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Moyen Orient et Monde - Arabie saoudite

MBS cherche-t-il à mater l’establishment wahhabite ?

Les risques de brouille entre le prince héritier et les religieux restent minimes, estime un expert.

Un Saoudien passe devant une énorme affiche montrant le roi Salmane et le prince héritier Mohammad ben Salmane, à Riyad. Faisal al-Nasser/Reuters

Mohammad ben Salmane (alias MBS) a-t-il ouvert la boîte de Pandore ? Les réformes et les purges entreprises dernièrement par le prince héritier et homme fort du royaume secouent la vie politique et économique en Arabie saoudite et tendent les relations entre le pouvoir et l'establishment religieux wahhabite.

L'arrestation, samedi 4 novembre, de princes, ministres et responsables militaires accusés de corruption n'est que le dernier acte d'une offensive sans précédent entamée depuis la désignation de MBS comme prince héritier en juin dernier, et visant aussi bien la famille royale que des hommes d'affaires. Le prince avait déjà fait écrouer bon nombre de religieux et d'opposants il y a quelques mois, juste après le blocus imposé au Qatar. Le tour de vis contre l'institution religieuse avait d'ailleurs commencé en avril dernier, quand le Conseil des ministres s'en était pris à la police religieuse, limitant ostensiblement son pouvoir.

Enfonçant le clou, MBS a appelé récemment à « détruire maintenant et tout de suite les idées extrémistes », et d'ajouter : « L'Arabie saoudite n'était pas ainsi avant 1979. L'Arabie saoudite et la région entière ont été marquées par le mouvement d'éveil (Sahwa). (...) Nous souhaitons seulement revenir à ce que nous étions : un islam modéré ouvert au monde, ouvert à toutes les religions. »

Parallèlement, le jeune prince de 32 ans a initié une petite révolution en autorisant les Saoudiennes à conduire, mais aussi en les laissant assister pour la première fois à des rencontres sportives dans certains stades du pays. Sur le plan économique, MBS a lancé le plan Vision 2030, qui vise non seulement à diversifier l'économie du pays, mais aussi à lancer des projets de divertissement qui visent la jeunesse saoudienne (65 % de la population d'Arabie saoudite – 30 millions d'habitants –
est âgée de moins de 30 ans).

Avec ces réformes ambitieuses, MBS semble, à première vue, prendre le risque de se brouiller avec l'establishment religieux, gardien de la doctrine wahhabite au sein du royaume. Or l'alliance entre l'autorité religieuse wahhabite et le pouvoir politique de la famille Saoud est le fondement de l'Arabie saoudite depuis la création du premier État en 1744. Elle a été renouvelée avec la constitution du troisième État en 1932 par Abdel Aziz ben Abderrahmane al-Saoud, le grand-père de MBS, grâce notamment à l'appui de l'establishment religieux.

Toutefois, ce dernier semble encaisser le choc sans frémir. Du moins officiellement. Ainsi, des ulémas ont explicitement apporté leur soutien à la démarche de MBS, à travers plusieurs tweets et déclarations. Le Comité des grands ulémas a écrit sur Twitter le 5 novembre, suite à la dernière vague d'arrestations, que « le combat contre la corruption est aussi important que les autres obligations religieuses », assurant ainsi une légitimité religieuse à son action.
Comment expliquer le silence des ulémas et l'appui de certains religieux aux réformes tous azimuts du jeune prince ?

« L'establishment religieux adopte le principe de morale de responsabilité qui pousse à opter pour la soumission et l'obéissance au pouvoir et non à l'affrontement avec lui. Les ulémas wahhabites soutiennent ainsi la partie la plus forte », explique Nabil Mouline, chargé de recherche au CNRS à Paris et spécialiste de l'Arabie saoudite et du wahhabisme. En coupant l'herbe sous le pied à ses rivaux, MBS fait ainsi d'une pierre deux coups : d'un côté il écarte tout risque de sédition au sein de la famille Saoud, empêchant ainsi la formation d'un front solide contre le pouvoir en place qui pourrait, d'un autre côté, bénéficier d'un soutien potentiel de la part d'ulémas mécontents.

 

(Pour mémoire : MBS prêt à la guerre totale contre l’Iran)

 

 

Capacité d'adaptation
D'ailleurs, le chercheur estime que les changements entrepris par le prince héritier ne menacent aucunement les privilèges des religieux, ni leur autorité. Selon lui, le chamboulement réalisé par MBS n'est que superficiel. L'establishment religieux était prêt à ces changements depuis plusieurs années déjà, notamment concernant le droit des femmes à conduire. « Dans ce cas, ajoute Nabil Mouline, ils acceptent des concessions superficielles, à condition qu'ils gardent la main sur ce qu'ils considèrent comme essentiel. »

L'histoire saoudienne prouve que les ulémas ont montré, à travers le temps, leur capacité à accepter le changement pour préserver leurs intérêts. « On se rappelle la forte résistance des religieux contre l'éducation des filles dans les années 1950-1960. Quand le roi a voulu passer en force, les ulémas ont vite changé de position, en acceptant finalement la scolarisation des filles. Évidemment, en contrepartie, ils ont reçu d'autres avantages », rappelle M. Mouline, qui note la similitude avec la situation actuelle au royaume : « Depuis 2013, le budget de l'institution religieuse ne cesse d'augmenter. » Et malgré le grincement de dents de certains religieux conservateurs, MBS reste « pour l'instant largement soutenu par une grande partie des ulémas, et notamment par le comité des grands ulémas ».

Sur un autre plan, il faut relativiser et nuancer les arrestations de religieux, dont le prédicateur Salmane al-Ouda et Aa'id al-Qarni, qui ont eu lieu récemment. « Les attaques contre les religieux ont visé en grande partie des personnes proches des Frères musulmans, ce qui réjouit en quelque sorte l'establishment religieux », précise M. Mouline.

D'ailleurs, le dernier discours du prince héritier qui appelait au retour à un islam modéré ne visait semble-t-il pas l'establishment wahhabite, mais le mouvement al-Sahwa proche des Frères musulmans, accusé de radicalisme et de terrorisme, et bête noire des Saoudiens. Par ailleurs, en mentionnant les événements de 1979, le prince revient sur un épisode sanglant de l'histoire saoudienne durant lequel la prise de la Grande Mosquée par des fondamentalistes islamistes et opposants à la famille royale saoudienne avait ébranlé le monde musulman.

Dans ce contexte, certains observateurs estiment que l'une des mutations initiées par MBS vise à réduire la légitimation religieuse du pouvoir politique des Saoud en faveur d'une solidarité plus séculière. Une affirmation nuancée par M. Mouline. Selon lui, « depuis le début du XXe siècle, la légitimité des Saoud ne reposait pas sur le seul pilier religieux. Ils ont dès le début privilégié d'autres leviers comme le nationalisme et le "développementisme" ».

Ainsi, « rien ne laisse penser pour l'instant à une rupture du partenariat historique entre l'establishment wahhabite et le pouvoir des Saoud, qui n'est pas remis en cause », du moins à court et moyen terme, estime M. Mouline.

 

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commentaires (3)

Eh bien dis donc!"Mohammad ben Salmane", et non ben Salman, pour que tout le monde prononce ce nom comme il faut! Alors pourquoi pas Erdogane, puisque vous y êtes? Après tout, il n'y a pas plus de "n" muet en turc qu'en arabe...

Georges MELKI

17 h 42, le 15 novembre 2017

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Commentaires (3)

  • Eh bien dis donc!"Mohammad ben Salmane", et non ben Salman, pour que tout le monde prononce ce nom comme il faut! Alors pourquoi pas Erdogane, puisque vous y êtes? Après tout, il n'y a pas plus de "n" muet en turc qu'en arabe...

    Georges MELKI

    17 h 42, le 15 novembre 2017

  • On mate avant d'être maté. Ils sont finis, game over, ouste, du balai. ......

    FRIK-A-FRAK

    16 h 39, le 15 novembre 2017

  • COMME A DIT TRUMP... ILS SAVENT CE QU,ILS FONT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 18, le 15 novembre 2017

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