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Liban - Salon du livre francophone

L’odyssée de « L’Orient-Express » se poursuit

Vingt ans après, le mensuel fondé par Samir Kassir entame une nouvelle vie grâce aux archives en ligne sur le web.

La table ronde sur « L’Orient-Express ». De gauche à droite sur la photo : Médéa Azouri, Omar Boustany, Roula Abi Habib Khoury, Charif Majdalani et Carmen Hassoun Abou Jaoudé. Photo Michel Sayegh

Trois ans, c'est le peu de temps qu'il aura fallu à L'Orient-Express pour entrer dans l'histoire. Bien plus qu'un magazine d'information, ce mensuel porté par un esprit singulier, Samir Kassir, aura réussi à bousculer la presse et la société libanaises. Presque vingt ans après son dernier numéro, les 27 magazines publiés entre 1995 et 1997 sont désormais disponibles sur internet, à l'adresse suivante :
lorientexpressarchives.com

Lorsque l'on écoute les anciens journalistes de L'Orient-Express se remémorer leur expérience, le temps d'une table ronde au Salon du livre, c'est d'abord la nostalgie qui parle, celle d'un temps révolu où le journalisme pouvait s'affranchir de ses codes, pour devenir drôle, incisif et résolument engagé. Mais surtout, il y a Samir Kassir, derrière chaque anecdote, chaque souvenir, lui, le journaliste épris de liberté qui a porté L'Orient-Express avec la même ferveur qu'il a porté ses combats politiques tout au long de sa vie. Après son assassinat, en juin 2005, la revue a ressuscité le temps d'un hors-série en hommage à son rédacteur en chef. Dans ce numéro, l'écrivain Charif Majdalani, journaliste littéraire à L'Orient-Express, écrivait que la mort de Samir Kassir est « l'une des plus grandes pertes que le Liban et le monde arabe auront à déplorer avant longtemps ».

 

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Viser les jeunes générations
Pourquoi avoir publié les archives de L'Orient-Express en 2017, vingt ans après l'arrêt du mensuel ?
« Cette expérience unique dans la presse libanaise devrait être connue par la nouvelle génération, par les jeunes journalistes », répond Carmen Hassoun Abou Jaoudé, qui a fait naître le mensuel aux côtés de Samir Kassir. « L'idée de base était de faire un mensuel arabe en langue française, pas un magazine francophone », précise-t-elle. Soucieuse de représenter les cultures arabe et francophone, l'équipe de L'Orient-Express n'a pas hésité à bousculer les lignes, quitte à se faire coller une étiquette d'élitiste ou de snob.

Tous ceux qui étaient là entre 1995 et 1998 sont unanimes : Samir Kassir a fait confiance aux jeunes et a révélé tout leur talent. Bousculant tous les protocoles établis, il a mis côte à côte trois générations, de Farouk Mardam-Bey et sa propre génération aux plus jeunes, comme Ziad Majed, Omar Boustany ou Médéa Azouri. Et il en fallait du talent pour écrire chaque mois sur des sujets aussi variés que la publicité ou l'avenir politique du Liban. Les journalistes du mensuel le faisaient toujours avec une plume acérée, ironique mais pas cynique, à la fois légère et sérieuse.

Médéa Azouri a, par exemple, 22 ans lorsqu'elle rencontre Samir Kassir, le rédacteur en chef de ce mensuel qui se voulait moderne et irrévérencieux. « C'était très impressionnant de travailler avec Samir, qui avait l'étoffe d'un très grand intellectuel », raconte-t-elle, se remémorant ses premiers pas au journal, ces « grands moments », lorsque Samir Kassir corrigeait les textes de la jeune journaliste. « L'Orient-Express était un incubateur de talents », ajoute celle qui écrit aujourd'hui pour L'Orient-Le Jour et qui est rédactrice en chef du magazine Noun.

C'est aussi à L'Orient-Express que le publicitaire Omar Boustany a fait ses armes. Journaliste débutant, il intègre l'équipe au troisième numéro, embauché lui aussi par Samir Kassir. « L'Orient-Express c'était un peu une école, toute une génération y a fleuri. Samir nous a formés, nous a mis sous pression, nous a appris à encadrer notre talent pour en faire du bon journalisme », relate-t-il, rappelant l'importance de Samir Kassir, autant dans ce qui a fait le succès du mensuel que dans la carrière de ceux qui l'ont côtoyé.
« À mon avis, il n'y aura plus jamais une revue semblable au Liban », glisse Médéa Azouri, consciente d'avoir eu la chance de vivre une aventure unique.

 

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L'audace de son époque
Créé au lendemain de la guerre civile, L'Orient-Express a voulu marquer son époque, entre la légèreté de la paix retrouvée et la critique de l'occupation syrienne.

« Les ambiances d'après-guerre sont des ambiances de joie, de bonheur effréné, d'envie de s'amuser », se souvient l'écrivain Charif Majdalani, qui s'occupait à l'époque de la section littéraire du mensuel, là où il s'est fait connaître. « L'Orient-Express devait s'inscrire dans cette idée-là, mais Samir Kassir en a fait une revue sérieuse, qui portait un regard critique et intelligent sur cette période », ajoute l'écrivain.
L'audace de L'Orient-Express passait par le choix des sujets, aussi variés que contradictoires. Dans ses colonnes pouvaient se côtoyer le poète Allan Ginsberg, les rappeurs du groupe NTM, l'écrivain soudanais Tayeb Salih ou la chanteuse Patti Smith. « Un des premiers articles littéraires que j'ai faits portait sur un roman sri-lankais, se remémore Charif Majdalani. À l'époque, c'était extraordinaire de parler de littérature sri-lankaise, parce qu'on pensait que le Sri Lanka était essentiellement un pays qui fournissait de la main-d'œuvre. »

Enquête, analyse politique, couverture des élections, L'Orient-Express était aussi un journal éminemment politique, qui avait sa propre idée du visage que devait prendre le Liban au lendemain de la guerre civile. « Alors que toute la presse pratiquait l'autocensure, il n'y avait aucun sujet tabou pour nous. Nous nous sommes attaqués à beaucoup de thématiques. Nous étions sous occupation syrienne, en pleine reconstruction, c'était une période charnière dans l'histoire du Liban », raconte Carmen Hassoun Abou Jaoudé.

L'Orient-Express était un magazine iconoclaste, libre, qui n'a rien perdu de son actualité. Ses enquêtes et ses reportages pourraient encore rayonner aujourd'hui avec la même insistance.
« La Chambre introuvable », titrait le mensuel en une il y a vingt ans, après les élections houleuses de 1996. « Voilà assurément le principal enseignement des élections, après les scrutins du Mont-Liban, du Nord et de Beyrouth : l'opposition, c'est au Liban qu'elle est et nulle part ailleurs. C'est dans la restauration des pratiques de lutte démocratique qu'elle se forge. C'est dans la conduite de batailles ponctuelles, pas toujours flamboyantes, et souvent perdues, mais qui préparent d'autres batailles qu'elle se révèle », concluait Samir Kassir dans son éditorial de septembre 1996. Des mots dont l'écho résonne encore aujourd'hui, malgré la patine du temps.

 

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