Samedi 4 novembre. Il est presque 13 heures et le président de la République est en train de déjeuner. Comme toujours, la télévision est allumée plus par acquis de conscience que par véritable intérêt. Soudain, la nouvelle tombe et fait l'effet d'un tremblement de terre. Le chef de l'État regarde avec stupéfaction le Premier ministre en train de lire la déclaration de sa démission, depuis Riyad. Il est non seulement étonné par l'événement en lui-même, mais aussi par les termes utilisés qui ne ressemblent pas au vocabulaire libanais habituel. Il sent immédiatement quelque chose d'anormal dans ce qui se passe. Quelques minutes après la fin de la déclaration télévisée du Premier ministre, le téléphone présidentiel sonne. Saad Hariri est au bout du fil. La voix à peine audible, il déclare : « Je suis fatigué, je ne peux plus continuer ainsi. J'ai présenté ma démission. » Le président lui demande aussitôt s'il compte rentrer bientôt au Liban et M. Hariri répond : « Oui, dans les prochains jours. » Le président se contente de lui dire : « Très bien, nous parlerons à ce moment-là. »
Selon des responsables proches du chef de l'État, ce dernier a tout de suite pris conscience de la gravité de la situation. Il convoque d'ailleurs immédiatement au palais le commandant en chef de l'armée et les chefs des différents services de sécurité, pour leur demander de renforcer leur présence sur le terrain. Ceux qui, comme le chef de la Sécurité de l'État, n'étaient pas au Liban, sont contactés par téléphone. Immédiatement, les agents de sécurité se déploient sur l'ensemble du territoire pour pallier toute lacune sécuritaire. Aucun incident majeur n'a toutefois été signalé, à part de petits rassemblements à Tripoli, vite dispersés à la demande même du courant du Futur. Une attention particulière a été portée aux camps palestiniens et en particulier au camp de Aïn el-Héloué, surtout que des informations étaient parvenues aux autorités concernées sur des tentatives de pousser les Palestiniens à bouger en accord avec certains groupes libanais. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui poussent le chef de l'État à dépêcher le général Abbas Ibrahim, patron de la Sûreté de l'État, à Amman, pour une rencontre urgente avec le président palestinien Mahmoud Abbas, dans l'objectif de lui demander de donner des instructions précises au Fateh dans les camps palestiniens du Liban. Le président palestinien s'est d'ailleurs montré à la fois compréhensif et coopératif et il a promis que les camps ne participeraient à aucune tentative de déstabilisation du Liban. L'idée d'une mobilisation de la rue sunnite aidée par les Palestiniens a donc été rapidement neutralisée.
Le volet sécuritaire sous contrôle, le chef de l'État s'occupe alors de la situation monétaire. Il réunit les instances économiques et financières, à leur tête le gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé, pour les pousser à se montrer rassurants et à apaiser les craintes des Libanais. Un grand banquier a d'ailleurs eu ce commentaire qui se voulait une boutade : « il faut remercier Dieu parce que la démission a été annoncée un samedi, après la fermeture des guichets, car il y aurait probablement eu une forte pression sur la livre libanaise si elle avait été annoncée un autre jour. »
Après les déclarations de Riad Salamé, les marchés financiers s'ouvrent, lundi matin, sans mouvement de panique. La situation paraît dès lors sous contrôle.
Le président de la République peut alors se pencher sur l'aspect politique, en menant le plus large éventail possible de concertations avec toutes les parties et tous les groupes politiques pour afficher un front interne uni. Il faut signaler à cet égard que le président de la Chambre, Nabih Berry, a été à la hauteur de la situation, coordonnant totalement son action et ses positions avec celles du chef de l'État. Même attitude chez le leader druze Walid Joumblatt, qui a aussitôt estimé que la situation était trop grave pour supporter des positions ambiguës ou floues.
Une fois le Liban politique mobilisé pour montrer un front uni (autant que possible) et réclamer d'une seule voix le retour du Premier ministre à Beyrouth, le chef de l'État lance une vaste campagne diplomatique qui se résume en une seule phrase : priorité au retour du Premier ministre à Beyrouth et après cela, toutes les hypothèses peuvent être évoquées. L'idée n'est pas tant de maintenir en place l'actuel gouvernement que de préserver le prestige de l'État. D'ailleurs, les diplomates étrangers reçus à Baabda réagissent positivement à cette demande, se déclarant prêts à envoyer des rapports en ce sens à leurs chancelleries respectives. De fait, le chef de l'État reçoit des coups de fils de soutien à sa position de la part des présidents français et turc et de la part de la chancelière allemande Angela Merkel.
Parallèlement, le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, entame une tournée européenne qui devrait aussi le mener à Moscou, toujours dans le but d'obtenir un maximum d'appuis internationaux à la position du Liban qui réclame le retour de son Premier ministre à Beyrouth. Pour le Liban, tout tourne autour de ce point.
Dimanche, l'interview télévisée du Premier ministre, accordée à Paula Yacoubian de la Future TV, n'a pas réussi à lever tous les doutes sur les conditions de son séjour à Riyad, d'autant que de nombreux articles dans la presse étrangère révèlent beaucoup de bizarreries dans les rencontres de Saad Hariri avec les diplomates étrangers à Riyad. Pour toutes ces raisons, et surtout par respect pour les usages constitutionnels et pour le prestige de l'État, le Premier ministre doit revenir à Beyrouth pour y présenter officiellement sa démission. Dans l'interview accordée à la Future TV, il avait annoncé son retour dans les deux ou trois prochains jours. Ce qui signifie qu'il devrait être à Beyrouth aujourd'hui ou demain au grand maximum. Le Liban officiel estime que les choses devraient se clarifier cette semaine ou au plus tard dimanche lors de la réunion extraordinaire des ministres arabes des Affaires étrangères au Caire, à la demande de Riyad.
commentaires (8)
Merci Scarlett Haddad! Voici un beau résumé de la prise en charge de la crise par la plus haute instance de l'Etat. Personne ne peut me soupçonner d'être aouniste, mais là, chapeau: le Président s'est comporté en véritable homme d'Etat. Je me demande ce qui serait arrivé avec un autre...
Georges MELKI
17 h 29, le 15 novembre 2017