N'en déplaise à beaucoup d'âmes chagrines, le feuilleton égypto-mexicain signé Saad Hariri, entre démission de Riyad et suspension de Baabda, a très vite fini par ramener l'essentiel sur le tapis : les (ex)actions de la branche armée du Hezbollah. C'est-à-dire l'annexion par Téhéran de la souveraineté libanaise.
Naturellement, ce qu'a fait l'Arabie saoudite par le truchement de son prince héritier, le mi-Voldemort mi-Lorenzaccio Mohammad ben Salmane (il faut relire le portrait brossé par L'Orient-Le Jour dans son édition du 18 novembre), est un crime politique, perpétré à la fois contre la souveraineté nationale, toujours elle, et contre un symbole éminemment libanais : l'héritier, quelle que soit sa compétence, de Rafic Hariri. Sans oublier toutes les rumeurs, aussi infondées soient-elles, d'une volonté saoudienne de provoquer une banqueroute économique, financière et monétaire du Liban. Soit. L'Arabie a un agenda très précis, même si très cyclothymique et impulsif, au Liban. Et pour, ou contre, le Liban. Comme toutes les puissances régionales, le territoire libanais reste pour elle l'arène idéale pour quelque règlement de comptes que ce soit ; le ring de boxe parfait. Et même si le Liban ne peut pas oublier l'aide économique constante des pays du Golfe dont il a bénéficié, Arabie saoudite en tête, il est clair qu'il doit désormais faire face à une nouvelle politique cyclonique de la part de Riyad. Elle est pour le moins... inamicale.
Mais cela n'est rien comparé à ce qui vient de Téhéran. En l'espace de quelques jours, le président iranien et le commandant des pasdaran, Hassan Rohani et Mohammad Ali Jaafari, ont rappelé à tous ceux qui étaient tentés de l'oublier que c'est l'Iran qui fixe les règles du non-jeu. Entre « le désarmement du Hezbollah est non négociable » de M. Jaafari, l'homme fort iranien après le guide suprême, et « l'armement du Hezb sert à contrer d'éventuelles attaques contre le Liban » du premier, qui semble avoir totalement oublié l'Anschluss par le Hezb de Beyrouth en 2008, voilà les Libanais et le monde prévenus.
C'est mathématique : si l'ingérence saoudienne dans les affaires libanaises est inacceptable et dangereuse, l'iranienne est létale. Les proportions doivent impérativement être respectées. Et la démonstration aurait été absolument la même si c'était le courant du Futur qui était surarmé. Ou les Forces libanaises. Ou le PSP. Ou le CPL. Ou Amal. Etc. Parce que les armes du Hezb, fondamentalement miliciennes au Liban, mercenaires en Syrie, ont provoqué la guerre de juillet 2006 et les centaines, voire les milliers de morts libanais en terres syriennes depuis 2013 – attentats dans la banlieue sud inclus. Quant à la protection du Liban, son armée a largement prouvé, lors des batailles du Qaa et de Ras-Baalbeck, qu'elle était totalement capable de protéger le Liban et les Libanais. Il faut que ce mythe soit dynamité, et c'est à Joseph Aoun, le commandant en chef de la troupe, à défaut d'un président de la République et d'un ministre de la Défense, très inutiles à ce niveau, de rétablir une vérité : oui, cette armée libanaise est infiniment capable de remplir sa mission. Et de la belle manière.
Si ce Liban et ces Libanais sont capables de gérer, tant bien que mal, les ingérences saoudiennes (là, Saad Hariri et l'indispensable ménage à faire dans la maison Futur sont prépondérants), l'autre constat reste terrible : il est impossible de s'opposer de quelque manière que ce soit, sans du moins payer un prix exorbitant, à l'interventionnisme iranien. Et ce n'est pas un très éventuel et hypothétique accord, après d'interminables négociations autour d'une table de dialogue libanaise, sur un retrait des quelques membres du Hezb du territoire yéménite, qui réglerait quoi que ce soit.
C'est encore et toujours mathématique : aucun consensus interne sur les armes du Hezbollah n'étant envisagé et envisageable, la seule façon d'en finir est que Téhéran le décide. De plein gré, cela est impossible : pour l'instant, aucun deal qui l'obligerait à sacrifier, volontairement, le Hezb au profit d'un gain plus important, fût-il l'arme nucléaire, n'est plausible. Par la force ? C'est, à ce jour, de la science-fiction. Une nouvelle guerre israélienne ? Personne, encore une fois, à part quelques illuminés, ne poussera l'obscénité jusqu'à danser sur des ruines. Idem pour une nouvelle guerre civile après réarmement en un temps record des autres factions libanaises. Dans les deux cas, ce serait la fin du Liban tel qu'on le connaît. Qu'est-ce qu'il reste ? L'équilibre de la terreur, l'ingérence iranienne et une néo-ingérence saoudienne qui s'annuleraient? La résignation, et l'inscription de la milice hezbollahie au cœur de la Constitution libanaise au bout d'une longue série de négociations que mènerait avec plaisir Gebran Bassil à Téhéran, troisième et ultime réécriture du texte fondamental après Taëf et Doha ? Une utopique, mais tellement belle, intifada chiite, enfin? Ou la réinvention du concept hyperéculé de résistance ?
Un mandarin était amoureux d'une courtisane. « Je serai à vous lorsque vous aurez passé cent nuits à m'attendre assis sur un tabouret dans mon jardin, sous ma fenêtre », dit-elle. Mais à la quatre-vingt-dix-neuvième nuit, le mandarin se leva, prit son tabouret sous son bras et s'en alla. L'attente, aurait dit Roland Barthes, est le passe-temps millénaire de l'humanité en général, des Libanais en particulier...
Jaafari ben Abdel Aziz ?
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 27 novembre 2017 à 00h00
commentaires (5)
Pauvre Liban... les traîtres sont partout, surtout parmi certains de tes enfants aveuglés par des rêves de gloires illusoires et qui n'ont toujours pas compris la signification du mot patriote ! Irène Saïd
Irene Said
17 h 05, le 27 novembre 2017