaient à chercher la protection de l'Occident et, en contrepartie, les musulmans renonçaient à leur aspiration à l'unité arabe.
Cette « double négation », pour reprendre le terme de Georges Naccache, n'était autre qu'une forme de neutralité libanaise à la mode des années 40. Elle avait pour but d'assurer au pays une certaine stabilité pour mettre sur les rails et consolider la cohésion interne. Sauf qu'elle n'a pas été respectée, dans son esprit et dans sa lettre, l'une des composantes du tissu social libanais ayant été sensible à la relance du nationalisme arabe initiée par l'Égypte de Nasser à la fin des années 50 du siècle dernier. Il en a résulté la mini-guerre civile de 58.
Les événements de ces dernières décennies ont par la suite démontré qu'à chaque fois que le principe de neutralité prévu par le pacte de 43 était violé, le Liban était le théâtre de discordes graves, de crises institutionnelles aiguës et de guerres internes. Ce fut le cas – après l'épisode de 58 – à la fin des années 60 et au début des années 70, lorsqu'une partie des Libanais prit fait et cause pour les organisations palestiniennes armées qui avaient forgé manu militari un mini-État au détriment de la souveraineté de l'État central. Tout le monde connaît les funestes et multiples retombées – qui persistent jusqu'à présent – de ce fait accompli palestinien. Au nombre de ces retombées, et non des moindres, la double occupation israélienne et syrienne, elles aussi sources de discordes et de conflits internes.
Aujourd'hui, la quête de neutralité est plus que jamais remise sur le tapis. Mais à l'ombre du violent bras de fer saoudo-iranien et des diverses expériences passées, certains seraient tentés d'affirmer que c'est en définitive une fatalité pour le Liban que d'être pris en otage par les puissances régionales. Sauf qu'une nouvelle dimension fondamentale est apparue sur ce plan dans le contexte actuel. L'attachement à la politique de distanciation n'est plus l'apanage d'une seule composante (chrétienne), comme c'était le cas dans les années 60 et 70, mais elle est devenue une revendication transcommunautaire, du fait de l'adhésion sunnite et druze, et même de certaines factions chiites, à cette option. Il s'agit là, à n'en point douter, d'un grand pas en avant, d'un pas de géant pour la détermination de l'identité spécifique du Liban, avec comme principal paramètre la neutralité face aux axes régionaux.
Un obstacle de taille empêche, toutefois, d'achever la boucle : l'option de guerre ou de paix, plus précisément l'implication active du Hezbollah dans les conflits du Moyen-Orient, n'est pas une décision qui relève de son commandement, mais du guide suprême de la révolution islamique iranienne. Cette allégeance inconditionnelle au guide est stipulée, noir sur blanc, dans la doctrine du parti chiite. Et c'est là que réside le fond du problème auquel est confronté présentement le Liban. Le Premier ministre – et avec lui les autres factions de la révolution du Cèdre – réclame, à juste titre, que la politique de distanciation se traduise concrètement par un mécanisme précis, par des faits, et non pas par de simples déclarations d'intention. Mais cela nécessite que le pouvoir des mollahs à Téhéran soit contraint d'une façon ou d'une autre, par des moyens de coercition, de lâcher la bride au Hezbollah, voire de distendre – à défaut de rompre – ses liens doctrinaux et organiques avec sa tête de pont au Liban et au Moyen-Orient. Dans l'attente de cet hypothétique tournant stratégique, le mieux que le chef du gouvernement et le camp souverainiste pourraient obtenir pour l'heure, en matière de politique de distanciation, est l'arrêt des campagnes médiatiques et politiques contre l'Arabie saoudite et les pays du Golfe. Ce qui ne devrait pas empêcher pour autant la stigmatisation continue de la prise du Liban en otage par le nouvel Empire perse.
commentaires (7)
et oui Mr Touma, je suis a 100% d'accords avec vous, moi ce qui me fait rire c'est le fait que la revolution du cedres a permis a mettre dehors l'occupant syrien avec un coup de pied au derriere .. pour en remercier le liban et les libanais s'en ai suivis par revanche les assassinats qu'on connaît ... mais ce qui me fait encore plus rire c'est l'amnesia des libanais qui vont tjrs courir sous les jupes (pour les plus faible) des detenteur des armes qui ont n'ont rien trouver de mieux que de revenir sur leur propagande de tjrs tout est de la faute des israéliens .... dommage que le liban compte parmi ces citoyens des moutons peureux et amnesique par dessus le marche
Bery tus
15 h 26, le 28 novembre 2017